Les sociétés antiques avaient, à n’en pas douter, une conscience vive de la possibilité d’une telle catastrophe finale. Mais le sens qu’elles lui donnaient était infiniment plus profond et plus dramatique. L’apocalypse n’est pas seulement l’écroulement matériel des choses, mais le jugement même du monde et des humains. La foi chrétienne, classiquement, parle de jugement dernier. La vision religieuse du Nouveau Testament est caractérisée par une tension extrême entre le temps présent et le temps à venir. La fin du monde n’y est pas pensée en termes cosmiques, mais en termes religieux et éthiques. Le thème central n’est pas le climat, mais le salut!
«La crise n’est comprise qu’en fonction du climat»
La notion de salut est étroitement liée à l’idée de la crise, une crise radicale, où tout est remis en question. Aujourd’hui, tout semble fonctionner à l’opposé. Le climat est devenu le centre, parce que l’essentiel réside dans la survie de la planète, dans la matérialité du monde. On dirait que seul compte le cadre terrestre. Les autres questions semblent aller de soi: bien sûr, on aura un monde juste, une vie partagée, une solidarité évidente. Tout cela n’existera bien sûr que si la terre survit. Mais les vrais débats philosophiques semblent remis au lendemain, tout est dans l’urgence. La crise n’est comprise qu’en fonction du climat, c’est une crise cosmique, mais elle ne semble concerner en rien la signification de l’homme, le bien et le mal. La vie biologique est érigée en absolu, mais nul ne s’interroge sur ses limites, son sens, sa relativité. Quant à la question de Dieu, elle a passé au second plan, elle n’a rien à voir avec la crise, le climat, la fin du monde.
«Nous devons sortir de la logique du sacrifice pour entrer dans celle de la reconnaissance»
En fonctionnant de cette manière, nous commettons une grossière erreur de logique. La qualité intellectuelle et spirituelle de la vie est renvoyée aux calendes grecques. Nous ne voyons pas qu’en négligeant le dialogue et le débat actuels, entre les générations présentes, nous abaissons le climat réflexif de notre vivre ensemble. Certains répètent à l’envi que nos petits-enfants doivent être l’unique objectif de notre action, comme si tout ce que nous vivons et pensons les uns les autres sur cette planète dans l’aujourd’hui n’avait pas de valeur. Or une grande civilisation ne vit jamais par une pure projection dans le futur. De même, l’heuristique de la peur, dont le philosophe juif Hans Jonas avait fait dans les années 70 du siècle passé le moteur de la responsabilité écologique, ne peut pas suffire à une éthique équilibrée. La considération du passé et du présent font tout autant partie de notre tâche. C’est ensemble que nous devons traiter, dans le présent qui nous est commun, le respect des personnes âgées et celui des générations futures. Il n’y a pas d’un côté les générations sacrifiées et de l’autre les générations futures ou sanctifiées. Autrement dit, nous devons sortir de la logique du sacrifice pour entrer dans celle de la reconnaissance. Il y a ici un authentique collapsus du cœur, infiniment plus périlleux et douloureux encore que toutes les théories matérialistes du sacrifice. Le débat sur l’amour, la justice, la vraie vie, doit être complètement lié à la question du climat.
Denis Müller
29 janvier 2020
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