«Je suis invité depuis 5 ou 6 ans par Françoise Eisenring, la propriétaire de l’alpage, pour venir bénir les troupeaux, les étables et les pâturages, qui sont tenus depuis plusieurs générations par la famille Cottier», nous explique en chemin l’abbé Rime, doyen du décanat Sarine-Lac et curé des paroisses de Belfaux, Courtion et Grolley.
Ce Gruérien pur sucre, installé par son ministère dans les campagnes collineuses du nord du canton, est un passionné de pèlerinages et d’histoire religieuse, notamment de religiosité et de coutumes populaires, auteurs de plusieurs livres, notamment publiés aux Editions Cabédita.
Mais cette fois-ci, le patois gruérien, la langue des armaillis qu’il ne maîtrise pas pour tenir une conversation, mais qu’il arrive à lire à l’aide d’un dictionnaire, notamment pour dire des prières en leur compagnie, ne lui servira à rien. Il va devoir lire ses bénédictions en allemand, grâce au «Benediktionale», un livre officiel édité pour les diocèses catholiques de l’espace germanophone, car Armand Cottier et son fils Dominique, désormais en charge de l’alpage, parlent le «Jùu-Tütsch», le dialecte de Jaun, la langue des gens de la région de Bellegarde.
Après avoir dépassé le panneau indiquant les zones protégées du district franc fédéral Hochmatt-Motélon, nous nous dirigeons au chalet du «Tosse aux Quarts» (ou Karr). Nous y sommes accueillis par des chèvres au pelage blanc. Après que l’abbé Rime ait revêtu son étole et béni l’eau qui va servir à la cérémonie, nous nous rendons dans l’écurie où les vaches attendent sagement qu’après la prière de bénédiction des troupeaux et une lecture tirée du Livre de la Genèse, le prêtre les asperge une à une d’eau bénite.
En compagnie de la propriétaire, d’amis et du père de l’exploitant actuel, nous nous dirigeons ensuite sur un chemin caillouteux vers le chalet au toit tavillonné du «Chli Tosse», le «Petit Tosse», avec comme arrière-fond les Dents Vertes, le Gros-Brun (le Schopfenspitz pour les germanophones) et les inhospitalières Gastlosen, situées entre le canton de Fribourg et le canton de Berne. Là nous attend sur le pâturage un troupeau de bovidés peu disciplinés qui nous bouchent le passage.
L’abbé longe la file des vaches de race holstein et les asperge d’eau bénite après avoir adressé une nouvelle prière de bénédiction des animaux et l’invocation d’une litanie de saints protégeant le bétail, la Vierge Marie, saint François d’Assise, saint Nicolas de Flue, sans oublier saint Antoine et saint Wendelin, très honorés dans le monde agricole, en ajoutant, in fine, sainte Marguerite Bays, l’humble sainte fribourgeoise.
Après avoir béni l’écurie, qui vient d’être rénovée, la petite troupe se rend au chalet du Revers (Schattenberg), à 1271 m d’altitude. Mais là, comme les vaches ont choisi d’estiver hors d’atteinte dans le bas de la pente, l’abbé va bénir les pâturages et le travail des armaillis, avant de déguster la tomme de chèvre sur la terrasse du chalet, au pied de la Hochmatt, avec sa croix sur le sommet. Un hommage au Créateur de tant de beauté. Ce qui fait dire à Jacques Rime, passionné par les rapports entre la foi et la culture populaire, que la présence du sacré est bel et bien forte sur la montagne. Les plus anciennes attestations des croix sommitales dans les Alpes datent du XVe siècle. (cath.ch/be)
L’abbé Jacques Rime, l’amour de la montagne
L’amour de la montagne, je le dois à mes parents, qui m’ont emmené tout jeune déjà en excursion sur l’Alpe. Mon père était contrôleur laitier, et je l’ai souvent accompagné dans ses tournées par fermes et chalets… L’abbé Jacques Rime, dont l’ouvrage «Bergers des âmes au pays des armaillis» est paru en 2014 aux éditions Cabédita, à Bière, a passé son enfance à La Tour-de-Trême, avec pour horizon le Moléson, la Dent de Broc, la Dent du Chamois et tant d’autres sommets qu’il s’est plu à gravir. Enfant à La Toua, La Tour en patois gruérien, il ne parlait pas encore la langue des armaillis. Il s’y est mis entre-temps, du moins essaie-t-il de le lire, pour mieux comprendre le milieu qu’il chérit.
Dans son ouvrage sur la religiosité dans les montagnes du canton de Fribourg, le Gruérien analyse comment des prêtres, ces «bergers des âmes», sont allés à la rencontre des pasteurs de troupeaux, les armaillis. Les visites fraternelles aux armaillis dans la montagne ne remonteraient qu’à un siècle. Auparavant, la bénédiction des troupeaux se serait faite principalement en plaine, avant la montée à l’alpage. De plus, ces prestations étaient tarifées: souvent une offrande de beurre ou de sérac était remise au prêtre qui avait présidé la célébration. JB
Jacques Berset
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