«Il semble qu’une certaine normalité revienne. Cependant de grands efforts sont encore nécessaires pour le retour des chrétiens dans leurs villages de la Plaine de Ninive, au nord de l’Irak. Un certain temps s’écoulera encore avant que la dernière maison de ces villages dévastés ne soit restaurée», martèle le citoyen d’Effretikon (ZH) âgé de 58 ans. Et il n’est pas sûr que ces populations traumatisées, qui ont pu fuir en août 2014, juste avant l’invasion des terroristes de Daech, le soi-disant Etat islamique, vont rester dans cette région instable.
Devenu Abuna Yohanna depuis son ordination sacerdotale en 2012, Frère Jens est supérieur à Souleymanieh de la communauté mixte et œcuménique Al-Khalil, une filiale du monastère de Deir Mar Moussa al-Habashi (Saint Moïse l’Abyssin) fondé non loin de Damas, en Syrie, par le Père Paolo Dall’Oglio dans les années 1980.
Pas de nouvelles du Père Paolo Dall’Oglio, enlevé par Daech
Le Frère Jens n’a aucune nouvelle du jésuite italien Paolo Dall’Oglio, fondateur de sa communauté. Il a disparu depuis le 29 juillet 2013, alors qu’il était allé à la rencontre des cadres de Daech, à Raqqa, fief du «califat» de l’Etat islamique, au nord-est de la Syrie, pour obtenir la libération de plusieurs otages détenus par le groupe djihadiste. «Beaucoup d’histoires contradictoires circulent sur le sort du Père Paolo, mais il n’y a encore aucune preuve, dans un sens ou dans l’autre», confie-t-il cath.ch. Il pense qu’il y a peu d’espoir que son compagnon soit toujours en vie. JB
Consacrée au dialogue islamo-chrétien, la communauté Al-Khalil est installée depuis 2012 dans le quartier historique de Sabunkaran, à Souleymanieh, connu comme le «quartier des fabricants de savon». Frère Jens travaille actuellement dans cette métropole kurde avec une moniale originaire de Bavière, sœur Friederike Gräf, et le Père Jacques Mourad, prêtre syrien natif d’Alep, actuellement retenu au Liban, en raison de la fermeture des frontières.
Des 250 personnes que le monastère de la Vierge Marie a accueillies lors de l’invasion de Plaine de Ninive, un quart ont déjà émigré – légalement ou illégalement – et se trouvent désormais à l’étranger. Quelques-unes se sont installées à Ankawa, la banlieue chrétienne d’Erbil, au Kurdistan, d’autres sont retournées dans leur village. La majorité sont des syro-catholiques de Qaraqosh, les autres des assyro-chaldéens de Bartella.
«Probablement que la moitié de ceux qui sont retournés dans les villages, s’ils en ont la possibilité, vont repartir…» En plus du manque de confiance dans l’avenir, dans les autorités, et dans certains voisins musulmans qui, dans un premier temps, ont accueilli les bras ouverts les milices de Daech, la situation économique est très précaire et la corruption règne en maître…
«Les jeunes ne veulent pas être dans une cage, où ils ne peuvent pas bouger. Cela n’aurait pas grand sens de créer une région chrétienne, un ghetto au milieu de villages musulmans. La seule solution, c’est le dialogue et la réconciliation. Cela prendra du temps, bien sûr! Nous, comme Eglise, jusqu’à maintenant, nous n’avons pas vraiment été capables de dire aux chrétiens pourquoi ils devraient rester en Irak, quelle est leur mission. Nous avons bien essayé, mais nous n’avons pas réussi», relève le religieux zurichois.
Aux yeux du Père Jens Petzold, l’Eglise en Irak devrait être plus convaincante. Elle a trop longtemps défendu ses privilèges et a trop peu parlé de la solidarité avec tous, au-delà de la simple convivialité: «Il ne faut pas oublier que nombre de musulmans ont, eux aussi, subi la répression de Daech. La moitié des musulmans avaient fui Mossoul!»
