Les Eglises cantonales agitent la menace financière contre Coire

Comme au temps de ‘l’Affaire Haas’ dans les années 1990, les Eglises cantonales faisant partie du diocèse de Coire  pourraient réduire ou geler leur contribution financière à l’évêché de Coire en signe de protestation contre sa direction. En cause, la mise à pied par Mgr Pierre Bürcher de l’abbé Martin Kopp, son délégué pour la Suisse centrale.  

«Si le diocèse s’éloigne de nous, je ne peux pas exclure que la contribution à son financement soit réduite», a déclaré, le 31 mars 2020, Gunthard Orglmeister, président du Conseil de l’Eglise du canton d’Uri. Il y a quelques années le parlement de la corporation ecclésiastique cantonale avait accepté d’augmenter sa contribution au diocèse, notamment pour financer le vicariat d’Uri. Mais cette augmentation pourrait être remise en cause après le renvoi de l’abbé Martin Kopp, a déclaré à kath.ch le président de l’exécutif de la corporation ecclésiastique uranaise.

Même son de cloche du côté d’Obwald. Willi Schmidlin, président de l’exécutif de l’Eglise cantonale, partage l’avis de son homologue uranais, surtout au cas où le vicaire général actuel Martin Grichting devenait évêque de Coire.

La Conférence de Biberbrugg veut une action concertée

Le Schwytzois Werner Inderbitzin, vice-président de la Conférence de Biberbrugg qui réunit les Eglises cantonales du diocèse, plaide pour une action concertée. Si seule l’une ou l’autre d’entre elles coupe le robinet financier, cela ne dérangera pas beaucoup le diocèse, explique-t-il.

La Conférence de Biberbrugg a réagi le 30 mars à l’éviction de Martin Kopp par l’envoi d’une lettre de protestation officielle. Dans cette missive, la Conférence prend position aussi sur la nomination du nouvel évêque de Coire. Pour elle, un bon évêque ne suffit pas, il faut aussi changer toutes les têtes de l’administration diocésaine.

Le mouvement de protestation devrait pouvoir compter sur l’appui de la puissante Eglise du canton de Zurich. «Si nos collègues de Suisse centrale mettent en route une telle action, nous sommes prêts à les soutenir», explique Franziska Driessen-Reding, présidente du Conseil synodal de la corporation ecclésiastique zurichoise.

Mgr Bürcher dans son bon droit

Divers spécialistes du droit canon, consultés par kath.ch, considèrent néanmoins qu’en renvoyant Martin Kopp, Mgr Pierre Bürcher n’a pas outrepassé ses droits en tant qu’administrateur apostolique du diocèse de Coire.

Pour le professeur Yves Mausen, titulaire de la Chaire d’histoire du droit et de droit des religions à l’Université de Fribourg, une telle décision fait partie des compétences courantes de l’administration d’un diocèse. Selon lui, Martin Kopp ne peut pas se prévaloir de la liberté d’expression garantie par la Constitution fédérale. Il s’agit d’une question de devoir de confidentialité et de confiance puisque Mgr Bürcher avait explicitement ordonné aux membres du Conseil épiscopal de ne pas s’exprimer publiquement sur la nomination du nouvel évêque de Coire.

Astrid Kaptijn, professeure de droit canon à l’Université de Fribourg, partage un avis similaire. Pour elle, la liberté de religion implique aussi pour les Eglises la liberté de s’organiser selon leurs propres critères pour autant que l’ordre public ne soit pas violé. Elle n’en trouve pas moins regrettable la polarisation dans le diocèse de Coire, entre ceux qui défendent la liberté absolue de l’Eglise et ceux qui en appellent à l’Etat pour contrer des décisions ecclésiales. «Une telle polarisation ne mène à rien.»

Violation d’un ordre explicite de son supérieur

Enseignant notamment le droit ecclésiastique et le droit canon, Andreas Thier, professeur à la Faculté de droit à l’Université de Zurich, explique que si Martin Kopp a perdu son poste, c’est en raison de la violation d’une directive explicite de son supérieur, Mgr Bürcher. Pour lui, dans le cadre des intérêts de l’Eglise institutionnelle, ce devoir de réserve était justifié. La question serait d’ailleurs plutôt que Martin Kopp s’était déjà exprimé par le passé de manière très critique sans être sanctionné par Mgr Bürcher.

Enfin Urs Brosi, secrétaire général de la corporation ecclésiastique catholique du canton de Thurgovie et enseignant de droit canon, rappelle que les rapports de travail, pas seulement en Eglise, peuvent limiter la liberté d’expression des personnes qui représentent une institution. Même si la charge de délégué de l’administrateur apostolique [le titre de l’abbé Martin Kopp depuis l’arrivée de Mgr Bürcher à Coire comme administrateur apostolique, suite au départ de l’évêque Vitus Huonder, ndlr] est une construction incertaine, non prévue par le droit canon, cela n’empêche pas un administrateur apostolique de la retirer, conclut-il. (cath.ch/kath.ch/gs/rp/mp)

Maurice Page

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