La neige, emportée par des bourrasques de vent, transforme la lumière des lampadaires en halo cotonneux. Des ombres s’engouffrent dans la basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice, prennent une lanterne qui leur donne furtivement un visage et disparaissent dans la pénombre. Pas de discussions ni ce bourdonnement sourd qui précèdent habituellement la messe. Il est 6h00 et il fait encore nuit.
Une trentaine de fidèles prient dans le silence, à la seule lueur des bougies disposées au pied des travées, sur l’autel et dans le chœur de la basilique. Dans cette atmosphère particulière, ils se préparent à vivre la messe «Rorate», typique du temps de l’Avent. «Rorate caeli desuper et nubes pluant justum» (Is 45, 8)signifie en latin: «Cieux, répandez d’en haut votre rosée et que les nuées fassent descendre le juste!» La messe se confond avec l’office des laudes des chanoines.
«Cette ambiance rend attentif à la voix et donc à la Parole. On entend mieux, c’est biologique», explique au déjeuner qui rassemble ensuite les fidèles, Simone, le jeune profès à l’Abbaye. L’atmosphère est propice à la prière. C’est un beau signe du temps de l’Avent: juste ce qu’il faut de lumière pour l’attente de la venue du Christ, cette lueur d’espoir qui subsiste.
Une atmosphère qui permet une intimité avec le Christ, estime Benjamin, «loin des lumières factices de la société de consommation» et qui, ajoute le Père-Abbé Jean Scarcella, pousse à l’intériorité, dans le noir qui nous extrait du monde. «Nous sommes au cœur du mystère». C’est en tout cas un des aspects de cette célébration qui explique la tendance à la hausse, en Romandie, de ces messes qui rythment le temps de l’Avent.
L’abbé Antoine Dubosson, curé de Vicques (JU), confirme la belle affluence que connaît la messe «Rorate» dont c’est la huitième édition. Environ 50 à 60 personnes – il en a compté jusqu’à 80 – se retrouvent chaque mercredi de l’Avent dans l’église de la commune qui borde le canton de Bâle-Campagne.
Des actifs, des familles, des retraités viennent prier au milieu des cierges et des lumignons. «Ce sont des chrétiens qui renoncent, le temps d’une messe, à la lumière artificielle pour devenir des veilleurs de l’aurore». L’aspect événementiel de ces messes explique aussi leur succès. «Les gens se réjouissent. Ils évoquent, dès le mois de novembre, la perspective de venir participer à cette célébration».
L’abbé Dubosson a opté pour une messe calme et méditative. «C’est pourquoi une petite réflexion fait office d’homélie, de sorte que les fidèles aient au moins cinq minutes de silence. Comme une impulsion à la prière», indique le curé in solidum de l’UP Saint-Germain. Cela amène une respiration spirituelle dans le stress de fin d’année.
Il s’agit d’une messe mariale, rappelle le Père pallottin Leszek Woroniecki, aumônier à l’Université de Fribourg. L’office programmé à 6h45 attire entre 40 et 60 personnes les jeudis de l’Avent, parmi lesquels une majorité de jeunes mais aussi des familles et quelques fidèles venus en voisins. Une fréquentation stable depuis cinq ans que ces messes sont programmées à la chapelle de l’Université. «Parfois dans le silence, on entend une bougie crépiter. Les jeunes apprécient cette atmosphère de prière».
La fréquentation du couvent des dominicains St Hyacinthe, à Fribourg est similaire. Le frère Jacques-Benoît Rauscher y observe une assistance plus jeune qu’aux messes dominicales. «Les chrétiens, explique-t-il, veulent réinvestir cette période qui précède Noël et marquer plus particulièrement le temps de l’Avent». Il y voit également une volonté de faire un effort à l’approche de Noël.
«On y retrouve aussi cet aspect de notre société de plus en plus imprégnée de la culture du ›corps émotion’: les sens participent à la prière. On y est plus sensible qu’autrefois».
Le déjeuner que partagent les fidèles avec la communauté à l’issue de l’eucharistie est une autre explication du succès de cette messe matinale. «On partage un petit moment sans trop s’engager. Une pratique moderne: ›Je suis là mais je ne me livre pas trop’», indique le religieux dominicain. On se retrouve aussi entre croyants, le temps d’une pause dans la frénésie de la semaine.
Un rapide coup d’œil sur internet permet de constater l’offre importante des paroisses en Romandie. A Fribourg, les paroisses, l’université et les dominicains se sont entendus de sorte qu’on trouve une messe «Rorate» chaque matin de la semaine. Certains y retrouvent une tradition un temps perdue en Suisse romande mais restée très vivace en Suisse alémanique.
C’est le cas d’Irène qui partage un croissant et un thé avec une dizaines de personnes et les chanoines de l’abbaye. La Montheysane de 70 ans n’avait plus vécu une messe rorate depuis 50 ans. «Cette tradition avait disparu en Suisse romande. Enfant, j’y allais à six heures du matin. Nous avions ensuite un chocolat chaud avant de partir à l’école». Elle redécouvre la joie d’un moment passé avec la communauté en toute simplicité.
«Cela prend aux tripes. Le chant du rorate raisonne en nous d’une manière unique. Au-delà d’une lanterne, c’est la vraie lumière qu’on vient chercher». (cath.ch/bh)
Rorate
Le nom renvoie à l’antienne caractéristique de l’Avent, qui reprend la supplication d’Isaïe: «Rorate caeli desuper et nubes pluant justum» (Is 45, 8), qui signifie: «Cieux, répandez d’en haut votre rosée et que les nuées fassent descendre le juste». La suite du verset d’Isaïe appelle Noël: «Terre, ouvre-toi! Que germe le Sauveur!» Cette messe trouve son origine en Europe centrale. Elle est très répandue chez les Alémaniques. BH
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/rorate-la-messe-des-veilleurs-de-laurore/