Maria do Socorro dos Santos Silva est infirmière depuis six ans dans l’un des hôpitaux de Manaus, la capitale de l’Etat d’Amazonas, au cœur de l’Amazonie brésilienne. Cinquième agglomération la plus impactée du pays par la Covid-19 avec 20’422 personnes contaminées et 1’432 morts au 6 juin, selon des chiffres officiels largement sous-évalués, la ville de deux millions d’habitants souffre de structures sanitaires limitées et souvent défaillantes. Dans un entretien publié sur le site jésuite Instituto Humanitas Unisinos, elle répond aux questions du Père Luis Miguel Modino.
En tant que religieuse travaillant dans le domaine de la Santé, quels sont vos sentiments face aux difficultés rencontrées?
Maria do Socorro dos Santos Silva: face à cette pandémie, je ressens un profond sentiment d’impuissance! Nous, les personnels soignants, n’étions absolument pas préparés à cette réalité qui nous a tous surprise et nous ressentons de l’insécurité et de l’incapacité à remplir notre mission. En tant que religieuses travaillant dans le domaine de la santé, nous pleurons la perte de personnes que nous essayons d’aider au maximum, mais qui ne survivent pas toujours. Nous pleurons aussi de voir des collègues de travail tomber malades. C’est un moment qui requiert beaucoup de foi et d’assurance en Dieu. Nous constatons également que le gouvernement ne nous a pas préparés à cette réalité. Dès le début, nous avons manqué de matériel garantissant notre sécurité et celle des patients. Nous vivons dans la peur et le désespoir de voir qu’une bonne partie de la population ne se protège pas.
«Nous pleurons la perte de personnes que nous essayons d’aider au maximum, mais qui ne survivent pas toujours.»
Où trouvez-vous la force de revenir travailler chaque jour à l’hôpital?
Je rentre le soir avec un sentiment d’incapacité. Mais le jour suivant, je sais que je dois retourner à l’hôpital. Je trouve la force dans la prière, dans la certitude que Dieu est avec moi et qu’il a confiance en ma mission. L’autre force dont je me nourris est la solidarité des nombreuses personnes qui prient pour nous. Je reçois beaucoup de messages et d’appels me disant: «Tu n’es pas seule, nous sommes avec toi, aies foi en Dieu».
Où et comment découvrir la présence de Dieu au sein de l’hôpital, face à cette situation particulière?
Je sens la présence de Dieu dans l’accueil de chaque patient. Aller vers lui, savoir comment il se sent, l’inciter à se calmer pour parvenir à respirer, le voir supporter la douleur, tout en sachant que vous lui avez déjà administré tous les médicaments dont vous disposez. Quand on ne peut plus rien faire en tant qu’infirmière, c’est là que l’on rencontre Dieu, en lui disant qu’il va être fort, que nous sommes avec lui, qu’il n’est pas seul, et que la famille est une source de force. Je rencontre Dieu quand je dis aux patients: «Aie foi en Dieu, ça va passer. Dieu est avec toi». Et eux disent alors qu’ils croient. Je rencontre Dieu aussi lorsque, plus tard, ils me confient: «Au moment où vous êtes venue me parler de Dieu, j’ai commencé à me sentir mieux».
Le 12 mai dernier, journée internationale de l’infirmière, le pape François a remercié les infirmières et infirmiers comme des exemples d’héroïsme. Qu’avez-vous ressenti?
Cela donne de la force de voir le pape valoriser cette profession, de le sentir percevoir combien les infirmières et infirmiers luttent. Cette pandémie apporte un peu de reconnaissance aux professionnels de la santé. L’infirmerie, c’est l’art du soin. Un soin inconditionnel, un soin pour quelqu’un que vous n’avez jamais vu. Pourtant, vous soignez cette personne comme si vous la connaissiez, comme si elle faisait partie de votre famille. Quand le pape évoque tout cela, il reconnaît que nous donnons nos propres vies pour en soigner d’autres qui en ont besoin.
«C’était très difficile car trois patients se trouvaient en détresse respiratoire en même temps et nous n’étions que cinq infirmières»
Quel a été le moment le plus marquant, lors de ces dernières semaines?
C’est lorsque trois patients de notre service ont soudainement vu leur situation s’aggraver en même temps. Nous avons sollicité l’aide de l’équipe de réanimation, mais le médecin nous a dit que son service était submergé et qu’il était en train d’intuber un patient. Impossible donc pour lui de venir à notre secours. Cela a été un choc pour notre équipe. Nous avions fait tout ce qui était possible en tant qu’infirmières. Et c’est là qu’apparaît la présence de Dieu. L’équipe s’est divisée afin d’aider les patients à trouver les meilleures positions pour respirer et afin de les calmer. C’était très difficile car trois patients se trouvaient en détresse respiratoire en même temps et nous n’étions que cinq infirmières, sans savoir vraiment que faire. Lorsque nous en avons discuté après coup, nous avons tous évoqué un sentiment d’impuissance. Grâce à Dieu, aucun des trois patients n’a succombé.
«Croire en cette force majeure qui nous meut, qui est Dieu, nous invite à ne pas perdre espoir»
Qu’apprenez-vous de cette période difficile Et qu’est-il, selon vous, possible de retirer de positif de cette pandémie?
Je conserve cet esprit de solidarité et d’aide mutuelle, cette solidarité entre les communautés et de la part de personnes inconnues. Je crois que nous allons sortir meilleurs de tout cela, avec plus d’espoir et d’avantage de présence de Dieu, avec la capacité à sentir Dieu dans la vie de l’autre. Je crois que tout dans cette vie se rénove, recommence, renaît, avance. Croire en cette force majeure qui nous meut, qui est Dieu, apporte la paix et le bonheur et nous invite à ne pas perdre espoir, à être toujours en faveur de la vie, en faveur de tous. (cath.ch/jcg/cp)
Jean-Claude Gérez
Portail catholique suisse
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