Davide Pesenti
Regard frétillant et sourire rassurant. Marc Subilia témoigne de sa démarche avec passion et conviction. Retraité, il a mis à profit ses deux vocations de vie, la médecine et l’engagement pastoral en faveur de la protection de la vie, ici et ailleurs.
Marc Subilia, vous êtes à l’origine du projet «Offrir des calories pour la vie». De quoi s’agit-il?
C’est une démarche extrêmement simple et concrète : renoncer à un souper par semaine et offrir l’argent ainsi économisé, chacun à son propre rythme, à une œuvre qui lutte efficacement contre la faim dans le monde. Notre brochure explicative en propose quatre digne de confiance: Caritas, Pain Pour le Prochain (PPP), Medair et Helvetas.
D’où est née l’idée de proposer une telle forme de jeûne à caractère social?
Déjà à l’époque où je travaillais en tant que médecin dans différents hôpitaux, j’étais très souvent frappé lorsque je rencontrais des personnes souffrantes à cause des excès de calories ainsi que d’autres qui étaient gravement dénutries. Il y avait là une souffrance de part et d’autre. Je ne pouvais pas seulement constater et je me demandais comment on pouvait rééquilibrer une telle situation.
Des années plus tard, quand je suis devenu pasteur, cette question a continué de m’habiter. C’est ainsi qu’a pris forme, il y a cinq ans, cette proposition de jeûne hebdomadaire, à laquelle tout le monde peut adhérer en toute simplicité et sans dépenses supplémentaires.
«Ceux qui rentrent dans cette démarche développent une joie intérieure face à la situation du monde.»
Une proposition concrète qui est donc le fruit de votre parcours professionnel et de vie…
Oui, car les chiffres relatifs aux dérèglements nutritionnels m’ont toujours impressionné. Aujourd’hui, dans le monde, environ 36 millions de personnes décèdent chaque année à cause de la faim. Mais environ 26 millions meurent aussi des conséquences d’un excès de calories.
Avec plusieurs personnes qui ont cru à cette démarche, nous avons d’abord créé une association, puis une brochure désormais disponible en français, allemand, italien et anglais. C’est par le bouche à oreille que l’idée s’est fait connaître. L’effet boule de neige a permis la diffusion de cette proposition de jeûne.
Il s’agit par conséquent d’une démarche à la fois individuelle et sociale…
Oui, c’est exactement ce qui donne un certain attrait à cette démarche auprès de personnes de tout âge et de toute situation sociale. De cette manière, on se fait du bien à soi-même et, en même temps, on se réjouit du bien fait à des personnes qui peuvent être nourris à très bon compte. Car il ne faut pas oublier que dans un centre de distribution de nourriture, comme il y en a en Afrique ou en Asie, le prix d’un repas, le seul de la journée, est de 25 à 40 centimes. Cela signifie donc qu’un simple souper à 5 francs ici en Suisse permet de nourrir une petite famille dans les pays en voie de développement durant environ 2 semaines !
Faut-il comprendre cette démarche en relation avec un chemin de foi spécifiquement chrétien?
Non, pas nécessairement. Je me rends compte qu’elle trouve aussi un écho auprès de croyants d’autres religions, parce que là on se rejoint sur des valeurs humaines de solidarité et de souci d’autrui.
Pour ce qui me concerne, le point de départ a été cette parole de Jésus adressée à ses disciples, lorsqu’ils s’inquiètent de nourrir la grande foule rassemblée pour l’écouter : «Donnez leur vous-même à manger», leur dit le Christ. Une réponse qui m’a frappé.
Et à partir du peu qui est offert, librement, joyeusement, par un jeune garçon, finalement tout le monde est nourri. Et il y en a encore à porter plus loin.
Votre démarche est donc comme la continuation de ce récit évangélique…
Exactement. Cette expérience continue encore 2000 ans après ! Lorsqu’on donne un petit peu, librement et joyeusement, le Seigneur peut accomplir des choses, infiniment au-delà de tout ce qu’on peut prévoir et imaginer.
Ceux qui rentrent dans cette démarche développent une joie intérieure face à la situation du monde, grâce à leur partage dans le sens de la vie. Et c’est un enthousiasme communicatif.
À ce propos, quelle est la motivation des participants?
Quelqu’un qui renonce à un repas par semaine, il n’a pas simplement des idées de ce qu’il faudrait faire, mais il expérimente quelque chose de nouveau. On ne souffre certes pas de la faim, mais oui, on a envie de manger. Et dans une telle situation on pense autrement à tous ceux qui souffrent de la faim et sont condamnés à mort.
Une prière de la pensée, mais aussi du corps, est une prière qui engage tout notre être. Cela met en jeu l’empathie. Et on réalise ainsi que c’est insupportable qu’autant de personnes crèvent de faim, alors qu’il est relativement facile d’éviter cela.
«Les personnes qui ont vraiment besoin de pratiquer une restriction de calories voient petit à petit les effets bénéfiques de leur choix»
Recevez-vous des feedbacks de la part de ceux qui se sont lancés dans ce chemin de jeûne régulier et solidaire?
Oui, j’ai régulièrement des feedbacks. La démarche fait écho à des ados jusqu’à des personnes d’âge avancé.
En général, ceux qui sont entrés dans ce parcours de jeûne me disent: «Je suis très heureux de mon choix. Ça me satisfait pleinement. Pourquoi je m’arrêterais maintenant?» Je m’aperçois en outre, avec bonheur, que la moitié de ceux qui essayent, ont vraiment envie de continuer, car ils se sentent bien.
Les personnes qui ont vraiment besoin de pratiquer une restriction de calories voient petit à petit les effets bénéfiques de leur choix, sans conséquences indésirables. Et celles qui n’ont rien à mettre de côté en terme de poids, découvrent qu’elles ont une soirée de congé. Cette liberté dans leur programme hebdomadaire leur offre un immense plaisir.
«Offrir des calories pour la vie» peut donc être compris comme une façon originale et particulière de vivre le temps de carême, en intégrant jeûne et aumône?
Oui, car les différents éléments qui caractérisent le temps du carême tiennent ensemble. À la fois, il y a un désencombrement personnel, un processus qui vise à nous alléger, ce qui est une belle expérience de liberté. En même temps, ce temps nous invite à vivre des formes des solidarité plus concrètes. Lorsque je renonce à la nourriture pour la donner plus loin à quelqu’un que je ne connais pas, je fais appel à l’empathie.
Ce n’est pas une collecte de plus, mais une décision qui me met personnellement en relation avec ceux qui manquent de tout. Cette empathie se fonde dans la confiance que le Seigneur peut multiplier le plus petit de ce que je fais. Et ceci donne beaucoup de joie intérieure.
Finalement, qu’est-ce que vous vous souhaitez pour l’avenir de cette démarche dans 5 ou 10 ans?
Le thème sera toujours d’actualité. Dans la mesure où des personnes, de tout âge et de toute situation sociale, continueront à manifester leur intérêt et à s’engager pour cette démarche, elles démontreront qu’elles ont à cœur son développement futur.
Car chaque fois qu’une personne s’engage elle-même, par l’empathie, le souci d’autrui et ce sentiment profond qui te fait dire oui, on peut sauver des vies, c’est là que se produit quelque chose qui peut être multiplié. Et je crois que la flamme de cette démarche va surtout être entretue avec la grâce de Celui qui nous a dit: «Donnez-leur vous-même à manger»… (cath.ch/dp)
Davide Pesenti
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