Davide Pesenti
Les femmes ne demandent pas seulement de contribuer à forger le futur visage de l’Eglise catholique. Aujourd’hui déjà, elles assument des responsabilités importantes à différents niveaux. Toutefois, l’accès à des compétences décisionnelles et leur participation au pouvoir demeurent assez limités. Même lorsqu’elles sont à la tête d’une institution ecclésiale nationale. C’est le cas de Renata Asal-Steger, depuis octobre 2019, présidente de la Conférence centrale catholique-romaine (RKZ).
Vous êtes la deuxième femme de l’histoire à la tête de la RKZ. Selon votre expérience, comment définiriez-vous le pouvoir en Eglise?
Renata Asal-Steger: avoir du pouvoir, c’est exercer une influence sur d’autres personnes; qu’il s’agisse d’individus isolés ou de groupes entiers. Récemment, la question du pouvoir dans l’Eglise est venue brutalement sur le devant de la scène avec la crise des abus sexuels. C’est une question essentielle et d’une haute actualité.
De quel pouvoir parle-t-on en Eglise?
Selon moi, le pouvoir dans l’Eglise se caractérise de trois manières. Premièrement, la tradition veut, qu’au sein de l’institution, la notion de pouvoir réponde à une logique masculine. Voilà pourquoi le débat sur la place des femmes dans l’Eglise est tellement important! Il convient de les faire aussi participer à l’exercice de ce pouvoir.
Ensuite, le pouvoir en Eglise est lié à des symboles et à des rituels religieux. Cela donne l’impression que ce pouvoir est saint, voire d’essence divine. C’est ainsi que s’explique le fait que nous sommes aussi fortement confrontés à des risques d’abus. Le pouvoir doit donc être limité et contrôlé.
Enfin, le pouvoir en Eglise appartient à des personnes spécifiques: le prêtre, l’évêque, le pape. Telle est la raison pour laquelle nous devons aussi nous intéresser à la question du partage du pourvoir.
Vous prônez donc une présence plus ample des femmes dans les instances décisionnelles de l’Eglise catholique. Quelles formes de responsabilité y assumez-vous actuellement?
Le système dual propre au catholicisme suisse fait cohabiter la hiérarchie canonique avec des structures laïques. Dans ce système, unique au monde, l’organe formé de laïcs qu’est le conseil synodal est responsable principalement des aspects financiers, administratifs et organisationnels de la vie de l’Eglise. En revanche, il ne jouit d’aucune compétence dans le domaine pastoral.
Au sein de la corporation ecclésiastique cantonale lucernoise, je suis membre du conseil synodal. «C’est disposer de beaucoup de pouvoir», me direz-vous. En réalité, les Eglises cantonales fonctionnent à l’image de l’Etat. Les décisions appartiennent au peuple et au parlement, c’est-à-dire le synode, tandis que le conseil synodal les met en œuvre.
Dans le canton de Lucerne, les décisions importantes sont prises à l’échelon des paroisses et du synode. En tant que conseillère synodale, il m’appartient de les exécuter. Certes, je jouis d’une certaine marge de manœuvre, mais seulement dans les limites de ce processus démocratique.
«En ce qui concerne ma fonction de présidente de la RKZ, je ne parlerais pas de pouvoir, mais plutôt de compétences et de leviers d’action»
Et en tant que présidente de la Conférence centrale catholique romaine, la faîtière qui rassemble toutes les organisations ecclésiastiques cantonales de Suisse?
En ce qui concerne ma fonction de présidente de la RKZ, je ne parlerais pas de pouvoir, mais plutôt de compétences et de leviers d’action. Certes, je peux exercer une influence au niveau national. Mais là aussi, je suis liée par les décisions de l’assemblée plénière des délégués qui est l’organe suprême. Et au sein de la présidence, qui est un organe collégial, je ne suis qu’un membre parmi d’autres.
