Confiné pour cause de pandémie, le festival du film documentaire Visions du Réel à Nyon donne accès selon certains horaires aux films de sa programmation. Un tour du monde de 167 documentaires issus de 58 pays, à découvrir jusqu’au 2 mai sur le site du festival. Parmi les films disponibles en ligne ce week-end, deux documentaires ont retenu notre attention. Centrés sur la thématique de l’asile, ils en déclinent deux approches différentes, familiale et sociale pour «Reunited», subjective et intimiste pour «Purple Sea».
En ouverture de ce long-métrage, plein cadre sur un homme debout devant la voiture familiale. À sa droite, ses deux jeunes garçons. Entre eux, assise sur le siège passager, leur mère. La photo d’une famille heureuse … jusqu’à ce que la guerre éclate et les sépare.
Le film de la réalisatrice danoise Mira Jargil nous emmène dans l’aventure kafkaïenne de Mira, la femme tout sourire de la photo. Pédiatre installée à Alep, en Syrie, elle a dû fuir son pays où la guerre a fait plus de 5 millions de réfugiés.«Cette famille est un exemple de la façon dont la vie peut basculer en un clin d’œil, explique la réalisatrice. La banque, où Rana et Mukhles, son mari, avaient leurs économies, a été bombardée et l’argent confisqué. Leur maison et la clinique pédiatrique de Rana ont été réduites en miettes, avant même leur départ.»Depuis, la complexité et l’hypocrisie de l’administration a fait voler en éclat sa famille. Son mari, médecin lui aussi, vit au Canada, leurs deux fils en Turquie et elle au Danemark!
«Reunited» décrit avec une infinie délicatesse la douleur d’une famille qui se bat pour être à nouveau réunie. Mira se démène pour que ses enfants puissent la rejoindre au Danemark, malgré des autorités danoises et turques sourdes à sa souffrance. De son côté, au Canada, son mari attend depuis des mois une réponse des services de l’immigration. À Istanbul, leurs fils, qui suivent l’école pour les réfugiés syriens, vivent seuls et Nidal, l’aîné, fait de son mieux pour s’occuper de son petit frère. Mais le temps qui passe et les courts appels via Skype qui leur permettent de se retrouver leur laissent parfois un goût proche de l’amertume du désespoir.
«J’ai voulu donner un aperçu des conséquences des politiques d’asile en Europe et apporter un éclairage sur le destin d’une famille, pour donner au débat une perspective humaine», explique la réalisatrice. Pari réussi, «Reunited» est un film poignant et nécessaire.
Ce film très fort est un huis-clos qui raconte l’indicible. Rescapée du naufrage du canot pneumatique qui la transportait avec 315 autres compatriotes entre la côte turque et l’île grecque de Lesbos, le 28 octobre 2015, la réalisatrice syrienne Amel Alzakout explique qu’il lui a fallu un an pour visionner l’intégralité des images prises avec son portable durant le drame et trouver la bonne manière de les partager.
La vision subjective unique qu’offre «Purple Sea» est à l’opposé du langage visuel standardisé que donnent les journaux télévisés des naufrages de réfugiés en Méditerranée. C’est en tant que réfugiée fuyant la Syrie que la réalisatrice s’est trouvée embarquée, ignorant si elle en sortirait vivante. Le résultat est une plongée en apnée d’une puissance inouïe, qui donne à voir la réalité de l’impensable.
Ses images heurtées sont aussi chaotiques que le drame qui se déroule sous nos yeux. Telle une litanie visuelle, ses plans serrés, à moitié engloutis, s’arrêtent sur un patchwork d’habits qui flottent, de doigts flétris par l’humidité, de jambes pédalant au-dessus du gouffre. «Dans l’eau de mer, raconte la réalisatrice, je n’avais pas le contrôle de ma caméra. J’avais attaché mon portable qui filmait à mon poignet, alors que j’essayais de survivre».
Ses images nous font ressentir en direct la terreur de l’engloutissement, tout en révélant le parti pris de l’intériorité: Amel Alzakout ne montre pas les visages des passagers. «Avec Khaled Abdulwahe, mon compagnon et co-réalisateur, nous estimons que personne n’a le droit de montrer des visages de personnes qui luttent pour leur survie, explique la réalisatrice. C’est pour le bien de leur dignité.»
Ses plans serrés dénotent au contraire un retour sur soi, dans une forme de dissociation du temps et de l’espace, face à la terreur de la mort : «Non seulement l’utilisation de plans serrés, précise-t-elle, mais aussi une narration serrée qui enferme le public dans ce huis-clos de quelques mètres d’eau qui nous entourait et de pensées aléatoires.»
Le commentaire off déroule ainsi un dialogue intérieur où se mêlent souvenirs anciens et retours au présent, avec une douceur dans la voix qui contraste avec le chaos aquatique, les cris d’épouvante et les coups de sifflet des naufragés. «Le texte de la voix off reflète l’état d’esprit de quelqu’un qui tente de survivre à une telle tragédie. Pendant notre lutte pour survivre, des émotions comme le calme, la dissociation de l’environnement, le vide et la distance ont progressivement pénétré en moi et chez les autres, après la panique extrême ressentie et exprimée au début. Ce sont les sentiments de désespoir et d’abandon». (cath.ch/cp)
Visions du Réel: une édition 2020 à découvrir en ligne jusqu’au 2 mai
Pour consulter et visionner les films de la programmation disponible, il vous suffit de vous connecter à l’adresse www.visionsdureel.ch, de vous enregistrer en entrant votre adresse e-mail et en créant un mot de passe.
«Reunited», Mira Jargil, Danemarque, 1h 17m
Attention: ce film n’est disponible que le 25 avril dès 17h, et pendant 24h, limité à 500 places.
«Purple Sea», Amel Alzakout, Khaled Abdulwahed, Allemagne, 1h 7m
Disponible en ligne du 25 avril au 2 mai, limité à 500 places.
Carole Pirker
Portail catholique suisse
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