Né dans le Jura français en 1936, Gabriel Maire a été ordonné prêtre pour le diocèse de Saint Claude, où il a exercé son ministère durant dix-sept ans. Suite à une rencontre avec Mgr Helder Camara, alors évêque de Recife au Brésil et chantre d’une Église au côté des plus démunis, le Père Gabriel part au Brésil en 1980. Il veut y aider les plus pauvres à retrouver leur dignité et à devenir responsables de leur vie.
«Son départ dans ce pays était le fruit de deux enracinements», rappelle Elisabeth Lamy, membre de l’association «Les amis de Gabriel Maire», qui a fait le voyage jusqu’au Brésil. L’un dans sa foi vivante en Jésus Christ, et l’autre dans son engagement politique à travers le «Mouvement populaire des citoyens du monde», qu’il avait créé.
Durant neuf ans, le prêtre fidei donum (‘prêté’ au nom de la foi par un autre diocèse) travaille sans relâche au sein des favelas (bidonvilles). Mais son investissement pour la justice sociale dérange les potentats locaux et il est menacé de mort à plusieurs reprises.
Il est assassiné le 23 décembre 1989, à Vitoria, au volant de son véhicule. Un homicide présenté comme un crime crapuleux par les autorités, mais comme un «meurtre politique» par plusieurs membres de l’Église, accablés mais pas surpris par cette fin tragique.
Car le religieux assumait son engagement pour le respect des droits humains. «Le fait que je sois à la fois prêtre et militant d’un mouvement de défense des droits humains pose question à certains, écrivait-il déjà en octobre 1977. Pour moi, c’est une bonne chose, dans la mesure où j’essaie de rester fidèle à cette ligne de conduite de ne jamais imposer mes idées aux autres, mais d’aider ceux-ci à réfléchir, à devenir des hommes libres et responsables. Telle est, en conscience, ma mission de prêtre».
Trente ans plus tard, l’héritage du «Père Gaby», comme il est appelé au Brésil, est bien vivant. Les sept personnes qui ont participé au voyage ont d’ailleurs pu s’en rendre compte à travers les différentes cérémonies et hommages organisés pour le curé jurassien par différentes entités locales, qu’elles soient religieuses, politiques ou associatives. En particulier les membres de la pastorale ouvrière, et de la pastorale des jeunes du diocèse.
La première date marquante de ces commémorations a été le 10 décembre 2019, lors de la remise de la «Comenda Padre Gabriel», un prix créé par la municipalité et décerné localement à des associations ou personnes travaillant à la défense des droits de l’homme. «Nous avons été impressionnés par la diversité des lauréats et le travail accompli dans le domaine des droits de l’homme par des mouvements locaux», s’enthousiasme Elisabeth Lamy.
Le deuxième moment fort a eu lieu le 17 décembre, dans l’enceinte de l’Assemblée législative de Vitoria. À l’initiative d’une députée du Parti des travailleurs (PT), qui a connu le religieux, une session solennelle a été célébrée pour rappeler l’action menée par le Père Gabriel. À cet hommage «politique», ont succédé trois dates plus religieuses, à travers un triduum dans les paroisses où a officié le prêtre jurassien.
«Le 21 décembre, l’ensemble des personnes que nous avons rencontrées se sont retrouvées dans l’église où le prêtre a célébré son dernier mariage, le jour même de son assassinat, poursuit Elisabeth Lamy. Nous avons entendu des témoignages de personnes qui ont connu le prêtre français. Le lendemain, nous nous sommes retrouvés sur le lieu où sa voiture a été interceptée». Cette deuxième journée a aussi permis de rendre hommage à tous les défenseurs des droits humains morts pour avoir dénoncé les exactions et des violences commises par les forces de sécurité de l’époque.
«Nous avons planté des croix dans la nuit, dans un lieu qui avait un peu des allures de terrain vague. On ne voyait pas grand-chose, mais c’était bouleversant de rappeler la mort du Père Gabriel, en lien avec la mort du Christ». Le 23 décembre, enfin, un dernier hommage a été organisé sur le lieu où sa voiture a été retrouvée. «Ça a été plutôt une célébration de résurrection, a souligné la membre de l’association. Le Père Gaby est toujours vivant ici, comme le Christ».
Lors des commémorations, les membres de l’association assurent avoir ressenti le poids du climat politique actuel. Pendant la messe, le Père Bernard Colomb, qui a vécu avec le Père Gabriel Maire à Vitoria au début des années 1980, a lu une lettre que ce dernier lui avait adressé le 24 décembre 1985 et dans laquelle le religieux s’interrogeait sur le sens du mot «espérance». Le courrier évoquait en filigrane une situation politique qui n’est pas sans rappeler celle que vit une partie des Brésiliens aujourd’hui. Au point d’ailleurs que le jeune prêtre qui célébrait la messe ce 23 décembre s’est demandé si ce message n’était pas adressé directement adressé aux personnes d’aujourd’hui.
Au-delà des commémorations, le voyage aura surtout permis de nouer des contacts avec des gens qui ont connu personnellement le Père Gabriel et partagé avec lui des moments forts. C’est le cas d’un homme d’une cinquantaine d’années, vivant dans un quartier très pauvre de Vitoria, et qui a hébergé une partie de la délégation.
«Il portait toujours la grosse croix de Taizé en bois que le Père Gabriel lui avait offert, se souvient, Elisabeth Lamy. Il assurait que s’il n’avait pas rencontré et bénéficié de la force transmise par le Père Gabriel, il serait probablement mort aujourd’hui, comme bon nombre de jeunes de sa génération, plongés qu’ils étaient dans la violence, la misère et le trafic de drogue. Il pleurait en racontant cela».
Dernier point marquant pour la délégation française, la mobilisation des jeunes. «Ils n’étaient pas nés quand le Père Gabriel est mort, mais l’on sent que le souffle a été transmis à cette génération, s’est ému le Père Lucien Converset qui a connu le Père Maire. Nous voulons conserver, pour l’emmener avec nous, la manière dont les Brésiliens s’inspirent de l’esprit insufflé par le Père Gaby. En France, nous avons son corps. Au Brésil, ils ont gardé son cœur». (cath.ch/jcg/rz)
Jean-Claude Gérez
Portail catholique suisse
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