Georges Scherrer, kath.ch / traduction et adaptation: Grégory Roth
Mgr Harald Rein, évêque de l’Eglise catholique-chrétienne de la Suisse, est en fonction depuis 2009. Depuis le 1er mars 2018, il occupe la présidence du Conseil suisse des religions (SCR).
Pourquoi ce Synode extraordinaire a-t-il lieu?
Harald Rein: Le Synode national ordinaire de Lancy, près de Genève, en 2009, a décidé qu’il était en faveur du mariage civil pour tous, au motif que l’Eglise ne peut pas avoir pour mission de discriminer les autres. Si la majorité des électeurs le souhaitait, cette reconnaissance leur serait également possible. Cependant, le Synode a laissé ouverte la question du sacrement du mariage dans sa signification ecclésiale.
Le Synode extraordinaire, qui aura lieu le 7 mars 2020 à Zurich, traitera du sujet, sans pour autant prendre de décision. Il aura avant tout un but de clarification du sujet et sur la base des résultats, il sera possible de savoir comment l’affaire va se poursuivre.
Le Synode de 2006 a déjà décidé d’introduire une bénédiction de partenariat, à côté du sacrement de mariage. Il s’agit maintenant simplement de savoir si elle continuera à exister ou non. Si l’Etat introduit le mariage civil pour tous, chaque Eglise est libre d’en tirer les conclusions.
L’Eglise catholique chrétienne pourrait conserver sa pratique actuelle, à savoir que le mariage civil existe pour tous, mais les couples hétérosexuels reçoivent le sacrement du mariage et les couples de même sexe continuent à recevoir la bénédiction du partenariat. Mais elle pourrait aussi en décider autrement, il y a des idées et d’autres modèles. Ce qui sortira de ce processus reste ouvert.
Comment se fait-il que l’Eglise catholique chrétienne ait abordé le sujet?
Pour le synode de 2019, il y a eu une directive de l’Association de la jeunesse catholique chrétienne. A cette époque, l’association a soumis deux propositions. Premièrement, que l’Eglise catholique chrétienne devrait approuver le mariage civil pour tous, et deuxièmement, qu’elle devrait traiter tout le monde sur un pied d’égalité.
Le Synode a alors décidé qu’il ne s’opposerait pas au mariage civil pour tous. Mais il a également demandé ce que cela signifie sur le plan ecclésial. Ce processus de clarification est maintenant en cours.
Si la Suisse se prononce en faveur du mariage pour tous, faudra-t-il longtemps avant que l’Eglise catholique chrétienne approuve le sacrement du mariage pour tous?
En Suisse, seuls les couples qui ont déjà été mariés à l’Etat civil peuvent se marier à l’Eglise. Actuellement, cela ne s’applique qu’aux couples hétérosexuels. C’est la raison pour laquelle notre Eglise pratique également la bénédiction du partenariat.
«Ce n’est qu’une question de temps avant que le mariage civil ne soit accordé à tout le monde.»
Attendre l’Etat, n’est-ce pas repousser la décision de l’Eglise sine die?
Je ne pense pas que cela soit reporté sine die mais que le mariage pour tous arrivera relativement vite, même en Suisse. Indépendamment du rythme en Suisse, il s’agit d’une évolution internationale, tant sur le plan politique qu’ecclésial.
En Allemagne et aux Pays-Bas, un couple de vieux-catholiques (autre terme pour désigner les catholiques chrétiens) de même sexe qui ont contracté mariage à l’Etat civil peut également le faire à l’Eglise. Que se passe-t-il si ce couple déménage en Suisse? La Suisse devra faire face à cette situation. Cette question se pose tant sur le plan politique qu’ecclésial, en raison de l’intégration du pays dans la communauté internationale.
De ce fait, je pense que cette question ne peut être reportée. Ce n’est qu’une question de temps avant l’introduction par l’Etat du mariage pour tous. A ce moment-là, l’Église devrait savoir ce qu’elle fait. C’est pourquoi il faut commencer à examiner la question dès maintenant.
