La légende du meurtre, par des juifs de la ville, à Pâques 1475, du petit Simonino (connu sous le nom de «Simon de Trente»), a perduré les siècles suivants. Il fut béatifié par le pape Sixte V un siècle après «l’événement», plus précisément en 1588. Le culte du jeune Simonino, proclamé martyr et saint patron des victimes enlevées et torturées, se propagea rapidement à travers l’Italie et l’Allemagne. Il fut vénéré pendant de générations comme un innocent «martyr» et son image utilisée à des fins de propagande antijuive.
Cette «accusation de sang» visant les juifs, répandue dans tout l’Occident médiéval, durera pendant des siècles. Les cultes aux prétendues «victimes» de meurtres rituels auront du mal à disparaître, malgré leur interdiction, comme dans le cas d’Anderl von Rinn, près d’Innsbruck, dans le Tyrol autrichien. Cet enfant prétendument martyrisé par des juifs fut proclamé bienheureux par le pape Benoît XIV le 22 février 1755 (*). Ces légendes macabres allaient «justifier» des épisodes de répression meurtrière contre la population juive.
L’histoire liée à San Simonino est un témoignage de la persécution subie par les communautés juives et des accusations fausses et instrumentalisées de «meurtres rituels» – répandues surtout en Europe centrale – contre les juifs. C’est ce que démontre l’exposition du Museo Diocesano Tridentino – parrainée notamment par l’archidiocèse de Trente (*) – qui fermera le 13 avril 2020. Les organisateurs veulent stimuler la réflexion sur les mécanismes de la «construction de l’ennemi» et sur le pouvoir de la propagande.
Ce n’est qu’en 1965, après le Concile Vatican II, que le Martyrologe romain – la liste non exhaustive des saints, bienheureux et martyrs reconnus par l’Eglise – retirera le nom de Simonino. Auparavant, il rappelait aux fidèles que chaque année, le 24 mars, la passion de San Simonino, «enfant cruellement massacré par les juifs, auteur de nombreux miracles», était célébrée à Trente.
L’exposition examine de près le «cas» de Simonino, ce garçon de deux ans qui disparut mystérieusement le soir du 23 mars 1475 et fut retrouvé mort trois jours plus tard près de la maison d’une famille juive. Sur la base de préjugés profondément enracinés, la responsabilité de l’enlèvement et du crime fut immédiatement attribuée à des membres de la communauté juive locale.
L’accusation était basée sur la croyance que les juifs faisaient des sacrifices rituels d’enfants chrétiens afin de répéter la crucifixion de Jésus, en utilisant le sang de la victime à des fins magiques et religieuses. Emprisonnés sur ordre du prince-évêque de Trente, Johannes Hinderbach, des juifs furent forcés à avouer leur «crime» sous la torture et finalement exécutés après un jugement sommaire.
Précisément à cause de ce prétendu martyre, Simonino devint bientôt l’objet d’un culte local intense, que le pape Sixte IV interdit sous peine d’excommunication. La prudence et les doutes de l’Eglise ne purent cependant pas s’opposer à la vénération des chrétiens locaux. La figure du petit Simonino fut construite en utilisant deux puissants moyens de communication: les images et le tout nouvel instrument d’impression typographique.
Grâce à la machine de propagande habilement orchestrée par l’évêque Hinderbach, le culte de Simonino s’est rapidement étendu à d’autres régions du centre-nord de l’Italie et de l’Allemagne, réussissant à s’imposer comme un prototype de tous les prétendus «meurtres rituels» des siècles suivants dont les juifs furent accusés.
Ce n’est qu’au XXe siècle, dans les années du Concile Vatican II, que la relecture critique des sources a permis de rétablir la vérité historique. Ainsi, le 28 octobre 1965, le jour même de la publication du document conciliaire Nostra Aetate, la déclaration du Concile Vatican II sur les relations de l’Eglise catholique avec les religions non chrétiennes, Rome abolissait le culte des faux «bienheureux».
L’exposition du Museo Diocesano Tridentino a été conçue en hommage à l’évêque Iginio Rogger (1919-2014), spécialiste de l’histoire de l’Eglise et ancien directeur du Musée. 2019 marque le centenaire de la naissance de celui qui fut le courageux protagoniste de la révision historique du culte de Simonino. Plus d’un demi-siècle après son abolition, l’exposition a pour but de faire le point sur le «cas» de Simon de Trente et de diffuser une connaissance plus approfondie de cette histoire de la fin du Moyen Age, mais dont les leçons restent d’actualité à la lumière de la montée du révisionnisme historique et de courants d’extrême-droite antisémites. (cath.ch/be)
La fête d’Anderl von Rinn interdite par l’Eglise
La fête d’Anderl von Rinn ne fut rayée du calendrier religieux tyrolien qu’en 1953 et c’est seulement en 1985 que les ossements du prétendu petit martyr furent retirés de l’église paroissiale. En 1994, le culte de l’enfant au «Judenstein» (La pierre des juifs) et son pèlerinage furent interdits officiellement par l’évêque Reinhold Stecher, évêque d’Innsbruck. Son successeur, Mgr Manfred Scheuer, confirmait une nouvelle fois en 2015 l’interdiction du culte d’Anderl von Rinn. Organisé à titre privé par des extrémistes de droite locaux et régionaux, ainsi que par des intégristes catholiques, un pèlerinage au «Judenstein» a toujours lieu chaque année, malgré l’interdiction de l’Eglise. JB
(*) Exposition parrainée par l’archidiocèse de Trente, la Province autonome de Trente, le Département de la culture, du tourisme et de la jeunesse de la municipalité de Trente, et la Fondation de la Caisse d’épargne de Trente et Rovereto.
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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