Brésil: l’Église catholique au bord de la crise

La vidéoconférence publique qui a réuni Jair Bolsonaro et des représentants des plus importants groupes catholiques de communication du pays ébranle l’unité le d’Église catholique brésilienne. L’institution est plus que jamais divisée entre une aile conservatrice minoritaire mais puissante, et une Conférence épiscopale irritée mais qui cherche à éteindre l’incendie.

Officiellement, la conversation les «yeux dans les yeux» a été «limpide et sincère». Mais, selon de nombreuses sources, la réunion «en urgence» organisée le 9 juin par Mgr Walmor Oliveira de Azevedo, président de la Conférence épiscopale du Brésil (CNBB) avec les évêques de quatre diocèses a été l’occasion d’échanges plutôt vifs entre les participants. Au centre des débats figurait, il est vrai, l’offre de «traitement médiatique positif» des actions du président Jair Bolsonaro en échange de subventions, formulée récemment par des représentants de chaînes de TV et de radio catholiques. Une proposition qui a ébranlé l’Église et qui pourrait provoquer une rupture profonde au sein du clergé brésilien.

«Honteux mercenaires»

Les prêtres qui ont participé à la vidéoconférence avec Jair Bolsonaro l’ont reconnu volontiers: ils ne s’attendaient pas à une réaction de cette ampleur. Se disant «victimes de violentes insultes sur les réseaux sociaux», après la médiatisation de la vidéoconférence, ils ont assuré qu’ils craignaient juste que «leurs activités soient impactées» par la crise. Excuse jugée insuffisante par Mgr José Ionilton Lisboa de Oliveira, évêque de Itacoatiara, dans l’État d’Amazonas, et vice-président de la Commission pastorale de la Terre (CPT). Pour lui, ces prêtres sont de «honteux mercenaires», qui se sont «vendus au gouvernement» et qui ont «fait de la foi catholique un marché, au point de demander de l’argent en promettant d’appuyer le gouvernement».

Les religieux vilipendés ont cependant pu compter sur l’appui de leurs supérieurs. C’est le cas de Mgr José Antônio Peruzzo, archevêque de Curitiba, connu pour ses positions très conservatrices, qui a défendu le prêtre chanteur Reginaldo Manzotti, accusé de s’être livré à un «marchandage» avec le président brésilien. Invité sur l’une des chaînes du Père Manzotti, Mgr Peruzzo, a voulu apaiser les débats, qualifiant ces critiques de «malheureuses» et «repoussantes» pour l’unité de l’Église catholique. «Ce qui est arrivé n’est pas un conflit, mais des différences à cause de malentendus involontaires. Il y a des gens qui diront qu’il y a des ruptures internes au sein de la CNBB. Mais ce n’est pas le cas».

Commercialiser la foi

À voir. Car si les évêques ont présenté leurs excuses au nom des participants à la vidéoconférence avec Jair Bolsonaro, l’épisode risque néanmoins de laisser de profonds antagonismes. D’autant que, le jour même de la réunion des évêques, le Conseil national du laïcat du Brésil, la Commission brésilienne Justice et Paix, la Conférence nationale des instituts séculiers et la «Conférence nationale Foi et Politique Mgr Helder Camara» ont exprimé leur accord «total et sans restriction» avec la CNBB.

«Nous rejetons avec véhémence toute activité religieuse qui ose commercialiser la foi, principalement lorsque ce commerce est réalisé à travers la promotion de politiques qui produisent la mort», peut-on lire dans un communiqué commun. «Mieux vaut une Église pauvre et vraie plutôt que préoccupée à négocier des budgets publicitaires (…)». Par ailleurs, les quatre entités ont assuré ne pas reconnaître la représentativité du Front parlementaire mixte catholique apostolique romain (FPMCAR), qui regroupe 207 parlementaires sur 513 au sein de l’Assemblée nationale. Le FPMCAR a facilité la tenue de la vidéoconférence avec le Palais présidentiel.

Pas de divergence avec la CNBB

Cette mise au point n’est pas fortuite. «L’aile conservatrice est largement minoritaire au sein de l’Église Catholique, mais elle dispose d’une grande visibilité et de moyens importants, souligne Rodrigo Coppe Caldeira, historien et professeur de sciences de la religion à l’Université pontificale catholique du Minas Gerais, à Belo Horizonte. Elle est composée de nombreux religieux et laïcs réactionnaires qui frayent avec le pouvoir et qui contribuent à la division de l’institution à laquelle nous assistons depuis un certain temps».

Parmi eux figurent les groupes religieux liés au Renouveau charismatique catholique (RCC), au centre des critiques pour leur conservatisme et les libertés prises avec les lignes pastorales de la CNBB. S’ils bénéficient régulièrement du soutien de plusieurs députés du FPMCAR, ils affirment cependant ne pas avoir de «tendances politiques partisanes». Ils ont également assuré, dans un récent communiqué, que «toute allusion de désengagement du RCC avec la Conférence épiscopale (était) absurde et ne correspondait en rien à la vérité». De leur côté, les députés du FPMCAR ont nié «toute divergence avec la CNBB» et indiqué que leur «appui au président Bolsonaro n’a pas été conditionné à l’acceptation des demandes des TVs et radios religieuses».

La «menace» évangélique

Soucieux de mettre un terme -en tout cas provisoirement- à cette crise, le président de la CNBB a, dans un article publié le 13 juin, défendu l’alignement des TVS et radios d’inspiration catholique à la doctrine de l’Église. S’il admet que «le service de communication catholique affronte des défis dans un contexte sociopolitique contaminé par des disputes de pouvoir», il a néanmoins martelé que les moyens de communication catholiques ne sont pas assimilés à une «affaire privée» et que dans le cas où ils agissent de manière isolé, ils risquent de faire des «choix erronés» et des «propositions qui ne conduisent pas aux leçons de Jésus Christ».

Ces rappels sont d’autant plus importants que les menaces qui pèsent au-dessus l’Église brésilienne n’ont jamais été aussi fortes. «Plus que jamais, l’Église catholique doit marquer sa différence avec les Églises évangéliques qui soutiennent massivement le président Bolsonaro, qui sont très présentes au sein de l’exécutif et dont la progression irréversible constitue une vraie menace pour l’unité de l’Église catholique», conclut Rodrigo Coppe Caldeira. (cath.ch/jcg/rz)

Jean-Claude Gérez

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