Face aux menaces de mort, «le Saint-Père m’a demandé de quitter le Nicaragua», révélait Mgr Silvio José Báez le 10 avril 2019 sur son compte Twitter. Le pape argentin l’avait reçu en audience au Vatican le 4 avril 2019 et lui avait demandé «d’aller à Rome un certain temps». François lui avait déclaré ne pas vouloir d’un autre évêque martyr en Amérique centrale.
En accord avec le pontife argentin, Mgr Baez est allé dans divers endroits, «pas seulement à Rome». L’évêque auxiliaire de Managua est l’un des prélats les plus critiques envers le régime du président Daniel Ortega, contesté depuis le printemps 2018 par de nombreuses manifestations réprimées dans le sang.
Interrogé par l’Iscom (Istituto Superiore delle Comunicazioni e delle Tecnologie dell’Informazione) à Rome au cours d’une vidéo-conférence le 12 mai 2020 depuis Miami, aux Etats-Unis. Il était en Floride pour visiter sa famille qui y vit en exil, et est désormais confiné en raison du Covid-19. Le prélat nicaraguayen affirme que le pape François suit la situation de près.
En 2018, à la suite d’une réforme de la sécurité sociale et des retraites menée par le gouvernement du président Daniel Ortega, en fonction depuis 2007, des manifestations éclatent dans tout le pays. Des barricades sont organisées et les affrontements avec la police font en quelques mois entre 300 et 400 morts. Depuis, le pays est plongé dans une crise politique. Plus de 80’000 personnes ont été contraintes de fuir le Nicaragua, et les arrestations d’opposants se multiplient.
La situation actuelle est «critique», raconte Mgr Baez depuis Miami, parce que de nombreuses personnes sont persécutées, mises en prison. La population n’a plus le droit de manifester: «toute personne munie d’un drapeau national [bleu et blanc] est emmenée en prison. On ne peut se promener à plus de trois ou quatre. La liberté de la presse est inexistante et des chaînes de TV sont tout simplement fermées ou nationalisées».
Dans ce contexte, «j’ai reçu de nombreuses menaces de mort et ai été visé par une guerre médiatique», témoigne-t-il. «C’est pourquoi le Saint-Père m’a demandé en 2019 de quitter le Nicaragua pour protéger ma vie, je n’aurais jamais laissé le pays sinon». Le pape s’est fait très proche de la Conférence épiscopale nicaraguayenne (CEN), se réjouit le prélat carmélite car »nous l’avons entendu à maintes reprises s’exprimer comme un frère».
Les canaux doivent rester «ouverts» entre l’Eglise et le régime
«Personnellement, je l’ai rencontré trois fois à la Résidence Sainte-Marthe [au Vatican] depuis que j’ai quitté le pays, et je peux affirmer qu’il s’intéresse énormément à la situation, pose de nombreuses questions et m’a beaucoup soutenu».
De nombreuses personnes attendent une condamnation de sa part, déclare-t-il, mais le rapport avec l’Etat ne peut être «clos». Pour l’évêque, il est crucial que «les canaux restent ouverts» entre l’Eglise et le régime afin de permettre un véritable dialogue de paix à l’avenir.
Les Nicaraguayens, affirme le prélat, se tournent vers l’Eglise pour chercher sa protection. Le pays est «dépourvu de figure de leadership», ce qui pousse la population à faire appel aux évêques pour les protéger de l’Etat. «Mais ce n’est pas notre rôle !», s’exclame Mgr Baez. Le pays n’a pas seulement besoin d’hommes politiques chrétiens selon lui, mais de chrétiens suffisamment courageux pour s’engager en politique, afin de constituer une société démocratique axée sur la doctrine sociale de l’Eglise.
Dans le même temps, le gouvernement regarde aussi l’Eglise et la sollicite pour remplir un rôle de médiateur d’un dialogue national. Les prélats sont donc à la fois pasteurs et médiateurs, «alors que la situation exige que nous soyons le plus neutre possible». Cette situation de tiraillement a conduit à une rupture entre le régime et l’Eglise. Désormais, le gouvernement accuse l’Eglise d’être à l’origine d’une tentative de coup d’Etat et les prélats «de terrorisme», comme s’ils étaient responsables des mouvements sociaux. A ses yeux, «l’Eglise ne doit pas se taire par crainte d’être persécutée».
«Quand j’échange avec les Nicaraguayens et leur demande ce qu’ils attendent du futur, bien sûr ils m’évoquent leur désir de liberté et de paix». Mais un autre élément mis en relief durant cette période critique revient systématiquement: la raison. La population exprime «plus que tout» un besoin de rationalité». Ce manque s’explique notamment par le besoin urgent d’une éducation de qualité. (cath.ch/imedia/ah/iscom/sir/be)
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