Prêtre diocésain depuis 1989, ancien aumônier militaire, Daniel Julián a été appelé à fonder l’Aumônerie de la police de cette province quatre fois plus grande que la Suisse, au centre-nord de l’Argentine, il y a tout juste neuf ans. Il a été sollicité par le gouverneur de la province, après un terrible accident d’avion. «Les policiers et les pompiers, qui devaient se charger des restes des victimes, n’étaient pas préparés ni accompagnés. Ils étaient secoués, sans recours…»
C’est ainsi qu’est né au sein de la police provinciale le département de la «capellania policial», chargé de la pastorale auprès du personnel policier et de leur famille. Placée sous l’égide de Notre-Dame du Rosaire du Miracle, patronne de la province de Cordoba et de la police provinciale, cette Aumônerie est une initiative unique en son genre en Argentine.
En effet, explique l’aumônier principal Daniel Julián, l’Aumônerie, qui couvre toute la province ecclésiastique de Cordoba (l’archidiocèse de Córdoba, les diocèses de Cruz del Eje, de Río Cuarto, de San Francisco et de Villa María, ainsi que la prélature territoriale de Deán Funes), compte 13 prêtres, mais également 38 agents pastoraux, tous policiers, officiers ou sous-officiers!
«C’est effectivement unique dans toute l’Argentine: nos assistants pastoraux sont des policiers, avec la même formation que leurs camarades», confie l’aumônier en chef, qui fait lui-même partie du sommet de l’organigramme de la police provinciale. L’Aumônerie de la police accomplit un travail pastoral important dans les six diocèses de la province, en accompagnant spirituellement la vie, la famille et le travail du personnel policier de l’institution.
Ces fonctionnaires en uniforme – hommes et femmes – sont détachés pour faire du travail pastoral dans vingt-et-une sections couvrant l’ensemble du territoire de la province. «Nous avons ainsi un centre pastoral dans les 25 départements de la province. L’Aumônerie est financée par la Province: 50 salaires et 11 véhicules».
La policière Cristina Viera, de la prélature de Deán Funes, est la plus ancienne assistante pastorale de l’Aumônerie. Elle a dû faire ses preuves dans une société particulièrement machiste.
Cristina relève qu’au début, elle ne servait que de secrétaire pour le prêtre travaillant comme aumônier. «Je n’étais qu’assistante administrative et lui servais de chauffeur, mais je me suis formée! L’image du policier change quand il participe à la vie de la paroisse, aux fêtes patronales, comme ministre de l’eucharistie. Les citoyens le remercient, surtout dans les campagnes. Cette présence ecclésiale raccourcit les distances entre la police et les citoyens!»
Dans le département de San Justo et dans la ville de Río Cuarto, l’Aumônerie de la police a mis sur pied deux Centres d’orientation familiale (COF). «Cinq autres sont prévus dans le futur», précise le Père Julián, qui exerce également à Cordoba la fonction de curé de la paroisse de Nuestra Señora de Fatima et de doyen du collège paroissial.
Ces COF sont formés d’une équipe multidisciplinaire de professionnels, dont des diplômés en orientation familiale, psychologues, médiateurs familiaux, conseillers matrimoniaux, consultants familiaux et agents pastoraux formés dans des domaines connexes. La fondation de droit pontifical «Aide à l’Eglise en Détresse» (ACN) fournit des bourses d’étude pour les policiers qui suivent des études par correspondance comme orienteurs familiaux à l’Universidad Austral de Buenos Aires, comme nous explique le caporal de première classe Gustavo Manuel Moro, du diocèse de Villa María.
Ces policiers assistants pastoraux sont amenés à suivre des situations familiales complexes, d’où le besoin d’une formation spécifique. «Nous rencontrons beaucoup de problèmes dans les familles de policiers, cela est dû, en raison des exigences du service, aux absences fréquentes du père ou de la mère. Nous avons affaire à des difficultés dans le dialogue au sein du couple, avec les enfants, à des cas de violence…», explique le caporal Gustavo Manuel Moro. Le milieu policier, comme le reste de la société argentine, connaît les problèmes des familles séparées, divorcées, recomposées, les difficultés financières, les cas de violence intrafamiliale…
«Notre engagement, c’est d’abord travailler à humaniser le milieu, pour pouvoir après évangéliser», martèle l’aumônier en chef. «Le policier est exposé de façon permanente aux aspects complexes et sales de la société. Il est confronté tous les jours à ce qu’il y a de pire dans la société, ce n’est pas étonnant qu’il y ait beaucoup de suicides au sein du corps de police. Beaucoup d’entre eux viennent de milieux sociaux très modestes, sans beaucoup de formation. Ils ont des armes, la force, la puissance, et ainsi le pouvoir de faire le bien, mais aussi de faire le mal. Et tout ceci dans une société où la corruption est très présente!»
