Sans eux, confie à cath.ch le religieux dominicain, il n’y a plus d’avenir pour les chrétiens dans cette région considérée comme le berceau du christianisme en Mésopotamie. Invité à Genève le 4 février 2020 pour un débat sur la préservation du patrimoine de Mossoul et sur la liberté des habitants de cette ville d’agir comme citoyens, l’archevêque chaldéen n’a pas une vision angélique. Il se veut réaliste, car il sait que la situation à Mossoul, après le cauchemar de l’occupation par les djihadistes de l’Etat islamique (Daech), entre 2014 et 2017, est fragile.
Des «cellules dormantes» de Daech n’attendent que le moment favorable pour reprendre leurs activités terroristes dans la métropole sunnite, deuxième plus grande ville d’Irak, à plus de 400 km au nord de la capitale Bagdad. Pour le moment, relève-t-il, tant que la sécurité n’est pas complètement assurée par les autorités, les chrétiens ne vont pas revenir.
Sur la rive droite du fleuve Tigre, qui partage la ville en deux, le centre historique est détruit à 95 % et seules deux familles chrétiennes sont revenues. Et une quinzaine d’autres se sont réinstallées sur la rive gauche, où moins d’un quart des bâtiments ont été détruits dans les bombardements.
L’arrivée de Daech à Mossoul, en juin 2014, a signifié la fin des chrétiens dans cette ville qui comptait 2,7 millions d’habitants. Dans les années 2000, la ville abritait encore quelque 50’000 chrétiens, mais sitôt après la disparition du régime baathiste, suite à l’invasion américaine de l’Irak, la persécution des chrétiens s’est déchaînée. Mossoul comptait plus de quarante églises et monastères, qui ont été saccagés et détruits.
«Lorsque j’ai pu revenir dans la ville, après le départ de Daech [en juillet 2017], j’ai vu le désastre: rien que pour que l’Eglise chaldéenne, les pertes ont été considérables: quatre monastères – dont certains remontent aux Vème-VIème siècles – et 14 églises, ont été complètement dévastés, pillés, vandalisés. Il ne reste plus ni portes ni fenêtres».
Seules deux églises ont été restaurées pour le moment: Saint-Paul des chaldéens, et l’église des syriens catholiques Sayedat-al-Bichara, Notre-Dame de l’Annonciation, desservie par le Père Emmanuel (*).
Sur la rive gauche, l’église chaldéenne du Saint-Esprit (Ruh-al-Qudus), saccagée par Daech, n’a pas encore été rouverte et est occupée temporairement par deux familles musulmanes qui avaient perdu leur maison.
Durant l’occupation djihadiste, certains édifices religieux ont été utilisés comme centres de détention. C’était le cas de l’église Notre-Dame-de-l’Heure, également connue sous le nom d’église latine ou al-Saha (l’horloge). Construite dans les années 1870 par les Pères dominicains, elle était principalement célèbre pour son horloge offerte par l’impératrice Eugénie de Montijo, épouse de l’empereur Napoléon III. Mais ce «trésor» a été volé pour être écoulé et revendu on ne sait où.
«Ils ont fait un trou dans le mur pour pouvoir sortir le mécanisme de l’horloge et voler les cloches. Ils sont en possession d’un groupe mafieux, qui cherche à les vendre», déplore l’archevêque de Mossoul. Mais il y a pire: quand, après la libération de la ville, il a pu pénétrer dans cette église, il y a découvert un gibet dressé à l’emplacement de l’autel.
«La corde était encore mouillée du sang des personnes exécutées…
Les caves servaient de lieu de détention pour les yézidis et les musulmans qui ne suivaient pas strictement les directives de Daech. «J’ai d’ailleurs dit à certains: vous les avez accueillis avec des you-you… Mais après quelques mois, les musulmans récalcitrants, qui n’adhéraient pas à l’idéologie de Daech, étaient sévèrement punis!» La salle d’exposition de l’église, tout à côté, était également utilisée comme salle de torture.
