«Il n’est plus lui-même». Une phrase que l’on entend souvent de la bouche des proches, ou du personnel soignant, en rapport aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Mais ce qui apparaît comme une évidence, lorsque la personne ne reconnaît plus ses enfants ou ne se souvient pas du lieu où elle habite, est peut-être en passe d’être révisé.
C’est en tout cas l’opinion de Catherine Poidevin, directrice de la maison «Les Acacias», à Martigny, qui accueille des personnes atteintes de troubles cognitifs graves. «En travaillant avec ces personnes, on observe que même si leur comportement change, leur identité profonde reste la même». C’est surtout la perception du monde extérieur qui est modifiée, comme par exemple la compréhension des normes sociales, assure la responsable d’établissement.
Des observations étayées par des sources scientifiques dans plusieurs endroits du monde. C’est en particulier la vision soutenue par Muireann Irish, professeure de psychologie à l’Université de Sydney, en Australie. Elle mène depuis de nombreuses années des études sur les perceptions de malades d’Alzheimer. Dans un article paru en novembre 2019 dans le magazine en ligne Aeon, elle souligne que «de récentes recherches effectuées par mon laboratoire démentent l’idée selon laquelle le sens du ‘moi’ serait totalement perdu chez les personnes atteintes d’Alzheimer».
En 2016, le Centre national américain d’information sur les biotechnologies (The National Center for Biotechnology Information) indiquait également que «les récentes recherches ont mis en défaut la vision préalablement établie que les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer perdent leur sens du ‘moi’, plusieurs études démontrent que ce dernier est partiellement préservé, même dans les phases terminales de la maladie».
Muireann Irish souligne que les personnes souffrantes vivent des changements significatifs dans leur conception d’eux-mêmes, leurs relations sociales, la perception de leurs propres capacités, ainsi que leur apparence physique. «Pourtant, l’essence de leur personne demeure», assure la psychologue australienne.
Pour elle, la reconnaissance de cette réalité a d’importantes implications pour le secteur des soins. Elle implique notamment une prise de conscience du vocabulaire, où il s’agit d’éviter les termes «stigmatisants».
Des concepts déjà mis en pratique depuis le début des années 2000 aux Acacias. Dans cette petite villa au centre de Martigny, on s’efforce de ne pas utiliser des termes tels que «démence» ou des expressions telles que «il n’est plus lui-même». «Le poids des mots est énorme pour ces personnes déjà extrêmement fragilisées», explique Catherine Poidevin. Car même si elles semblent ne plus percevoir la réalité du monde extérieur ou analyser de manière erronée les stimuli externes, elles intègrent beaucoup plus que ce que l’on peut imaginer.
Elles sont néanmoins dans un état où la communication non-verbale, notre attitude, devient très importante. Les activités manuelles, les contacts dans l’authenticité, le temps de présence accordé dans «l’ici et le maintenant», la danse, et surtout le regard posé sur eux sont ainsi des clés essentielles pour les atteindre dans leur être profond, assure la directrice des Acacias.
L’option prise par la maison, fondée par l’ancienne soignante romande Marianne Sarrasin, est de se concentrer sur les capacités des personnes accompagnées, et non pas sur leurs déficits. C’est ainsi faire confiance à leur potentiel. Le leitmotiv du lieu est: «La personne d’abord, la tâche après». Le personnel assure ainsi une présence basée sur l’écoute et la confiance, dans un cadre le plus reposant et «familial» possible.
Muireann Irish soutient que «des actes simples, adaptés à la conscience d’eux-mêmes que possèdent les personnes souffrantes, peuvent avoir des effets transformateurs». Un constat confirmé par l’expérience de Catherine Poidevin aux Acacias. Elle qui a travaillé dans divers établissements de soins de Suisse romande témoigne d’une prise en charge faite souvent en urgence et de manière très formelle, où le choix de la médication est souvent privilégié.
Aux Acacias, au contraire, la médication est réduite au minimum et le personnel s’efforce avant tout de comprendre ce qui se cache derrière les comportements parfois perturbants et déconcertants des personnes cognitivement troublées. «Pour cela, il est important de s’enquérir auprès des proches de la personnalité et des expériences de vie de la personne», explique la directrice. Dans cette ligne d’idée, Muireann Irish propose de mettre à disposition des malades, des «boîtes à souvenirs», composées d’anciennes photographies, de coupures de journaux, d’objets significatifs des grands étapes de leur vie.
Des démarches également capables de servir les proches bien portants. En nous adaptant au paysage changeant des troubles cognitifs, «nous pouvons entreprendre un voyage dans la mémoire, pour découvrir les perles de souvenirs des êtres aimés, donner une perspective différente à une vie bien vécue, et favoriser dans la foulée notre propre développement et croissance», affirme la psychologue australienne.
Catherine Poidevin espère que ce nouveau regard sur les troubles cognitifs pourra s’étendre dans la société et dans le secteur médical. Afin que les proches des personnes touchées puissent savoir que ces dernières sont encore bien elles-mêmes, et qu’elles méritent d’être traitées avec le maximum de respect et de dignité. (cath.ch/rz)
La villa «Les Acacias» a fait l’objet d’un reportage de l’émission de la RTS Hautes Fréquences, le 8 décembre 2019
Raphaël Zbinden
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