La phase d’aide d’urgence étant depuis longtemps terminée, le monastère chaldéen de Souleymanieh a pu retourner à sa mission originale: développer le dialogue islamo-chrétien, par le vivre ensemble, le partage spirituel et intellectuel. «C’est la raison pour laquelle notre communauté travaille ici, à Deir Maryam al-Adhra. Nous n’avons pas la prétention de changer la réalité au Moyen-Orient, mais nous faisons des premiers pas, dans le cadre de notre monastère: nous nous adressons aux jeunes adultes, qui ont besoin d’éducation et de formation, et nous voulons leur ouvrir un horizon».
Avec son équipe d’une trentaine de professeurs et de collaborateurs, Frère Jens, dans le cadre de son monastère, offre une vaste palette d’activités. En premier lieu des cours de langue, car les réfugiés chrétiens sont arabophones, afin de maîtriser la langue locale, le kurde, et des notions d’anglais, pour avoir des perspectives d’emploi au Kurdistan.
«A Maryam al-Adhra, dès le début, nous avons constaté le problème de la communication entre les diverses ethnies de la population locale, notamment kurde et arabe. Nous avons fondé une école de langues. En 2015, suite à l’arrivée des déplacés chrétiens, nous avons organisé des cours de kurde pour leur intégration. Fin 2016, les cours ont été ouverts à tous les déplacés de langue arabe. En 2017, à l’initiative d’une ONG, nous avons organisé les cours d’anglais. Dans le même temps, nous avons suivi l’idée des jeunes Kurdes de Souleymanieh qui souhaitaient participer à des cours d’arabe…»
En outre, les femmes plus âgées ne parlent que le soureth, un dialecte de l’araméen, et ne sont souvent pas allées à l’école. Le monastère accueille aussi des femmes yézidies, qui suivent des cours d’alphabétisation, et offre des formations professionnelles, dans divers domaines comme la menuiserie, l’électricité, la plomberie, la ferronnerie, la soudure, la couture ou le secrétariat. Avec le soutien de diverses ONG, l’an dernier, plus de 600 personnes ont bénéficié de ses cours de langues et autres, et 150 autres ont suivi des cours de formation professionnelle.
Le monastère ne se limite pas à une école de langues ou une école professionnelle, mais devient un foyer culturel qui met à disposition, notamment, des cours sur la psychologie, les droits de l’homme, les sciences, ainsi que des instruments pour des réflexions d’ordre philosophiques et pour le dialogue inter-religieux. Pour Frère Jens, les chrétiens, qui ont un meilleur niveau de formation, peuvent aider à sortir du cercle vicieux du communautarisme, construire une société sur la base de la citoyenneté, pas sur le confessionnalisme. (cath.ch/be)
Aide à l’Eglise en Détresse s’engage pour les chrétiens d’Irak
Du 13 au 15 mars 2020, le Père Petzold a donné son témoignage dans diverses paroisses du canton de Zurich à l’invitation de la section suisse d’Aide à l’Eglise en Détresse (ACN) basée à Lucerne. L’œuvre d’entraide catholique s’est fortement engagée dans l’aide aux chrétiens d’Irak persécutés par Daech. L’aide d’urgence fournie par ACN en Irak ces dernières années s’élève à plus de 50 millions de francs suisses.
Lent retour des familles chassées par Daech
Le monastère de Deir Maryam Al-Adhra, une filiale du couvent de Mar Moussa, en Syrie, a vu arriver en août 2014 quelque 250 réfugiés ayant fui la prise des villages chrétiens de la Plaine de Ninive, près de Mossoul, par les djihadistes qui les pourchassaient.Après un accueil d’urgence de ces familles dans le monastère, le religieux suisse a pu aider à les reloger. ACN a notamment fourni un soutien pour permettre le relogement des réfugiés dans des préfabriqués. Le moine zurichois a soutenu ces réfugiés, tant chrétiens et yézidis que musulmans, en payant soins médicaux, frais d’électricité et de scolarité, grâce à l’aide d’ONG, notamment à l’Œuvre d’Orient à Paris et Aide à l’Eglise en Détresse (ACN).
