Anne-Sylvie Sprenger, Protestinfo
Face aux catastrophes naturelles, l’être humain n’est souvent que bien peu de choses. Ce sentiment d’impuissance engendré par ces tragédies diverses (séismes, tsunamis, incendies, éruptions volcaniques, etc.) aurait d’ailleurs un impact direct sur notre rapport à la religion. C’est ce que révèle l’étude internationale Acts of God? Religiosity and Natural Disasters, menée par la Danoise Jeanet Sinding Bentzen de l’Université de Copenhague. Cette professeure d’économie, spécialisée dans les études interdisciplinaires en lien avec le champ de la culture et de la religion, a en effet analysé les données de plus de 400’000 individus dans 96 pays pour mettre au jour l’ampleur du phénomène. Explications.
Dans quelle mesure les catastrophes naturelles ont-elles une incidence sur notre rapport à la religion?
La religiosité a augmenté neuf fois plus dans les régions du monde frappées par des tremblements de terre par rapport à celles qui ont été épargnées au cours de la période 1991-2009. Cette amplification est principalement due au fait que les croyants deviennent plus religieux. Ce n’est pas que les non-croyants ont tendance à adopter une religion à la suite d’une catastrophe naturelle. Du côté des croyants, ces personnes n’iront généralement pas non plus beaucoup plus souvent à l’église. C’est plutôt leurs croyances personnelles existantes qui s’intensifient, notamment à travers par exemple une pratique plus régulière de la prière.
Cette intensification du sentiment religieux ne serait-il pas purement temporaire?
L’augmentation de la religiosité face aux catastrophes pourrait en effet en théorie s’expliquer par le fait que les gens se dirigent vers les Eglises et autres institutions religieuses pour y rechercher de l’aide matérielle. Or on observe que cette intensification du sentiment religieux perdure dans le temps et à travers les générations. Par exemple, les enfants d’immigrés sont plus religieux quand leurs parents viennent de régions sismiques.
Comment comprenez-vous ce lien entre catastrophes naturelles et sentiment religieux?
Une des raisons principales de l’impact des catastrophes sur la religiosité est ce que l’on appelle «l’adaptation religieuse». La théorie de l’adaptation religieuse affirme que les gens utilisent la religion comme un moyen de faire face à l’adversité et à l’incertitude. Les données empiriques suggèrent que les personnes touchées par divers événements défavorables de la vie, comme des problèmes de santé, la mort d’un proche, l’alcoolisme, un divorce, etc., sont plus religieuses que les autres.
Cette réaction n’est-elle donc pas la même avec chaque traumatisme? Ou voyez-vous une spécificité propre à ces catastrophes naturelles?
Selon la théorie sur l’adaptation religieuse, les gens utilisent principalement la religion pour faire face à des événements importants, négatifs et imprévisibles. Lorsque les gens font face à des événements perçus comme négatifs mais prévisibles, comme un examen ou une entrevue d’emploi qui approche, ils sont plus susceptibles de s’engager dans une adaptation axée sur les problèmes, où ils visent à s’attaquer directement au problème qui cause le stress. De même, la religiosité augmente davantage en réaction à des catastrophes imprévisibles, par rapport à celles qui sont prévisibles.
Et les catastrophes naturelles entrent majoritairement dans le cadre des événements imprévisibles…
Parmi les quatre principales catastrophes géophysiques et météorologiques, les tremblements de terre, les tsunamis et les éruptions volcaniques élèvent les croyances des gens, alors que les tempêtes tropicales ne le font pas. La raison en est que les météorologues ont beaucoup plus de facilité à prédire les tempêtes que les sismologues à prédire les tremblements de terre. En outre, les tremblements de terre dans des régions qui sont autrement rarement touchées augmentent davantage la religiosité que les tremblements de terre dans des régions qui sont souvent touchées.
D’autres catastrophes, telles que les guerres et les conflits, peuvent avoir des effets similaires à ceux des catastrophes naturelles sur la religiosité. Après l’attaque du 11 septembre, neuf Américains sur dix ont déclaré avoir fait face à leur détresse en se tournant vers leur religion. En outre, les recherches montrent que les personnes qui ont été plus exposées aux conflits sont plus susceptibles de rejoindre des communautés religieuses.
Avez-vous analysé certaines différences entre les religions et les cultures?
Oui. Ce sont principalement les chrétiens, les musulmans, les hindous et les juifs qui utilisent leur religion pour faire face aux expériences après les catastrophes naturelles. Les bouddhistes semblent être moins touchés. Il n’y a pas assez de personnes d’autres religions ou de groupes spirituels dans les données pour tirer des conclusions sur leur expérience particulière d’adaptation.
Vous écrivez cependant que cette réaction affecte «les gens de toutes les classes, de tous les revenus et de tous les niveaux d’éducation»…
Effectivement. Le seul indicateur de développement qui m’a donné des résultats différents était le fait d’être au chômage. Alors que les personnes qui ont un emploi et les chômeurs utilisent la religion pour faire face à l’adversité, les personnes qui sont au chômage utilisent davantage la religion. Cela est conforme à l’idée que les personnes qui ont un emploi ont plus de stratégies d’adaptation à choisir, notamment à travers le soutien de leurs collègues, que les chômeurs qui n’ont pas cette possibilité… (cath.ch/protestinfo/mp)
Rédaction
Portail catholique suisse
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