par Angélique Tasiaux, CathoBel
L’époque actuelle rompt avec les semaines habituellement chargées, entre obligations scolaires et activités extrascolaires, quelquefois aussi nombreuses que les jours de la semaine. Les rendez-vous ont disparu des agendas, les déplacements aussi. Place à la vie sur place, s’accommodant des jouets disponibles, parfois retrouvés dans le fond d’un grenier.
Dans notre société européenne de surconsommation, les enfants n’ont pas l’habitude de se voir refuser leurs demandes, a fortiori exprimées de manière pressante. Dans les années 90, observe la psychologue clinicienne et psychanalyste, «l’individu devient un être tourné vers lui-même, vers son propre intérêt, et vivant dans l’idée qu’il peut se passer des autres».
Sous l’influence d’un individualisme sans cesse accru, «la représentation de la famille est devenue une affaire privée de laquelle on ne se mêle pas. Le sentiment de solitude parentale s’en trouve accentué, et, quand le navire familial est secoué par des vents contraires, le sujet ne sait plus comment redresser la barre».
«Ces nouveaux parents du 21e siècle sont isolés dans leurs vécus parentaux»
En découle une génération de parents peu confiants dans leurs propres ressources et capacités. «Ces nouveaux parents du 21e siècle ne sont pas isolés dans leur vie sociale, mais ils le sont dans leurs vécus parentaux. Ils n’ont plus de repères, ils doutent d’eux-mêmes, dévorant les magazines qui leur expliquent comment être parent».
De fil en aiguille, l’ennui en est arrivé à être abhorré, voire traqué, dans bien des familles. «Mais c’est en acceptant et même en assumant de frustrer son enfant, de le laisser agir seul, de lui accorder un espace personnel, de lui imposer des temps d’ennui, que le parent crée les conditions de sa croissance, de son bonheur», pointe Sophie Marinopoulos. En effet, le désœuvrement participe à l’apprentissage de l’enfant, il lui permet d’acquérir peu à peu son autonomie.
Et la psychologue de développer un plaidoyer en faveur de ce temps fécond en apprentissages divers. «L’ennui révèle une dimension secrète de l’être. Il touche aux liens intimes adultes/enfants, mais aussi aux liens entre adultes. (…) C’est en acceptant et même en assumant de frustrer son enfant, de le laisser agir seul, de lui accorder un espace personnel, de lui imposer des temps d’ennui, que le parent crée les conditions de sa croissance, de son bonheur.»
«Un enfant n’est pas un adulte en miniature qui doit savoir ‘se tenir en public’. C’est un adulte en devenir, et dans ‘devenir’ il y a les notions de processus, de construction, du fait d’être en transformation. C’est à notre société de soutenir le parent dans ce rôle pour qu’il puisse passer ces caps de la vie familiale. Nous devons apprendre collectivement à supporter l’ennui de nos enfants, au lieu de les remplir pour les faire taire.»
«une promesse d’ennui est un don de temps: un espace-temps personnel où chacun peut rêver de l’avenir»
Il y va d’une responsabilité de la société entière, pourtant encline à multiplier les possibilités d’activité dès le plus jeune âge. «Notre époque nous comble d’objets et d’activités, avec des effets sur notre être et notre lien au temps. La vie se consomme, s’achète, dans une accélération qui donne à chacun le sentiment de toujours courir après le temps. Et l’enfant est, comme l’adulte, embarqué dans cette spirale qui lui fait accélérer le pas.»
Pour Sophie Marinopoulos, «une promesse d’ennui est un don de temps, d’un espace-temps personnel où chacun peut rêver du futur, de l’avenir. Une promesse d’ennui est le temps de la croissance, qui autorise et accompagne la construction de l’enfant.»
Ces semaines-ci, de nombreuses familles font l’expérience de temps de partage inhabituels. Des jeux de société ou des conversations à bâtons rompus prennent leur source dans ces moments hors cadre et exceptionnels à ce titre. Il ne s’agit pas de remplir coûte que coûte ceux-ci, mais de les envisager comme des possibilités offertes au jour le jour. Ce temps de vacance ou de vide prolongé peut s’avérer une aubaine pour les enfants qui vont tester autrement leurs capacités, en découvrir aussi de nouvelles. (cath.ch/cathobel/gr)
Sophie Marinopoulos, «Les trésors de l’ennui», Ed. Yapaka, 2017.
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