Cinéma: «Fiancées» d’Egypte

Présenté en compétition à Visions du Réel et programmé aux Journées de Soleure, «Fiancées» suit le parcours de trois femmes égyptiennes vers le mariage et propose un portrait de la jeunesse du Caire, tiraillée entre un désir grandissant de liberté et le poids des traditions. 

Premier film de la genevoise Julia Bünter, le documentaire «Fiancées» suit le parcours de trois femmes égyptiennes, une artiste, une chrétienne et une musulmane, vers le mariage. Le documentaire nous entraîne en immersion dans leur vie quotidienne, sur le long chemin des fiançailles et aborde le mariage sous le prisme des rapports entre les hommes et les femmes et des pressions sociales qu’affrontent les jeunes couples aujourd’hui.

En Egypte, impossible de quitter le nid parental sans s’être passé la bague au doigt: les fiançailles restent le passage obligé pour tout jeune qui veut s’émanciper. Il ne peut quitter le foyer de ses parents que pour fonder le sien, après s’être marié.

Pression sociale plus forte que la religion 

La réalisatrice, qui a vécu trois ans au Caire et côtoyé des couples de trentenaires comme elle, estime qu’en matière de mariage, la tradition et la pression sociale s’exercent plus fortement encore que les diktats religieux. Interrogée par la Tribune de Genève, elle explique que c’est pour témoigner que ces jeunes couples ont accepté d’être filmés. Car pour eux, ne pas pouvoir louer un appartement sans être marié est vécu comme une réelle brimade. 

Fil rouge de ce long-métrage documentaire, le chemin vers le mariage s’incarne au travers de trois d’entre eux. Batool et Bassam, deux comédiens en devenir luttent pour l’équilibre de leur relation. Entre l’attente de leur futur appartement dans la banlieue cairote et les pressions familiales, l’harmonie de leur couple reste fragile.

Jeunesse occidentalisée et traditionnelle

Marize et Ramy, deux chrétiens issus d’un milieu aisé, rêvent, eux, d’un mariage parfait. Lors d’un examen prénuptial, ils expliquent souhaiter à la fois utiliser la contraception après leur mariage et respecter les traditions imposées par l’Eglise, à l’image d’une jeunesse à la fois occidentalisée et traditionnelle. 

Pour Randa et Abdelrahman, ces premières amours doivent se vivre dans le cadre de fiançailles, ce qui renforce la pression sur le couple, encore accentuée par l’obligation d’économiser et de trouver un bail pour s’émanciper des parents | © Xenix Film

Musulmans, Randa et Abdelrahman aspirent de leur côté à plus de liberté. Face à sa mère et sa grand-mère, la jeune Randa revendique pour son couple l’égalité des sexes. Pourtant, elle a choisi de porter le voile dès ses 12 ans, alors que sa mère l’a fait à 22 ans et sa grand-mère dix ans plus tard. C’est toute la régression de la condition de la femme au sein de la société égyptienne que dévoile la scène, au fil d’une discussion entre ces trois générations de femmes.

Régression de la condition de la femme

Car l’Egypte a connu une libération des femmes. Enclenchée dans les années 1920, elle s’est accélérée à partir des années 1950 avec une nouvelle Constitution stipulant l’égalité des droits entre hommes et femmes, la scolarisation des filles, leur accès à l’enseignement supérieur et le travail des femmes. Mais le mouvement a connu un brusque arrêt dans les années 1980, sous l’effet de la crise économique et de la réhabilitation du religieux dans l’espace public. Et depuis, l’image de la femme soumise et socialement dépendante d’une autorité masculine a repris le pas dans les représentations sociales …

Farouchement défendue par la grand-mère de Randa, la supériorité de l’homme au sein du couple met en lumière la résistance des femmes âgées qui jalousent les velléités de liberté de leurs cadettes. Mais, tout comme des milliers d’autres jeunes femmes égyptiennes, Randa n’a pas dit son dernier mot…

«La réalisatrice offre le portrait d’une jeunesse qui interroge avec justesse une société où le poids de la tradition coexiste, non sans difficultés, avec le débat entre sexes et générations.» 

S’il souffre parfois de longueurs, «Fiancées» dresse le constat d’un profond malaise de la société égyptienne, en état de crise depuis des décennies. En parvenant à tisser une relation de proximité avec ses protagonistes qui se livrent sans fard, la réalisatrice offre le portrait d’une jeunesse qui interroge avec justesse une société où le poids de la tradition coexiste, non sans difficultés, avec le débat entre sexes et générations. (cath.ch/cp) 

«Fiancées», documentaire de Julia Bünter, 1h20, 2019.

Carole Pirker

Portail catholique suisse

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