Invité à Lausanne par le groupe de défense des victimes d’abus sexuels SAPEC, Mgr Morerod a répondu spontanément aux questions de la quarantaine de personnes présentes dont bon nombre de journalistes romands et alémaniques.
Formation des séminaristes, punition des auteurs d’abus, aide aux victimes, rôle du pardon, image du prêtre, cléricalisme, dérives dans les communautés nouvelles, levée du secret pontifical… le panel des questions a été très large.
«Jusqu’à la révélation de l’affaire par la presse en décembre 2019, je faisais entièrement confiance à Paul Frochaux»
L’évêque a résolument voulu faire preuve de transparence, y compris sur le cas de l’abbé Paul Frochaux, curé de la cathédrale de Fribourg, suspendu le 4 février 2020 pour des accusations d’abus sexuel sur un jeune de 17 ans, en 1998, à Torgon (VS). «Jusqu’à la révélation de l’affaire par la presse en décembre 2019, je lui faisais entièrement confiance», admet-il avec une pointe d’amertume.
«Jusqu’à présent on fouillait le dossier des personnes lorsqu’il y avait des soupçons de comportements suspects, mais les rapports étaient fondés sur la confiance. Il faut aujourd’hui un régime de méfiance ou au moins de prudence pour le dire de manière plus élégante.»
L’évêque a révélé en outre que la tenue des dossiers personnels était souvent assez aléatoire voire carrément négligente ou fautive. «Les archives sont peu explicites. Elle ne disent pas tout». L’affaire est encore plus compliquée pour les personnes qui viennent de l’extérieur du diocèse. Tous les agents pastoraux doivent certes présenter un extrait de casier judiciaire, mais celui-ci ne mentionne que les condamnations et ne dit évidemment rien des éventuelles enquêtes ou soupçons d’abus.
«Il y avait une certaine naïveté, parfois coupable»
Interrogé sur l’existence de ‘réseaux’ de prêtres ou de responsables qui auraient contribué à cacher certains comportements, Mgr Morerod ne l’exclut pas. «L’enquête ordonnée à l’évêché devrait permettre de déterminer dans quelle mesure la non-transmission de dossiers ou d’informations à mon prédécesseur Bernard Genoud ou à moi-même a été volontaire. Je ne le sais pas, mais j’ai des doutes. Les personnes seront interrogées.» La découverte d’autres cas similaires à celui de Paul Frochaux est probable, estime l’évêque.
La question du pardon face la tolérance zéro envers les abus est aussi délicate. Pendant longtemps la confession et le pardon ont suffi pour ‘excuser’ les abus avec la simple injonction de ne pas recommencer. «Il y avait une certaine naïveté, parfois coupable», reconnaît Charles Morerod. «Petit à petit, nous parvenons à mieux discerner. La priorité est bien sûr d’éviter de nouvelles victimes.»
«Les abuseurs sont souvent d’habiles manipulateurs capables de très bien cacher leurs abus»
Cette attitude d’aveuglement et de déni a été confirmée par plusieurs membres du groupe Sapec. «Mes parents qui recevaient chez nous le prêtre qui m’ a abusé n’ont rien vu», se souvient son président Jacques Nuoffer. «Les abuseurs sont souvent d’habiles manipulateurs capables de très bien cacher leurs abus», renchérit Mgr Morerod. Pour éviter tout conflit de conscience, il est d’ailleurs interdit à l’évêque d’entendre en confession ses prêtres et agents pastoraux.
Les sanctions contre les prêtres abuseurs ont été l’objet de plusieurs questions. Mgr Morerod a reconnu la difficulté de la situation. «Souvent il n’y a pas de condamnation pénale à cause de la prescription des faits et la sanction canonique est faible». Ce que les victimes peinent à admettre. S’y ajoute le principe de la présomption d’innocence. En l’absence de jugement et de condamnation pénale, l’abuseur demeure innocent au point de vue du droit, même si les faits sont avérés. Certains ont alors lancé des procès contre le diocèse qui les avait sanctionnés. Enfin, même en cas de renvoi de l’état clérical, la sanction canonique la plus grave, le diocèse ne peut pas simplement laisser tomber le coupable.
Mgr Morerod a confié aussi que quelques prêtres n’ont pas repris leur ministère, même après avoir accompli leur peine. Une chose lui semble sûre, une personne comme Paul Frochaux ne pourra certainement plus exercer son ministère.
Interrogé sur le lien entre obligation du célibat et abus, Mgr Morerod nuance. «Pour les cas d’abus sur des adultes, il est possible que des personnes frustrées cherchent des compensations. Mais ce n’est pas du tout le cas pour les pédophiles. Il faut rappeler que la majorité des cas d’abus sur mineurs se passent dans les familles.» (cath.ch/mp)
Avenir de la CECAR
En ouverture de la discussion, le président du groupe SAPEC Jacques Nuoffer s’est dit impressionné et heureux de l’évolution des dix dernières années dans le traitement des affaires d’abus sexuels dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. «Lors du premier contact avec Mgr Genoud (décédé en 2010 ndlr), il m’a renvoyé vers la commission SOS prévention qu’il avait instituée. Mais les réponses reçues n’ont pas été satisfaisantes. Ce qui a poussé à la création du groupe SAPEC.
Après l’arrivée de Mgr Morerod, dans une deuxième phase après un intense travail de négociation, la Commission d’écoute, de conciliation, d’arbitrage et de réparation (CECAR) a vu le jour. Elle reçoit les victimes en tant qu’organe indépendant. En ce sens le diocèse de LGF a été pionnier. Le groupe SAPEC milite aujourd’hui pour imposer des commissions indépendantes dans tous les diocèses de Suisse. Mgr Morerod a de son côté répété qu’il tenait à assurer la pérennité de la CECAR et qu’il restait très reconnaissant au groupe SAPEC d’avoir suggéré cette idée. MP
Dissolution de la Commission SOS prévention
L’évêque est revenu aussi sur la dissolution de la commission SOS prévention qu’il a décidée en 2012. Elle relevait de deux raisons principales. La première était l’accusation de manque d’indépendance. Les victimes d’abus ne veulent en effet souvent plus rien avoir affaire avec l’Eglise, ni de près ni de loin.
La seconde difficulté relevait de son mode de fonctionnement. Présidée par une ancienne juge d’instruction, elle menait, sans aucune mauvaise volonté, des interrogatoires des victimes de types policier ou judiciaire qui leur imposaient de prouver les faits. «Aujourd’hui, il s’agit en priorité d’écouter les victimes même si leurs souvenirs sont un peu emmêlés.»
La Commission SOS prévention a remis à l’évêque deux classeurs fédéraux de documents. «Je les ai lus. Une bonne partie des cas concerne des prêtres aujourd’hui décédés. Pour le reste, il faudra peut-être reprendre des investigations». MP
Maurice Page
Portail catholique suisse
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