La «croisade» anti-homosexuelle s'étend en Pologne

Le site polonais «AtlasNienawisci.pl» (Atlas de la haine) a indiqué qu’en janvier 2020, 31% des habitants du pays vivaient dans des zones déclarées «Libres de l’idéologie LGBT». Une animosité anti-homosexuelle en expansion, qui est soutenue par une partie de l’Eglise polonaise.

A côté du panneau signalant l’entrée sur la commune de Niedrzwica Duza, une petite ville de l’est de la Pologne, un panneau «Strefna wolna od LGBT» (zone libre d’idéologie LGBT) a été fixé. Un homme pose fièrement à côté. Des dizaines d’autres exemples peuvent être trouvés, sur internet, de citoyens polonais ayant affiché de tels photos sur les réseaux sociaux.

Ces personnes composent le gros des troupes de la «croisade» menée actuellement en Pologne contre les milieux LGBTQI+. Le slogan «zone libre d’idéologie LGBT» agit un peu comme leur bannière. Il a été lancé en juillet 2019 par le quotidien conservateur Gazeta polska. Le journal est allé jusqu’à distribuer des autocollants reproduisant le slogan, arborant un drapeau arc-en-ciel barré.

Une «menace pour l’identité polonaise»?

La polémique anti-homosexuelle a pris de l’ampleur dans le pays en réaction à la démarche du maire de Varsovie, Rafał Trzaskowski, en février 2019. Le responsable politique avait signé une déclaration soutenant le respect des droits des personnes LGBTQ et annoncé son intention d’inclure des sujets LGBT dans les programmes d’éducation sexuelle à l’école.

Les milieux conservateurs polonais avaient vivement réagi à ces déclarations. Jarosław Kaczyński, chef du parti PiS, au pouvoir, avait affirmé que les droits des personnes LGBT étaient des «importations étrangères» qui «menaçaient l’identité de la Pologne».

Le clergé divisé

Un discours alimenté par certains membres du clergé. Le 1er août, Mgr Marek Jedraszewski, archevêque de Cracovie, qualifiait les milieux homosexuels de «peste» et stigmatisait la «maladie arc-en-ciel». Fin juillet, une gay pride organisée dans la ville de Bialystok, à l’est de la Pologne, a été marquée par une opposition violente. Des vidéos circulant sur internet montrent des anti-manifestants pourchassant et frappant des participants à la manifestation.

Le 8 août, Mgr Stanisław Gądecki, président de la Conférence épiscopale polonaise, avait tenté d’apaiser les esprits, en rappelant que «les gens appartenant aux milieux dits des minorités sexuelles sont nos frères et nos sœurs pour lesquels le Christ a donné sa vie et qu’il veut aussi voir sauvés». L’archevêque de Poznan avait toutefois ajouté que «le respect des individus spécifiés ne peut toutefois pas conduire à l’acceptation d’une idéologie visant à révolutionner les coutumes sociales et les relations interpersonnelles».

Des réactions contre la vague homophobe sont néanmoins apparues au sein de l’Eglise du pays. Le dominicain Pawel Guzynski a publiquement appelé à la démission de l’archevêque de Cracovie. Pour le punir, ses supérieurs l’ont placé en pénitence pendant trois semaines dans un couvent. Un autre religieux, le marianiste Adam Boniecki, rédacteur en chef de l’hebdomadaire catholique libéral Tygodnik Powszechny, a également prononcé, en août 2019, une homélie remarquée dans laquelle il a critiqué un pouvoir polonais ayant recours à la peur pour gouverner. Ignacy Dudkiewicz, journaliste du site d’informations catholique Kontakt, a affirmé qu’»il est temps que l’Église de Pologne change».

L’extrême droite et le rosaire

Malgré cela, le mouvement anti-homosexuel a continué à s’intensifier dans le pays. En automne, en marge des élections législatives et de la fête nationale, le 11 novembre, de vastes manifestations organisées par l’extrême droite contre les droits des LGBT ont drainé des dizaines de milliers de personnes dans toute la Pologne. Beaucoup de ces manifestants affichaient un rosaire, signe d’une forte connivence entre les milieux conservateurs catholiques et ultranationalistes. «La Pologne, et plus généralement l’Europe et le monde, se trouvent dans une situation difficile en matière de morale», avait ainsi déclaré le président de l’association de la marche de l’Indépendance, Robert Bąkiewicz. L’ancien dirigeant du parti d’inspiration fasciste Camp national-radical (ONR) avait ajouté que «la prière pour la patrie est nécessaire. Nous voudrions présenter nos excuses à la Mère de Dieu pour les péchés commis lors des défilés de cette année».

Se souvenir des «triangles roses»

L’ostracisation des homosexuels s’est spectaculairement illustrée, à partir de l’été 2019, dans la multiplication des «zones sans LGBT» dans le pays, où des dizaines de municipalités se sont déclarées comme telles. Une démarche qui n’a de valeur pour l’instant que symbolique. Une évolution observée de près par plusieurs groupes militants, dont «AtlasNienawisci.pl«, qui met régulièrement à jour sa «carte de la haine».

Une tendance qui préoccupe également en Europe de l’Ouest. «Cette nouvelle croisade politico-religieuse assimilant les homosexuels à des malades ou des pestiférés contagieux est profondément choquante», écrit ainsi le 5 mars 2020 Sébastien Belleflamme dans une chronique de l’hebdomadaire catholique belge Dimanche. Le professeur de religion liégeois rappelle les paroles du pape François en rapport aux LGBTQI+ dans son exhortation Amoris laetitia (2016), selon lesquelles «chaque personne, indépendamment de sa tendance sexuelle, doit être respectée dans sa dignité et accueillie avec respect, avec le soin d’éviter toute marque de discrimination injuste et particulièrement toute forme d’agression et de violence». L’enseignant belge souligne: «L’épiscopat polonais devrait en prendre bonne note. A-t-il déjà oublié que, dans son propre pays, des homosexuels portaient un triangle rose lors de leur déportation dans les camps de la mort?» (cath.ch/ag/cx/dimanche/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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