Cela dit, il m’appartient de diriger les séances de la présidence et de conduire les débats des trois assemblées plénières annuelles. En outre, je peux proposer des sujets de réflexion et des procédures à suivre. Je représente aussi la Conférence centrale vis-à-vis de l’extérieur; et cela en concertation avec mes collègues de la présidence. De la sorte, je lui donne un visage.
Enfin, j’exerce une influence aussi au niveau des rapports de collaboration entre la RKZ et la Conférence des évêques suisses (CES), en particulier à l’échelon de leur organisme paritaire commun, le Conseil de coopération. C’est là que se traitent les questions d’intérêt mutuel. Car la vie de l’Eglise à l’échelon national obéit à la même logique duale: les questions pastorales sont du ressort des évêques, tandis que la Conférence centrale assume des tâches financières, administratives et organisationnelles.
A vous entendre, votre pouvoir est très partagé et votre marge de manœuvre assez limitée…
Dans des structures démocratiques, davantage en Suisse, le pouvoir est toujours partagé! De plus, son exercice est limité dans le temps. Mais cela n’empêche pas d’avoir une authentique marge de manœuvre.
Au sein de la présidence de la RKZ, par exemple, nous sommes deux femmes et trois hommes. Ensemble, nous préparons les dossiers qui seront traités lors des trois assemblées plénières annuelles. En tant que présidente, je suis surtout responsable que les décisions soient le fruit d’un consensus. Si tel n’est pas le cas, il n’y a pas d’édification possible de l’Eglise. La devise de la Conférence centrale traduit bien cette préoccupation: «Parce qu’ensemble, on va plus loin.»
Mais il faut reconnaître qu’il existe encore des limites importantes au partage du pouvoir dans la vie ecclésiale…
Je vois surtout des limites dans le domaine pastoral. Dans ce domaine, les femmes catholiques restent discriminées. Certaines tâches dirigeantes, l’accès aux ministères consacrés, et par conséquent, la présidence des sacrements, leur sont interdits du fait de leur sexe.
C’est choquant. Face au monde, l’Eglise catholique défend le principe selon lequel tous les humains ont la même dignité. Or, qui dit même dignité, dit aussi droits identiques. L’un ne va pas sans l’autre. Cet état de choses résulte de règles du droit canonique. Or, vouloir modifier celles-ci se heurte à un obstacle de taille, dans la mesure où seuls des hommes sont habilités à en décider et à reconnaître une participation égalitaire aux femmes.
«Je vois surtout des limites dans le domaine pastoral. Dans ce domaine, les femmes catholiques restent discriminées.»
C’est pour cette raison que vous vous engagez pour un pouvoir partagé entre hommes et femmes dans l’Eglise?
Le nœud du problème réside dans le fait que tous les humains ont la même dignité et les mêmes droits. Il est inadmissible qu’une Eglise défende les droits humains, tout en déniant aux femmes des droits identiques à ceux reconnus aux hommes en son sein.
Je ne le répéterai jamais assez: même dignité et mêmes droits vont de pair! Oui, en ce sens, les femmes souhaitent avoir du pouvoir et influencer le cours des choses. Elles veulent participer à l’édification de l’Eglise, assumer des responsabilités et lui donner un visage qui ait de plus en plus aussi des traits féminins.
Plusieurs réseaux de femmes s’engagent pour que ces revendications ne restent pas lettre morte. Quels sont les principaux chantiers intra-ecclésiaux, à votre avis?
Le chantier le plus important de l’Eglise catholique est incontestablement celui du renouveau de l’institution. On attend de cette démarche qu’elle restaure sa crédibilité qui, en Suisse comme à l’échelle planétaire, a gravement souffert du scandale des abus sexuels et de leur dissimulation.
Mais la question de la crédibilité est aussi étroitement liée à celle de l’implication des laïcs et particulièrement de la place réservée aux femmes. Personnellement, je suis convaincue que l’Eglise catholique ne retrouvera sa crédibilité que si les femmes participeront, sur une base égalitaire, aux processus de décision en son sein. (cath.ch/dp)
Davide Pesenti
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