Dans un entretien au quotidien La Croix, le 17 juin 2020, Jean-Marc Sauvé relève la perversité propre de l’abus sexuel sur des personnes majeures. L’appel lancé par la CIASE visait à recueillir le témoignage des personnes ayant été victimes mineures d’abus sexuels, mais aussi la parole des personnes vulnérables, majeures, qui, dans un rapport d’autorité, de direction de conscience ou d’accompagnement spirituel, ont été engagées dans une relation à caractère sexuel non librement consentie, relève d’abord son président.
À ce jour, plus d’un témoignage sur dix émane de personnes majeures au moment des faits. «Je ne pensais pas que nous serions confrontés à autant de situations», note Jean-Marc Sauvé. Selon lui, la souffrance du majeur victime d’abus sexuel est spécifique et elle comporte une dimension particulière d’abus de conscience et spirituel. En outre, comme les règles de prescription sont beaucoup plus strictes pour les majeurs, il n’y a guère de recours utile devant la justice. Les plaintes déposées sont le plus souvent classées.
Parmi les victimes majeures, il y a une nette majorité de femmes – alors qu’il y a 62% de garçons parmi les abusés mineurs – constate J.M. Sauvé. Parmi les victimes, certaines ont appartenu, et parfois appartiennent encore, à des communautés religieuses ou au clergé. On compte également une proportion élevée, de séminaristes et de religieux en formation. Un jeune majeur en discernement de vocation peut être une proie facile. Mais le président de la CIASE note aussi qu’un certain nombre de prédateurs ont parfaitement compris la portée de ce qu’ils faisaient: le 18e anniversaire de la victime a été pour certains le moment attendu pour déployer une stratégie active d’abus qui restait auparavant feutrée.
Jean-Marc Sauvé a aussi été très troublé de voir à quel point la spiritualité et la Bible ont pu être dévoyées pour développer une stratégie de prédation et assouvir des pulsions sexuelles. Pour lui, l’abus sur personne majeure combine des éléments d’abus d’autorité mais aussi des formes sophistiquées d’abus de conscience. Avec par exemple l’idée, plus ou moins explicitement exprimée, que la loi commune ne s’appliquerait pas à des élus ou à une élite spirituelle.
La question du caractère systémique de ces abus est aussi posée. «Un abuseur, dès lors qu’il assume une fonction hiérarchique importante, peut favoriser l’émergence d’un système d’abus, a fortiori s’il est fondateur», estime J.M. Sauvé. D’où l’importance du choix des supérieurs, de la limitation des pouvoirs, de la durée des mandats, et des mécanismes internes de régulation.
Si les abus ont davantage concerné les communautés nouvelles, ni le clergé diocésain, ni les ordres dits historiques, n’ont été à l’abri de dérives. Hors de tout abus personnel, toute erreur de discernement ou de gouvernance peut avoir des conséquences graves, rappelle le président Sauvé. (cath.ch/cx/mp)
La CIASE
Jean-Marc Sauvé a été désigné en novembre 2018 par la Conférence des évêques de France et la Conférence des religieuses et religieux de France pour constituer la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) commis depuis 1950.
La commission composée de 24 membres a lancé en juin 2019 un appel à témoignages. 5’000 appels de victimes ont été reçus. Cette campagne aurait dû s’achever en juin 2020, mais en raison du Covid-19, la date butoir est repoussée au 31 octobre. Le rapport final, initialement prévu pour début 2021, devrait être remis en automne 2021. MP
Maurice Page
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