On ne peut pas dire que depuis le début de la crise du coronavirus Jair Bolsonaro fasse figure de modèle. Très attentiste dans sa gestion de la pandémie, il a laissé aux gouverneurs des États le soin de prendre des mesures qu’il critique aujourd’hui ouvertement. Entre-temps, il a limogé deux fois son ministre de la santé et celui de la justice a claqué la porte, explique Emilie Ridard pour swissinfo.ch
À l’instar de Donald Trump aux États-Unis, le président brésilien a commencé par minimiser la gravité de la crise. A la mi-mars, il n’avait encore ordonné aucune mesure d’ampleur pour endiguer la propagation du coronavirus. Face à cette inaction, les gouverneurs des différents États du Brésil ont pris les devants.
Dans l’État de Rio, on voyait déjà début mars les problèmes arriver, indique à swissinfo.ch Marcio Folly, un Suisso-Brésilien qui réside dans le nord de la région. «L’État a donc pris la décision de fermer les commerces, les écoles, les théâtres et les cinémas. Il a aussi imposé le port du masque.» Selon ses informations, sept hôpitaux de campagne ont été construits, mais «le matériel manque. Conséquence: les soignants tombent malades à leur tour et meurent. C’est le serpent qui se mord la queue», explique le professeur d’université en microbiologie vétérinaire.
Jair Bolsonaro remet régulièrement le confinement en cause publiquement et est opposé au gel des activités économiques non essentielles imposé par plusieurs États. «Il a publié le 19 mai un décret selon lequel les coiffeurs, les salons de beauté et les salles de sports pouvaient reprendre le travail. Mais les États ont répondu qu’ils ne l’appliqueraient pas. On assiste à une lutte incessante», explique Marcio Folly.
Au 21 mai, le Brésil recensait officiellement 310’000 cas et franchissait le seuil des 20’000 morts. Il dénombre actuellement plus de 1’000 morts par jour et il est devenu ainsi le 3e pays le plus touché au monde. Selon une étude de chercheurs brésiliens, le nombre de cas de contamination serait quinze fois plus élevé que les chiffres officiels.
Devant l’ampleur de la crise sanitaire, la désinvolture de Jair Bolsonaro passe mal. Un climat délétère règne au sommet de l’État. Après s’être mis la majorité des gouverneurs à dos, c’est toute la classe politique qui critique les mesures et l’attitude du président. Y compris l’extrême droite.
Le gouvernement a prévu d’injecter 147 milliards de réais (un peu plus de 24 milliards de francs suisses) pour soutenir l’économie, mais l’ampleur de la crise économique risque d’être bien supérieure.
Comme dans nombre de pays, les travailleurs de l’économie informelle et notamment les employées domestiques font notamment les frais de la crise. Le Brésil en compte plus six millions. La plupart ont été licenciées du jour au lendemain. Ces emplois précaires sont souvent occupés par des mères célibataires ou des habitantes des favelas. Elles doivent désormais faire face à la pauvreté et au risque accru de contamination. «Dans les favelas, les gens vivent les uns sur les autres dans une grande pauvreté. De plus, les Brésiliens sont très tactiles, ce qui n’arrange rien», estime Marcio Folly.
La crise est également une catastrophe pour la forêt tropicale et les peuples indigènes. Selon le système d’alerte satellitaire de l’Institut national de recherche spatiale du Brésil (INPE), la déforestation aurait augmenté de 30% en mars 2020 par rapport à l’année précédente.
Depuis le début de la pandémie, la police environnementale a réduit ses patrouilles au strict minimum. Officiellement, ce serait dans le but de protéger ses agents. Pour les ONG, il s’agirait plutôt d’une manœuvre du gouvernement climato-sceptique brésilien pour faciliter l’exploitation de la forêt.
Dans l’État fédéral du Mato Grosso, le gouvernement abuse de la procédure d’urgence pour tenter de faire passer, à la faveur de la pandémie de coronavirus, une loi qui porterait gravement atteinte au droit des peuples indigènes sur leurs propres terres. L’organisation autochtone OPAN (Operação Amazônia Nativa) partenaire de longue date de l’Action de Carême, a alerté l’opinion publique.
La constitution brésilienne prévoit la création de zones réservées aux communautés indigènes, qui doivent toutefois entreprendre de longues démarches administratives avant que ces zones puissent être délimitées. Il faut également savoir qu’un individu peut acquérir des droits d’utilisation sur un terrain simplement en déclarant en être le propriétaire. L’État est alors tenu de vérifier si cette demande est légitime et si la législation environnementale s’applique dans le cas d’espèce. Or, ces derniers temps, un nombre croissant de dossiers ont été exemptés de cet examen.
Le gouverneur du Mato Grosso a en outre proposé au Parlement régional de modifier la loi pour que quiconque puisse faire valoir ses droits sur un territoire déjà utilisé par des indigènes, à condition que les démarches administratives concernant ce territoire n’aient pas encore abouti. »Cette révision se heurte de plein fouet à la Constitution brésilienne et aux arrêts de la Cour suprême», dénonce Andreia Fanzeres, d’OPAN. Suite à l’intervention de l’organisation indigène, le parquet fédéral de Brasilia est intervenu pour demander au gouvernement du Mato Grosso de suspendre l’examen du projet de loi tant que toutes ses conséquences n’auront pas été établies. (cath.ch/swissinfo.ch/com/mp)
Maurice Page
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