Avec les autorités, notamment le gouvernorat, les chefs religieux des diverses communautés de la ville ont demandé à ceux qui voulaient manifester contre le gouvernement, à Mossoul ou dans la Plaine de Ninive, d’aller le faire sur la Place Tahrir à Bagdad, pour éviter des représailles: «On aurait tout de suite affirmé que Daech était derrière ces manifestations…»
Aujourd’hui, Mgr Najeeb Michaeel, ordonné évêque le 18 janvier 2019, se promène sans problèmes dans les rues de la ville, revêtu de ses habits d’archevêque. «Sur place, je travaille avec les musulmans, pour construire des ponts, créer des amitiés, rebâtir la confiance, ce qui n’est pas facile, quand ce sont les voisins qui ont pillé votre maison… Beaucoup nous demandent pardon pour les violences commises contre les chrétiens. Il y a véritablement une prise de conscience».
«J’ai racheté des centaines de livres pillés dans les bibliothèques et dans les églises, qui sont vendus sur les trottoirs de Mossoul. Les vendeurs disent qu’ils les ont achetés à Daech… Ce qu’ils ont volé à Mossoul, ils le vendent à Raqqa, et vice-versa».
Un avocat musulman l’a contacté pour lui restituer des livres et des objets religieux qu’il avait cachés – au risque de sa vie – pour éviter qu’ils ne tombent aux mains des djihadistes. «Il m’a dit qu’il allait me les rapporter à Qaramles, où j’ai mon siège épiscopal. Il ne voulait pas d’argent, même pas pour le transport! Je lui ai fait une lettre de remerciement officielle pour prouver qu’il n’a rien réclamé. C’est important, car il faut noter qu’il y a des gens de grande valeur».
Des jeunes musulmans l’abordent dans la rue pour lui dire qu’ils vont aider les chrétiens à reconstruire leurs églises, qu’ils sont prêts à travailler gratuitement. «Je peux témoigner de nombreuses choses positives, il y a un avenir. Mais une chose est claire: il ne faut jamais baisser les bras devant les fondamentalistes et les fanatiques, mais les combattre par l’éducation».
Sa vision: travailler avec tout le monde, par-delà les différences confessionnelles, cultiver la diversité, la voir comme une force et non comme un facteur de division. «Il faut que nous puissions le faire dans la complémentarité, avec la protection de la loi, qui soit juste et équitable pour tous les citoyens, et surtout appliquée!» Plaidant pour une saine laïcité, il estime que c’est la citoyenneté, et non les clivages ethniques ou religieux, qui est la seule solution pour garantir l’avenir de l’Irak. (cath.ch/be)
Toujours sans nouvelles des collaborateurs de SOS Chrétiens d’Orient
Interrogé sur l’ONG française SOS Chrétiens d‘Orient, basée à Paris, dont quatre collaborateurs sont portés disparus à Bagdad depuis le 20 janvier 2020, Mgr Najeeb Michaeel salue leur engagement et leur travail sur place. Ils ont par exemple restauré de leurs propres mains la cathédrale chaldéenne Mariam al Adra d’Aqra, relève-t-il.
«Je ne comprends pas les critiques dans certains médias en France. Je connais ces jeunes de près. Ils travaillent, rencontrent la population locale, organisent des soirées de prières, se confessent. Ces jeunes vivent leur foi et la partagent. Ils travaillent aussi avec les yézidis. Et quand ils rentrent en France, ils témoignent de ce qu’ils ont vécu sur place. Certains, des jeunes en recherche, ont découvert la foi chez nous. J’ai baptisé un de ces jeunes!»
Contacté le 4 février 2020 par cath.ch, l’ONG SOS Chrétiens d’Orient précise qu’elle n’a pas de nouvelles de ses collaborateurs – trois Français et un Irakien – disparus aux alentours de l’ambassade de France, dans le centre-ville de la capitale irakienne en proie à des troubles sanglants depuis le début octobre 2019. «Nous n’avons reçu aucun signal, aucune revendication. Nous n’avons encore aucun indice et nous entourons les familles de nos collaborateurs», précise la porte-parole de l’ONG. JB
(*) L’église syro-catholique Sayedat-al-Bichara a été rebâtie grâce à l’aide de l’ONG française Fraternité en Irak, tandis que la résidence étudiante pour les jeunes chrétiens qui étudient à Mossoul est financée par la Fondation Saint-Irénée, liée au diocèse de Lyon (qui est jumelé avec Mossoul depuis juillet 2014). Le centre paroissial a été financé par l’Œuvre d’Orient, à Paris. JB
Jacques Berset
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/mossoul-mgr-najeeb-michaeel-espere-restaurer-la-confiance-perdue/