Cath.ch l’a rencontré à l’Africanum, siège des missionnaires d’Afrique de Suisse à Fribourg. Charles Nalwango est l’une des chevilles ouvrières de l’ONG Alliance Kivu qui œuvre au développement de cette région enclavée et oubliée de la République démocratique du Congo (RDC) où domine une dense forêt équatoriale.
Il était invité le 13 mars à Fribourg et le 15 mars à Zurich par l’OSSK, l’Association d’instauration de l’Observatoire Social Sud Kivu, dont le siège se trouve en Suisse.
Depuis l’élection présidentielle en RDC, qui a eu lieu fin décembre 2018 et qui a vu le président Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo succéder à Joseph Kabila Kabange, l’intérêt médiatique pour cette région a diminué. Cependant, elle reste convoitée par différents acteurs internationaux et locaux qui s’intéressent avant tout à son potentiel économique, pas au bien-être ou à la survie de sa population.
Charles Nalwango nous décrit la réalité de cette région riche en ressources naturelles, accaparées par une petite minorité, mais dont la grande majorité de la population n’en tire aucun profit. »Ici, presque tout le monde est vulnérable, l’Etat a été totalement absent pendant 16 ans. Les parents ont dû se mobiliser pour payer eux-mêmes les enseignants», assène Charles Nalwango, ancien cadre de SOMINKI, la Société Minière et Industrielle du Kivu, contrainte de fermer ses portes à cause des guerres qui ont ravagé la région.
La langue de l’enseignement est le français, mais la population dans toute la zone parle en majorité le swahili, tandis que le kilega de Shabunda est surtout parlé par les natifs du territoire, le mashi étant la langue utilisée par les Shi, installés dans la région pour le commerce, et le lingala, surtout parlé par les militaires.
Le territoire a un sol sablonneux très riche pour l’agriculture. On y cultive le manioc, le maïs, le riz, les arachides et les bananes, mais l’écoulement de ces produits est rendu impossible par l’état des routes: les véhicules font 2 ou 3 semaines pour se rendre à Bukavu !
La région regorge également de richesses minières comme l’or, la cassitérite (principal minerai de l’étain), le coltan (colombite-tantalite, utilisé notamment dans nos téléphones portables…)
Ce métal stratégique est convoité par les pays voisins (le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda, selon divers observateurs) qui y soutiennent des rébellions et des milices depuis plus de 20 ans.
Depuis plus de deux décennies, la région est en proie aux troubles: insécurité, malnutrition, pillages par des bandes armées, violences sexuelles…. Pendant la guerre qui a duré de 1995 à 2013, en raison des incursions des bandes armées, des affrontements entre les troupes rebelles du général Laurent Nkunda et l’armée nationale congolaise et ses alliés locaux, les populations se dispersaient dans la forêt, abandonnant les villages.
«Pendant des années, parfois pendant cinq ans, des jeunes ne sont plus allés à l’école. A leur âge, ils ne peuvent plus retourner aux études. Il n’y a plus de place pour eux à l’école, ils sont frustrés. C’est une jeunesse qui peut être facilement recrutée par les bandes armées», témoigne Charles Nalwango.
L’Alliance Kivu, une plateforme belgo-congolaise soutenue depuis 2007 par la ville belge de Ciney (grâce aussi au fonds Wallonie Bruxelles International), a mis sur pied dans la ville de Shabunda un centre de formation professionnelle. Des jeunes y sont formés, dans des cycles d’apprentissage de 9 mois, à divers métiers utiles à la population locale: maçonnerie, menuiserie, briqueterie, tuilerie…
«Ce sont des jeunes qui n’ont pas pu aller à l’école, qui ne maîtrisent pas la lecture et l’écriture, mais qui ont la volonté de s’en sortir. Grâce à cette formation professionnelle dans les métiers de la construction, le visage de Shabunda a changé. Les cases fragiles en terre et aux toits en paille et branches de palmiers, qui, faute d’entretien, étaient tombées en ruines quand les habitants se cachaient dans les forêts, sont petit à petit remplacées par des maisons solides en briques, avec des toitures en tuile».
«Nous donnons une formation à des jeunes en décrochage scolaire ou à des anciens enfants-soldats, qui auront ainsi un emploi et des revenus, et seront autonomes. Nous avons déjà formé de cette façon plus de 600 jeunes».
A Kalima, sur le territoire de Pangi, dans la province du Maniema, frontalière du Sud-Kivu, l’association de Charles Nalwango a permis à toute une population de profiter maintenant, à un prix abordable, de sources de protéines animales, grâce à la construction d’étangs piscicoles et à la mise en place d’un centre agro-pastoral où l’on élève du petit bétail.
«Avant, les gens se procuraient de la viande en allant chasser le gibier dans la forêt, mais c’est désormais interdit par le gouvernement, alors il faut développer l’élevage. Et comme la culture sur brûlis n’est plus permise, nous développons de la matière organique compostée pour amender les cultures».
Malgré sa volonté d’autofinancement et sa vision de développement durable, Charles Nalwango parcourt la Suisse pour tenter d’obtenir des fonds pour son centre de formation. Les équipements de ses ateliers, financés au départ notamment par la commune de Ciney, doivent être renouvelés, tout comme l’émetteur de 300 watts de la radio communautaire Mutanga FM, qui était en panne pendant plusieurs mois.
Dans ce territoire enclavé, sans service postal, sans liaison internet facilement accessible ni moyens téléphoniques, la radio est l’outil de communication par excellence pour envoyer des messages aux personnes vivant dans les villages éloignés du centre de Shabunda. «C’est notre principal outil de sensibilisation et de développement, nous n’avons rien d’autre!» (cath.ch/be)
Blocus de l’aérodrome et premiers cas de coronavirus
Toutes les activités sont restées paralysées depuis fin février 2020 dans l’ensemble du territoire de Shabunda. Les habitants de cette partie du Sud-Kivu manifestent pour réclamer la réhabilitation de la route Bukavu-Shabunda complètement délabrée. Ils ont placé des troncs d’arbres sur la piste de l’aérodrome principal, pour empêcher tout atterrissage des avions à Shabunda.
En raison de ce blocus, l’hôpital général de Shabunda a annoncé une grave carence en médicaments qui proviennent généralement de Bukavu, alors que le pays fait face aux premiers cas de coronavirus Covid-19. Le délabrement de la route est à la base de la hausse des prix des biens sur le marché local, annonce Radio Okapi. JB
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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