Bernard Hallet, de Lourdes
«Une bataille est engagée dans le monde entre la production d’une information de qualité et les fake news, entre la raison et l’émotion. C’est une bataille où se joue l’avenir de la démocratie», lance Paolo Ruffini, préfet du dicastère pour la communication du Vatican. Il a donné le ton de ces 24e Journées internationales Saint François de Sales, consacrées au thème «Médias et proximité».
Ambiance studieuse dans l’hémicycle des Evêques du sanctuaire de Lourdes, où journalistes professionnels, bénévoles, chargés de communication de diocèses, sociologues et universitaires se sont penchés sur le cas de la presse catholique. Elle néchappe pas à la crise que traversent les médias généralistes.
«La proximité n’est pas seulement physique, elle doit se retrouver dans nos sujets. Sommes-nous à l’écoute des gens? A-t-on assez de temps à leur consacrer?» s’est interrogé François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef du quotidien Ouest-France. Des questions centrales auxquelles journalistes et universitaires ont apporté leur réponse après avoir dressé un état des lieux accablant pour la presse. Le public n’a plus confiance dans les médias traditionnels dont il remet en cause la crédibilité et, plus grave, se désintéresse de l’information.
Le rédacteur en chef du quotidien régional français a plaidé pour un journalisme populaire, au «sens noble» du terme, accessible tant du point de vue financier qu’intellectuel. En gardant des prix bas, en accordant la gratuité pour certains publics défavorisés tels quel les prisonniers. En se mettant à la portée de tous les publics: «Nous devons utiliser les mots et parler un langage qui rende accessible l’information à tous nos lecteurs, quelle que soit leur origine sociale».
La réponse se trouve sur le terrain: Il faut indubitablement consacrer plus de temps aux gens, relève le rédacteur en chef de Ouest-France. Le Baromètre médias de La Croix a montré clairement un sentiment de mépris ressenti par la population qui reproche aux journalistes, incluant même les localiers, d’être déconnectés de la réalité des citoyens.
«Ce n’est pas dans l’accumulation de données et le bavardage que l’on trouvera nos lecteurs»
Paolo Ruffini
«Le thème de la proximité hante les discussions dans les médias catholiques aussi», a indiqué Paolo Ruffini. Reprenant les propos du pape, il a prôné la culture de la rencontre, impliquant un partage. Il a opposé la spécificité des médias catholiques à «l’hystérisation» de l’information. La sagesse est nécessaire pour retrouver la proximité avec les lecteurs; il faut réfléchir avec générosité: «ce n’est pas dans l’accumulation de données et le bavardage que l’on trouvera nos lecteurs». Faute de quoi, les réseaux sociaux et leurs algorithmes l’emporteront sur la réflexion.
«La curiosité et la générosité sont les clés d’une bonne distance» a argumenté Didier Pourquery, président du conseil d’administration du site d’information The Conversation. La curiosité doit inciter à «aller voir» et la générosité est synonyme de partage des sujets avec les lecteurs. «La seule reconnaissance qui vaille est celle du lecteur qui revient le lendemain». Curiosité et générosité doivent se doubler d’un savoir-faire journalistique indispensable pour éviter les informations qui ne nourrissent pas et dont sont encombrés les réseaux sociaux, ajoute Didier Pourquery.
«Trouver la juste distance avec les gens implique une introspection et un travail à faire sur nous-mêmes», a relevé pour sa part Gauthier Vaillant, journaliste au quotidien La Croix. Il a évoqué la question du déplacement intérieur permettant une meilleure disponibilité des journalistes pour leurs interlocuteurs, induite par une écoute dénuée de préjugés ou d’une trop grande subjectivité liée à leur vécu.
A quelques mois des élections municipales il a entamé un tour de France des communes rurales pour rendre compte de la difficulté des maires à effectuer leur travail. «C’est parfois difficile. Les gens vous jugent a priori éloigné de la réalité juste parce que vous venez de Paris».
«C’est parfois difficile. Les gens vous jugent a priori déconnecté de la réalité juste parce que vous venez de Paris»
Gauthier Vaillant
Une distance sans compromis possible s’est en revanche imposée au journaliste, catholique de surcroit, lorsqu’il a travaillé, durant deux ans, sur les cas d’abus sexuels en Eglise. «Sans la distance, impérative dans ce contexte, j’aurais pris la plume et crié à l’indignation sans aucun discernement».
Selon Gauthier Vaillant, il ne faut pas céder aux reproches de certains lecteurs qui ne se reconnaissent pas dans les colonnes du journal. Il estime qu’il est là pour assembler et présenter des éléments qui permettront aux lecteurs de débattre et de se forger une opinion.
Développer le reportage, aller sur le terrain est une solution idéale mais qui se heurte souvent aux impératifs financiers. Une problématique qui touche l’ensemble de la presse, y compris catholique. C’est, de l’avis de tous, en allant sur le terrain que les médias retrouveront leur public. (cath.ch/bh)
Lourdes, un lieu qui fait référence
L’édition 2020 des Journées internationales a rassemblé 250 personnes de la presse catholique en provenance de 20 pays. La moitié d’entre eux viennent pour la première fois à ces rencontres. «Les structures que nous occupions à Annecy étaient devenues trop petites pour accueillir notre rencontre», indique Jean-Marie Montel (photo), président de la Fédération des médias catholiques.
Surtout, insiste-t-il, Lourdes est un lieu qui fait référence pour les journalistes qui viennent de l’étranger. Le sanctuaire est, selon lui, un endroit idéal pour s’arrêter un moment dans ce tumulte, travailler ensemble, confronter les idées et faire communauté.
«Nous ne sommes pas toujours d’accord, nous sommes en concurrence, on se bagarre parfois, comme dans une famille. «Mais au final, nous avons le même Père». Ici, sourit-il, j’ai vu naître des projets, se réconcilier des gens, d’autres trouver du travail ou nouer des partenariats. On finit toujours par se parler».
Depuis cinq ans, les médias audio-visuels ont rejoint ces Journées qui se sont ouvertes un peu plus aux confrères de la presse catholique internationale. Depuis trois ans, une équipe du dicastère de la communion du Vatican participe à l’événement. BH
Bernard Hallet
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