Le mariage pour tous est interdit par l’Eglise catholique. Le sujet est-il controversé dans l’Eglise catholique chrétienne?
Dans la compréhension catholique chrétienne, on pense de manière globale, d’une part, et il est tout-à-fait possible de faire des distinctions, d’autre part. Comment je vote en tant que citoyen libéral [dans le sens libre du terme, ndlr] et qu’en fais-je au niveau de mon Eglise? Je peux bien imaginer qu’un catholique chrétien en Suisse dise: en tant que citoyen, je suis en faveur du mariage pour tous, car nous plaçons la tolérance, la liberté et l’autodétermination de l’individu au premier plan devant Dieu. Et en ce sens, en tant que chrétien, je peux certainement y être favorable. Mais la question de savoir comment on transpose ensuite cela dans l’Eglise – en terme de bénédiction du partenariat, de sacrement du mariage, ou peut-être simplement de bénédiction pour tous – demeure ouverte et la réponse ne doit pas automatiquement être analogue.
«Le fait de vivre en partenariat avec des personnes du même sexe ne doit pas être un motif de discrimination».
Quels sont les principaux arguments théologiques en faveur ou contre le mariage pour tous?
Le Synode 2006 a traité de la question du mariage entre personnes de même sexe. Dans un rapport que le Synode a approuvé, nous avons pris position et adopté une position différente de celle de l’Église catholique romaine et d’autres Eglises également.
Le rapport indique que le mariage traditionnel entre un homme et une femme, qui est permanent et inclut la possibilité d’avoir des enfants, est, selon la Bible et la Tradition, la manière privilégiée de vivre ensemble. L’Eglise constitue cela avec le sacrement de mariage. 80% des gens se conforment à cette image, 20% vivent différemment.
Dans l’état actuel des connaissances, l’orientation sexuelle est une disposition innée. Donc Dieu en est aussi l’auteur. Par conséquent, les personnes homosexuelles ont également le droit de vivre leur vie de manière holistique, y compris l’expression de leur sexualité, et d’être traitées sur un pied d’égalité avec les autres formes de partenariat. Cela inclut également les statuts juridiques tels que l’héritage.
Nous avons décidé, dès 2006, que les couple de même sexe sont des membres égaux de l’Eglise et peuvent s’engager sans restrictions. La pratique homosexuelle ne doit pas être un motif de discrimination dans l’Eglise.
Cependant, la décision qui a été prise à l’époque n’était pas égale en ce qui concerne le sacrement du mariage. C’est pourquoi la bénédiction du partenariat a été introduite. Et maintenant, la question se pose de savoir ce qui se passe lorsque l’Etat introduit le mariage pour tous en Suisse. L’égalité a déjà été décidée en 2006. La question est maintenant de savoir sous quelle forme un mariage conclu par l’Etat avec un couple de même sexe est mis en œuvre dans l’Eglise.
Quelle est la position de l’évêque dans cette discussion?
L’évêque a une position décisive et importante dans cette question. Selon la conception catholique chrétienne de l’Eglise, toutes les questions concernant la liturgie et la foi doivent être dirigées et décidées conjointement par le synode national et l’évêque. Le synode ne peut pas agir contre l’évêque et l’évêque ne peut pas agir contre le synode. S’il y avait une impasse, les décisions du Synode ne seraient pas appliquées.
«L’évêque est non seulement le gardien de la liturgie et de la foi, mais aussi de l’unité».
L’adoption du mariage pour tous par les catholiques chrétiens pourrait-elle devenir un fardeau pour l’œcuménisme?
Ça se pourrait. Je dois également tenir compte de cet aspect dans ma décision. Tant dans la conception catholique romaine que catholique chrétienne, l’évêque n’est pas seulement le gardien de la liturgie et de la foi, mais aussi et surtout le gardien de l’unité. Il se pourrait que cet aspect de la question gagne temporairement plus de poids que la question du contenu proprement dit. C’était également le cas pour l’ordination des femmes.
Quelles sont les églises à inclure dans cette unité?