La Plaine de Ninive ayant été libérée par les forces de sécurité irakiennes fin 2016, les familles ont commencé à retourner dans leurs foyers en partie détruits par les combats et la folie destructrice des djihadistes, le monastère s’est peu à peu vidé de ses réfugiés. Aujourd’hui, la communauté monastique chaldéenne de Souleymanieh n’abrite plus aucune famille. Il reste six familles chrétiennes près du monastère, dans des maisons et des préfabriqués. Ce sont des familles syriennes syro-catholiques, chaldéennes et assyriennes.
Etablir des ponts entre chrétiens et musulmans
Avant le secours aux réfugiés chrétiens de la Plaine de Ninive, la première mission du moine suisse était toute autre: il était chargé de faire revivre à Souleymanieh le monastère de la Vierge Marie, avec pour but d’établir des ponts entre chrétiens et musulmans. Sa communauté avait été invitée en 2012 à s’insérer au sein de cette grande ville, l’un des principaux centres du Kurdistan irakien, par celui qui était à l’époque l’évêque de Kirkouk, Mgr Louis Sako, aujourd’hui patriarche de Babylone des Chaldéens, à Bagdad. JB
Un athée fasciné par la spiritualité de l’Extrême-Orient
Issu d’une famille athée venant de Berlin, après une formation d’employé de commerce à Zurich, Jens Petzold a travaillé à la Poste, avant de partir à l’aventure sur les routes après le décès de ses parents, fasciné par la spiritualité de l’Extrême-Orient. Il était alors attiré par le bouddhisme et le taoïsme. La Syrie n’était qu’une étape sur la route de la Chine, mais le destin en a voulu autrement.
Le chemin de Damas
Près de la ville de Nebek, à quelque 80 kilomètres au nord de Damas, il fait la connaissance du Père Paolo Dall’Oglio. Cette rencontre avec le fondateur de la communauté de Mar Moussa s’avérera décisive pour trouver sa vocation monastique. C’est à Mar Moussa, où il ne pensait rester que quelques jours, que le trentenaire se fera baptiser à Pâques en 1996. Il terminera ensuite ses études de théologie et de philosophie à Rome.
Après avoir vécu une douzaine d’années au monastère de Mar Moussa, le Frère Jens anime désormais la communauté de Souleymanieh. Il a été rejoint en 2016 par le Père Jacques Mourad. Ce prêtre syriaque, ancien de la communauté de Mar Moussa, fut enlevé le 21 mai 2015 par les terroristes de Daech dans son couvent de Mar Elian (Saint Julien), à Qaryatayn, dans le désert entre Homs et Palmyre. Il fut retenu en otage à Raqqa durant 4 mois et 20 jours. JB
Opération «Retour aux racines»
Entre juin et août 2014, plus de 120’000 chrétiens, ainsi que d’autres minorités, ont été chassés de Mossoul et de la Plaine de Ninive, au Nord de l’Irak, par les djihadistes de Daech. Pour favoriser leur réinstallation dans ces lieux qu’ils ont occupés et dévastés, l’œuvre d’entraide Aide à l’Eglise en Détresse (ACN) a lancé l’opération «Retour aux racines».
Le but était de réparer ou de reconstruire les maisons endommagées ou détruites dans les villages chrétiens, ainsi que les édifices religieux: il s’agit de 13’000 maisons, une quarantaine d’églises, 18 monastères, des écoles, des hôpitaux et des pharmacies. Le départ de cette vaste opération a été donné le 28 septembre 2017 à Rome, au cours d’une conférence internationale à l’Université pontificale du Latran, en présence notamment du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, et du cardinal Mauro Piacenza, président de la fondation pontificale ACN. JB
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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