Si, dans la société, l’Eglise est bien acceptée, souligne le Père Julián, ce n’est pas le cas de la police, qui est davantage crainte que respectée. «Dans notre cas, l’Eglise joue un rôle d’intermédiaire entre les citoyens et les policiers, censés les protéger. Nous les formons, notamment dans le domaine de l’éthique professionnelle et de la morale. Nous organisons chaque année diverses retraites spirituelles de trois jours, auxquelles participent un millier de policiers».
Des délégations gouvernementales – de Buenos Aires, San Luis, Tucuman, Rio Negro, Mendoza, etc. – viennent voir comment travaille la «capellania policial» de la province de Cordoba à former des policiers intègres. «Car, insiste l’aumônier en chef, instruire est une chose, former aux valeurs une toute autre chose! La tâche est difficile dans une société qui fait face à la destruction de la famille, où le sacrement du mariage est dévalué, voire inexistant».
Et le Père Francisco Mora, curé de la paroisse de Nuestra Señora del Carmen, à Cordoba, de souligner que dans sa paroisse de 60’000 fidèles, il n’y a eu en un an que 7 mariages religieux. «Grâce à l’engagement de l’Aumônerie de la police, 120 jeunes de 18 à 27 ans – des cadets et des aspirants policiers – suivent une catéchèse. Pour beaucoup d’entre eux, c’est la première fois qu’ils y ont droit. Ils seront baptisés, feront leur première communion et se marieront à l’église», assure-t-il. Et d’espérer que les valeurs que l’Aumônerie leur transmet les dissuaderont de se laisser piéger par tant d’offres malsaines diffusées sur les réseaux sociaux et leur éviteront ce chaos personnel dont sont victimes de nombreux jeunes Argentins. (cath.ch/be)
Un pays où le catholicisme recule
En une décennie, la proportion de catholiques en Argentine a diminué de 13,6%, bien qu’ils soient encore majoritaires, passant de 76,5 % en 2008 à 62,9 % en 2019, selon une étude du CONICET. Ce Conseil national de la recherche scientifique et technique, une entité autonome dédiée à la promotion de la recherche scientifique et technologique dans le pays, collabore avec les institutions de l’Etat argentin.
Les sans-religions sont passés dans le même temps de 11,3 % à 18,9 %, et les évangéliques (en majorité de tendance pentecôtiste) de 9 % à 15,3 %.La région nord-ouest est la plus catholique, mais de 2008 à 2019, la proportion de catholiques est passée de 91,7% à 76%. La Région métropolitaine de Buenos Aires (AMBA), qui comprend la ville de Buenos Aires et une partie de la province de Buenos Aires, ainsi que la Patagonie, ont la plus forte proportion de personnes non religieuses. Dans l’AMBA, une région de 15 millions d’habitants (37% de la population argentine), la proportion de catholiques est passée de 69,1 % en 2008 à 56,4% en 2019.
Près d’un quart des jeunes se déclarent sans religion
Près de 25% des jeunes de 18 à 29 ans se déclarent sans religion, contre 7,7% pour les plus de 65 ans. Les jeunes Argentins ne sont plus que 52,2 % à se déclarer catholiques. La proportion de catholiques (81,5%) est la plus importante chez les plus de 65 ans et celle des évangéliques (19,9%) chez les 18-29 ans. Les Témoins de Jéhovah et les Mormons sont passés dans le même temps de 0,7% à 1,4%.
Selon une étude de l’institut de sondage Gallup en 2018, l’Argentine est le troisième pays d’Amérique latine, après Cuba et l’Uruguay, à avoir une partie non négligeable de sa population déclarant que la religion n’a pas une importance primordiale dans sa vie. Seuls 63% des Argentins sont d’accord pour dire que la religion est importante dans leur vie quotidienne. JB
La province de Cordoba est une province de l’Argentine. Située dans le centre-nord du pays, elle est parfois appelée le «Cœur de l’Argentine». Sa capitale est Cordoba, la deuxième plus grande ville du pays. La province a une superficie de 165’321 km2 et une population de plus de 3,5 habitants, ce qui en fait la deuxième province la plus peuplée du pays, après celle de Buenos Aires. JB
Jacques Berset, en compagnie d’Ulrich Kny, responsable de la Section Amérique latine II de la fondation de droit pontifical «Aide à l’Eglise en Détresse» (ACN), à Königstein (Allemagne), a visité en février 2020 plusieurs diocèses au nord de l’Argentine et en Patagonie, au sud du pays.
Jacques Berset
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/argentine-lexperience-unique-des-policiers-aumoniers-de-cordoba/