Au sein de la Communion mondiale vieille-catholique, à laquelle appartiennent également les catholiques chrétiens suisses, les opinions divergent. Et aussi au sein des Eglises avec lesquelles nous avons des relations particulières: l’Eglise anglicane, les Eglises orthodoxes et, bien sûr, l’Eglise catholique romaine.
Dans la tradition de l’Eglise primitive, les questions importantes sont décidées ensemble et non de manière isolée. La préservation de l’unité est un aspect très important. Sur la question de l’ordination des femmes, nous avons lutté pendant près de quarante ans pour parvenir à une solution consensuelle.
Mais l’Eglise catholique chrétienne a franchi le pas…
La question de l’ordination des femmes est aussi discutée chez les anglicans, les orthodoxes et dans l’Eglise catholique romaine, même si aucune décision n’est prise. Chez les catholiques chrétiens, la question de l’ordination des femmes a été résolue de telle manière qu’elle a été introduite en Suisse et dans d’autres pays. Mais en Pologne, par exemple, il n’y a pas d’ordination de femme. Quant à l’Eglise tchèque, elle reconnaît les diaconesses, mais pas les femmes prêtres.
La question est de savoir si de telles décisions remettent en cause une communauté ou si l’on peut vivre avec. Dans le cas de l’ordination des femmes, il y a eu une rupture: l’Eglise catholique-chrétienne polonaise aux Etats-Unis a quitté l’Union d’Utrecht à ce moment-là. Mais toutes les autres Eglises membres sont restées, qu’elles aient accepté ou non de pratiquer l’ordination des femmes. Pour la question du mariage pour tous, l’aspect culturel doit être également pris en compte. Malgré tout, nous devons tenir compte du contexte suisse pour voir ce qui est juste.
Quelle orientation les catholiques veulent-ils donner à leurs discussions lors du Synode extraordinaire de mars?
Quatre modèles seront présentés durant le Synode. Le premier dit: pas de changement. Cela signifie un mariage et une bénédiction du partenariat. Le deuxième dit: non, il devrait y avoir deux sacrements, un pour le mariage traditionnel et un pour les autres relations. Le troisième dit: égalité totale, c’est-à-dire une seule forme de mariage pour tous. Et le quatrième modèle est basé sur des formes de bénédiction pour des situations de vie qui ne tiennent pas compte de la question du genre. Le Synode peut faire des commentaires sur le modèle qu’il préfère et celui qu’il ne veut en aucun cas. Et c’est en ce sens qu’il devra établir des tendances.
Je crois aussi que l’acte de bénir est fondamentalement sacramentel. Cela signifie que si deux personnes veulent vivre ensemble de façon permanente, et qu’elles souhaitent que l’Eglise leur donne la bénédiction de Dieu, alors c’est sacramentel. D’autre part, il y a une idée claire de ce que peut être le mariage selon la Bible et la Tradition.
Mais il faut se demander: qu’est-ce qui est biblique et auquel la Tradition ne peut renoncer? Ou encore, qu’est-ce qui est dû à la culture dans la Bible et la Tradition, intégré dans un certain environnement, et qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui? Ce que représente le mariage et la famille aujourd’hui, ne pouvait pas l’être il y a mille ou deux mille ans. Cela ne peut donc pas se présenter de telle manière dans la Bible. (cath.ch/kath.ch/gs/gr)
Les catholiques chrétiens
L’Eglise catholique chrétienne est une Eglise catholique à structure épiscopale et synodale. Elle est née de la protestation et de la résistance contre les proclamations du Concile Vatican I de 1870, notamment le dogme de l’infaillibilité pontificale et la juridiction universelle de l’évêque de Rome. En Allemagne et en Autriche, cette communauté est appelée Eglise vieille-catholique. En Suisse, fondée en 1874, elle est reconnue comme une Eglise nationale, aux côtés des Eglises catholique-romaine et réformée. Elle compte 13’000 membres, avec actuellement soixante ecclésiastiques, dont sept femmes prêtres. GS
Rédaction
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