Davide Pesenti
«Lors de la prière communautaire, je prends place au milieu de mes consœurs, en fonction de ma voix chantée», explique Daniela Ardizzoni, assise dans la quiétude de la chapelle située au cœur du siège de la congrégation des Sœurs de Saint-Maurice, sur les hauteurs de Bex (VD). Une communauté apostolique qu’elle dirige depuis septembre 2018.
«En tant que supérieure générale, je n’ai pas de tâches spécifiques durant les liturgies. Parfois, j’assume le rôle de chantre-animatrice, comme le font d’autres sœurs. Je suis une parmi elles. Dans les communautés apostoliques comme la nôtre, il n’y a en effet pas de signes distinctifs qui différencient la supérieure de ses consœurs, contrairement à la vie des communautés monastiques et leurs mère-abbesses».
Si aujourd’hui de nombreuses femmes demandent de pouvoir contribuer davantage à forger le visage de l’Eglise catholique, il y en a d’autres qui vivent leur responsabilité de gouvernance dans le dévouement serviable, loin des feux de la rampe.
«Le mot pouvoir me gêne un peu», s’exclame Sr Daniela. La Vaudoise est à la tête de la plus grande communauté de vie apostolique présente en Suisse romande. Une communauté qui compte plus de 100 religieuses entre la Suisse et Madagascar.
Sa responsabilité ne rime toutefois pas avec pouvoir. «Souvent le pouvoir on le prend. Moi, je n’ai pas pris le pouvoir. Il m’a simplement été demandé de vivre un temps de service, précise-elle. Car être supérieure signifie fondamentalement être au service; au service de la vocation spirituelle de la congrégation et de celle particulière de chaque consœur».
«Je n’ai pas pris le pouvoir. Il m’a simplement été demandé de vivre un temps de service.»
La religieuse en est convaincue: une telle responsabilité ne peut pas être vécue en dehors d’un relation personnelle au Christ-serviteur. «En mettant un tablier pour être au service de ses apôtres, le Christ nous a montré le chemin. Etre supérieure générale, c’est avoir une petite part à sa mission. Je n’ai donc pas à prendre un pouvoir, mais à consentir à cette mission, à la vivre en communion avec lui et en conformité à son enseignement».
Sœur Daniela partage sa responsabilité à la tête de sa congrégation avec le Conseil général. «Il ne faut pas considérer la supérieure générale indépendamment de son conseil! Avec trois consœurs, nous nous rencontrons trois à quatre fois par an pour régler ensemble les problèmes de notre congrégation, comme par exemple les enjeux économiques. Car une communauté doit pouvoir vivre avec l’argent qu’elle gagne et le redonner à ceux et celles qui en ont plus besoin. Mais nous sommes aussi garantes de la formation initiale des consœurs, du noviciat et de la vie de toute la congrégation».
Sa charge autorise la supérieure religieuse à prendre une décision en solitaire, mais seulement dans des rares cas. «Le Conseil général est là pour m’aider à prendre ma responsabilité. Il y a une certaine sagesse dans cette structure. Il pourrait être dangereux qu’une seule personne puisse décider de la pluie et du beau temps. Car on ne serait plus dans l’ordre du service», affirme Sœur Daniela.
Sa charge de supérieure est limitée dans le temps. «Je trouve toujours intéressant cette idée que dans la vie apostolique on assume la responsabilité d’une communauté pour un temps prédéterminé. Ce temps accompli, on revient dans les rangs», explique Sr Daniela. Car le but de la vie religieuse n’est absolument pas d’arriver à la tête de la congrégation. Il n’est pas souhaitable de le désirer; ce ne serait pas juste».
«Je trouve toujours intéressant cette idée que dans la vie apostolique on assume la responsabilité d’une communauté pour un temps prédéterminé.»
Car l’abus du pouvoir est une réalité bien réelle aussi dans la vie religieuse. «Toute personne qui arrive à un poste de responsabilité peut tomber dans le risque d’utiliser ce pouvoir de façon inappropriée; que ce soit au niveau politique ou ecclésial, prévient la sœur vaudoise. Mais si nous sommes chrétiens, nous sommes appelés à combattre ces tendances. Pour moi, cela fait partie du combat spirituel: échapper à la tentation de mettre la main sur l’autre et de croire que je suis au-dessus de lui».
Mais la charge de la religieuse n’est pas ressentie de la même façon en Suisse qu’à Madagascar. «Ici en Suisse, la supérieure générale est vue surtout comme une sœur parmi d’autres. Cela est peut-être aussi donné du fait que je suis la plus jeune. À Madagascar, en revanche, il y a une sorte d’aura autour de la supérieure générale. Non seulement auprès de mes consœurs, mais aussi aux yeux du clergé et de la population locale», témoigne Sœur Daniela qui va régulièrement rendre visite à ses consœurs malgaches. On lui laisse la place, on lui donne la parole, on la sert en premier… Je me sens gênée, car je suis européenne», confie-t-elle.
Ces différences culturelles sont parmi les chantiers principaux de sa mission. L’enjeu de l’unité de la congrégation étant majeur. «Que se soit en Afrique ou en Europe, nous avons la même foi. Elle est toutefois vécue différemment, comme c’est aussi le cas pour nos règles et notre façon de vivre en communauté. Un des plus grands défis de la supérieure générale est donc de maintenir le lien entre Madagascar et la Suisse. Elle doit être un pont au-dessus de ces différences culturelles».
«Comment vivre cette responsabilité particulière et, en même temps, demeurer une sœur à côté de mes consœurs?»
La façon d’incarner et d’exercer le rôle de supérieure générale demeure une question constamment à redéfinir, surtout dans une telle communauté multiculturelle. «En 2018, pendant notre chapitre général, le pape François nous rendait attentives au danger du cléricalisme et il évoquait l’importance d’y échapper. Depuis mon élection, je continue à y réfléchir: comment vivre cette responsabilité particulière et, en même temps, demeurer une sœur à côté de mes consœurs?»
Le mandat étant limité à cinq ans – avec possibilité de réélection – Sœur Daniela réfléchit, dès son élection, au moment où elle n’aura plus cette responsabilité. «Lorsque j’étais maîtresse des novices, j’ai suivi une formation à Paris, se rappelle-t-elle. Un jour, le jésuite qui nous formait, m’a dit: ‘Quand on a des postes à responsabilité, il faut se préparer, dés le début, à passer la main’. J’ai trouvé ce conseil très intéressant. Car c’est la meilleure façon pour ne pas mettre la main sur la charge. Je commence donc déjà maintenant à réfléchir à comment transmettre ma responsabilité à celle qui me succèdera».
Se préparer, dès le début, à lâcher le poste serait-il donc une sorte d’antidote contre le risque d’autoritarisme? «Certes, il ne s’agit pas de négliger sa responsabilité. Mais il faut pouvoir s’engager pleinement, tout en sachant qu’un jour cet engagement prendra fin. Cela change la donne!» (cath.ch/dp)
Davide Pesenti
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