Cristina Vonzun, catt.ch / traduction adaptation Maurice Page
Dom Lepori, le coronavirus nous a privé de notre dimension communautaire ou l’a soudainement réduite à quelques personnes du noyau familial. Comment vivre cette situation anormale ?
Dom Mauro Lepori: Comme une occasion de découvrir une communion plus profonde avec chacun. Paradoxalement, alors que nous pouvons à peine sortir de chez nous, que nous ne pouvons pas voyager, aller dans des lieux publics, serrer des mains, etc., nous percevons une solidarité universelle profonde. La conscience que nous sommes unis non seulement par la même épreuve, le même danger, mais par une réelle communion de vie, de pensée, de compassion.
Il nous apparaît aussi à quel point la société moderne ne nous éduque pas vraiment à cela, à quel point nous ne sommes pas préparés à être avec les autres, même avec nos proches dans la famille. Avant, il y avait toujours une excuse plausible : le travail, les engagements, l’école, le sport, etc. La hâte n’est pas tant le contraire du calme, mais de la rencontre, de la relation, de l’écoute de l’autre, de l’attention mutuelle. Maintenant que toute l’agitation extérieure est partie, peut-être que beaucoup de gens se découvrent immatures au plan relationnel.
C’est pourquoi il est important de nous aider à ne pas réduire la solidarité que nous ressentons, à un «nous» qui s’oppose aux «autres» : l’autre famille, l’autre ville ou région, l’autre nation, l’autre continent.
Dans la solitude émergent les peurs, les angoisses, la fragilité physique et spirituelle. Quelle parole de consolation la foi nous offre-t-elle?
Lorsque Jésus dormait sur la barque dans laquelle il était avec les disciples, qui risquait de couler à cause de la tempête, ses apôtres le réveillent. Il calme la mer d’un seul mot, et pose aux disciples deux questions : «Pourquoi avez-vous peur? N’avez-vous pas encore la foi?» (Mc 4:40). Ces deux questions doivent vraiment nous interpeller. Auparavant, nous pensions peut-être que nous n’avions pas à avoir peur de quoi que ce soit. Ou nous pensions avoir assez de foi parce que rien ne la mettait à l’épreuve. En fin de compte, le problème n’est pas tant la peur ou la foi. Le problème est notre relation avec Dieu. Quelle est l’importance existentielle du Seigneur dans nos vies? Quel est le rapport entre Jésus-Christ et notre vie concrète? Et avec la vie du monde ? […]
«La foi change-t-elle notre regard sur ce qui se passe, de beau ou de laid, d’heureux ou de douloureux?»
Pour le chrétien, Jésus est le sauveur. Qu’est-ce que cela signifie de nos jours ?
Le Fils de Dieu nous sauve du péché et de la mort, nous sauve du non-sens de la vie, nous sauve de la solitude et de la haine. Cela depuis deux mille ans, et nous ne l’avons presque pas remarqué. Ou nous avons vécu de façon réduite la portée de ce Salut universel qu’Il nous a donné et nous donne par sa mort sur la croix et sa résurrection. Est-ce que cela nous importe? Cela a-t-il un effet sur notre conscience et sur notre vie? Cela change-t-il notre regard sur ce qui se passe, de beau ou de laid, d’heureux ou de douloureux? L’épidémie met en une la réalité à laquelle aucun d’entre nous ne pourra échapper tôt ou tard: que nous sommes fragiles, mortels, que nous n’avons pas notre vie entre nos mains. La foi est la véritable importance que nous accordons au salut du Christ. […] La situation actuelle est une grande opportunité de permettre au Christ de raviver la foi en nous. […]
Certains face à la pandémie évoquent le châtiment divin. Pourquoi de telles théories apparaissent-elles toujours dans des moments de crise? Dieu est-il comme cela?
Je ne suis pas Dieu pour le savoir, mais je ne reconnais pas dans cette image le Dieu que j’ai rencontré en Jésus-Christ qui m’a révélé le Père. Quiconque lit dans les catastrophes du monde un châtiment divin devrait commencer par se demander pourquoi Dieu ne le frappe pas lui d’abord, avant tant de personnes innocentes. Notre problème n’est pas de croire en un Dieu qui nous châtie, mais en un Dieu qui nous aime infiniment, qui est plein de miséricorde et de tendresse.
«L’image d’un Dieu qui suscite la peur ne nous aide pas à grandir dans une relation d’amour avec Lui»
L’image d’un Dieu qui suscite la peur ne nous aide pas à grandir dans une relation d’amour avec Lui. Il est mort sur la croix pour nous révéler qu’il ne mendie que de l’amour de notre part. «J’ai soif !», dit-il juste avant de mourir. Sainte Mère Teresa de Calcutta a vécu toute sa vie en se consumant pour les plus pauvres et les plus misérables, précisément parce qu’elle a été frappée par cette parole de Jésus sur la croix, par cette soif d’amour qui brûle dans toutes les pauvretés et les misères humaines.
Puis il y a la mort, une issue soudainement redoutée. Malgré son âge et sa santé, elle restait le plus souvent considérée comme lointaine. Comment la regarder, la sienne et celle de ceux qui nous sont chers, avec la foi?
Regarder la mort avec foi, c’est la regarder à la lumière du Ressuscité, à la lumière de celui qui a vaincu la mort, qui a fait de la mort, la sienne et la nôtre, une nouvelle naissance. L’homme ne réussira jamais à vaincre la mort comme la disparition et la fin de cette vie. Mais avec le Christ, la mort change de visage, elle n’est plus une ennemie. L’aspect le plus douloureux de la mort est la solitude. En ces temps, c’est précisément ce qui nous fait le plus mal, que beaucoup doivent mourir seuls, c’est-à-dire loin de leurs proches. Jésus a pénétré dans l’abîme le plus profond de notre mort, de notre solitude, de notre abandon. Avec nous et pour nous, il a crié: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?» (Mt 27, 46 ; Ps 21, 9). Mais il est ressuscité. […] C’est pourquoi nous pouvons et devons nous tourner vers la mort en mendiant et en acceptant la présence du Ressuscité qui nous est déjà donnée.
«Je rêve d’une humanité que cette épidémie aura vaccinée contre la lèpre du superflu»
Lorsque les nuages de ce moment difficile se dissiperont, quelle humanité allons-nous voir apparaître?
Peut-être une humanité plus pauvre, plus simple, plus humble et heureuse de l’être. Une humanité que cette épidémie aura vaccinée contre la lèpre du superflu, la vanité superficielle qui n’écoute pas, ne prête pas attention à l’autre, ne cherche que son propre intérêt. Une humanité qui aura perdu le goût de l’éphémère et dans laquelle subsistera une soif d’absolu. Une soif qui apprécie chaque goutte de rosée, chaque mince filet d’eau de source. Une humanité qui a plus de goût pour la beauté des relations, de l’attention mutuelle, à commencer dans les familles.
[…] Je me rends compte que l’arrêt que nous impose cette mystérieuse période de l’histoire fonctionne déjà comme si une source d’eau profonde et pure jaillissait en chacun de nous. Peut-être celle que Jésus a promise à la Samaritaine… (cath.ch/catt.ch/cv/mp)
Rédaction
Portail catholique suisse
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