Décès de Henri Tincq, journaliste français spécialiste du religieux

Ancien journaliste à «La Croix» puis au «Monde» où il a tenu la rubrique religions de 1985 à 2008, le journaliste français Henri Tincq, 74 ans, est mort dimanche soir 29 mars, emporté par le coronavirus. L’hommage de son ancien confrère, Nicolas Senèze.

Nous sommes fin mai 2001, en Ukraine, quelques semaines avant le voyage  de Jean-Paul II sur cette terre orthodoxe et ex-soviétique. À la tête d’un petit groupe de journalistes français, Henri Tincq nous emmène de monastères en cathédrales, de séminaires en universités, à la découverte des subtilités du christianisme ukrainien.

Inlassablement, il titille nos interlocuteurs par ses questions, nous éclaire de ses explications, nous fait rire par ses anecdotes, nous exaspère aussi, parfois, par ses susceptibilités. Car tel était Henri Tincq, emporté dimanche soir 29 mars à l’âge de 74 ans par le coronavirus : un journaliste précis et à la plume alerte, aussi agaçant que bon camarade.

Racines ch’tis

C’est à La Croix que ce cet enfant du bassin minier, né le 2 novembre 1945 à Fouquières-lez-Lens (Pas-de-Calais), avait fait ses premières armes dans la presse nationale. Licencié en lettres modernes, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’École de journalisme de Lille, il y arrive en 1972 au service économique et social avant de devenir chef du service politique en 1977.

Rédacteur en chef adjoint en 1981, il sera brièvement chef du service d’information religieuse en 1983 avant de rejoindre Le Monde deux ans plus tard. « Il avait répondu aux sirènes du Monde, presque en s’excusant de quitter La Croix où il n’avait que des amis », raconte Dominique Gerbaud. Ancien rédacteur en chef de La Croix, il a longtemps côtoyé « Riton » qui, rappelle-t-il, « n’a jamais rompu avec ses origines », notamment ses racines ch’tis, restant toujours un grand supporter du RC Lens.

Admiration pour Jean-Marie Lustiger

Sous son égide, la rubrique religion du Monde, où il succède à Henri Fesquet qui l’avait créée en 1948, prend vite un «s» final, signe d’une attention plus grande aux autres confessions, même si l’évolution du catholicisme sous Jean-Paul II reste sa grande passion. Ses articles sont redoutés et font autant réagir les lecteurs que les plus hauts responsables.

«Intransigeant avec son Eglise catholique, il a pu déranger quelques notables, résume Dominique Gerbaud. Henri Tincq admirait Mgr Jean-Marie Lustiger dont il était proche et auquel il a consacré une biographie, Le Cardinal prophète.  Il avait été séduit par le parcours de ce converti, par ses analyses, son autorité et surtout par les intuitions du cardinal. »

Au Monde, Henri Tincq voit aussi évoluer l’approche des religions par une société de plus en plus sécularisée. «La religion institutionnelle, les querelles internes n’intéressent plus les lecteurs,expliquera-t-il en 2008 au médiateur. Nous nous efforçons d’observer le fait religieux dans toutes ses dimensions, historiques, éthiques et culturelles. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre mais de respecter, de rendre compte, d’organiser le débat et de laisser le lecteur se faire une opinion.»

Travailleur infatigable

S’il prend sa retraite en 2008, Henri Tincq n’en lâche pas pour autant la plume ni la passion du journalisme. Travailleur infatigable, il collabore au média en ligne Slate.fr et ne cesse d’écrire des livres où il se montre toujours un observateur soucieux, et parfois nostalgique, d’un catholicisme dont il regrettait une dérive droitière voire identitaire.

Malgré des problèmes de rein qui l’ont toujours handicapé, nécessitant de planifier des dialyses partout où il allait, il ne cesse pas non plus de voyager. Comme ce jour où, à Moscou, un coup de fil de l’hôpital lui annonce la disponibilité d’un rein tant attendu. Un avion et un épique Paris-Poitiers en taxi plus tard, il changeait de vie.

Fidèle en amitié et droit

Les greffes n’ont toutefois qu’un temps, et la maladie rénale qui a emporté tant des membres de sa famille avait rattrapé le journaliste qui, depuis quelques mois, devait à nouveau se faire régulièrement dialyser. Affaibli, Henri Tincq n’a pas pu résister au coronavirus, accompagné néanmoins par l’équipe soignante de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) qui, malgré l’épidémie, a fait preuve jusqu’au bout d’une grande humanité, selon sa famille.

« Henri était un gars bien, fidèle en amitié, droit, engagé dans sa paroisse de Saint-Maur, résume Dominique Gerbaud. Il avait tout de même un défaut. Il était maladroit à l’aile droite lorsqu’il jouait dans l’équipe de football de Bayard Presse, mais on le lui pardonnait. Parce qu’on l’aimait beaucoup, notre Riton.»Étant donné les circonstances sanitaires, seule une cérémonie dans la stricte intimité devrait avoir lieu. Un hommage ultérieur plus large devrait lui être rendu dans sa paroisse de Saint-Maur (Val-de-Marne). (cath.ch/cx/ns/cp)

Un observateur avisé du monde catholique

Observateur avisé du monde catholique, Henri Tincq est l’auteur de nombreux ouvrages, dont dernièrement «Vatican, la fin d’un monde», publié en 2019 aux éditions du Cerf, dans lequel il dénonçait récemment le gouvernement «clérical» et «sexiste» de l’Eglise. Il est notamment l’auteur de «La grande peur des catholiques de France», éd. Grasset, 2018, de l’encyclopédie catholique «Théo», éd. MAME, dont la 3ème édition est parue en 2019, et dont il a assuré la direction de publication. On lui doit aussi «Saint-Jean-Paul II, l’homme de Dieu, l’arpenteur du monde», éd. Télémaque, 2016, «Catholicisme, le retour des intégristes», CNRS_éd. 2009, ou encore «Les Catholiques», éd. Grasset, 2008. (cp)

Carole Pirker

Portail catholique suisse

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