Dans 'La Bibliothèque monde', sur les pas de Mgr Jean-Louis Bruguès

Le dominicain français Jean-Louis Bruguès a été président de la Bibliothèque apostolique et des Archives secrètes du Vatican de 2012 à 2018. Dans un ouvrage, publié à fin 2019, intitulé La Bibliothèque monde, il emmène ses lecteurs par le texte et par l’image à la découverte de quelques-uns des trésors de ces deux institutions.

Des premiers manuscrits de la Bible sur des papyrus égyptiens, à la dernière partition de Mozart, en passant par l’abdication de la reine Brigitte de Suède ou le procès de Galillée, l’itinéraire tracé par Mgr Bruguès est aussi surprenant que passionnant. Pour cath.ch, l’ancien professeur à l’Université de Fribourg et évêque émérite d’Angers retrace les origines et le sens de sa démarche.

Mgr Jean-Louis Bruguès (Photo: Grégory Roth)

Pour vous, l’aventure commence en 2012, lorsque le pape Benoît XVI vous convoque pour vous annoncer son intention de vous nommer bibliothécaire du Vatican.
Benoît XVI m’a fait alors une double confidence: Il aurait bien voulu lui-même occuper ce poste, si ces frères cardinaux n’en avaient pas décidé autrement en l’élisant comme pape. Il voulait réaliser ce rêve à travers moi. «Je vous confie les trésors de l’Eglise» m’a-t-il dit en deuxième confidence. L’expression peut étonner: les vrais trésors de l’Eglise ne sont-ils pas d’abord les sacrements, la vie spirituelle, les saints ou encore les pauvres? Mais durant six ans passés à la bibliothèque et aux archives du Vatican, j’y ai effectivement trouvé des trésors inestimables. Ce sont quelques-uns d’entre eux que j’ai voulu présenter dans cet ouvrage.

«Durant six ans passés à la bibliothèque et aux archives du Vatican, j’y ai trouvé des trésors inestimables»

Comment avez-vous établi votre liste?
Je n’ai pas voulu présenter les documents les plus importants, mais montrer ceux qui m’avaient touché. C’est une approche très personnelle. Je ne suis pas historien, ni archiviste. Ma formation est celle d’un professeur de théologie et de responsable d’institutions universitaires. Quand j’ai dit au pape que je n’avais pas les compétences techniques pour gérer la bibliothèque et les archives, il m’a répondu que chacune des deux institutions avait un préfet comme responsable technique et que moi j’héritais de la responsabilité ‘politique’.

Depuis sa fondation au XVe siècle, la bibliothèque vaticane a rassemblé des contenus très variés.
C’est un trésor dans l’Eglise mais pas qu’un trésor de l’Eglise. Dès sa création par le pape Nicolas V (1447-1456), la bibliothèque se veut un lieu qui rassemble des documents très divers. Outre les questions ecclésiastiques, elle possède des fonds très importants pour la médecine, l’astronomie, les sciences… Dès l’origine, le pape a voulu qu’elle soit ouverte aux chercheurs du monde entier, quelles que soient leurs convictions et leur religion.

Les Archives secrètes du Vatican rassemblent 85 km de documents | Archivum secretum vaticanum

«Tout ce que les hommes ont voulu faire de juste et de beau se trouve dans la bibliothèque vaticane»

Votre livre montre que la réflexion et la science sont presque toujours associées à la beauté
Ces deux institutions de la bibliothèque et des archives vaticanes sont caractérisées à la fois par la rigueur scientifique et la splendeur esthétique. Cela forme pour ainsi dire leur ADN. Elles ont accompagné l’histoire de l’humanité jusqu’à nos jours. L’Eglise ne peut qu’en être fière. Au début, la bibliothèque comporte un fond latin et grec puis des fonds hébreu et arabe. Ce dernier est un des plus riches au monde et dépasse évidemment les frontières européennes. Dès le XVIIIe siècle, viendront s’y ajouter des fonds asiatiques. On peut dire que ce que les hommes de toutes les civilisations ont voulu faire de juste et de beau se trouve dans la bibliothèque vaticane. Il y a là des leçons d’histoire qui nous permettent de méditer l’actualité. Le titre La bibliothèque monde qui n’est pas de moi se trouve justifié par cette dimension ‘politique’ des deux institutions.

La bibliothèque et les archives ne sont pas ouvertes au grand public.
Les deux institutions sont ouvertes aux chercheurs du monde entier munis d’un doctorat et d’une recommandation académique. C’est pourquoi, j’ai voulu mettre à disposition d’un public plus large quelques-uns des trésors qu’elles renferment. Je suis responsable des textes. Avec les spécialistes de la maison d’édition Le Cerf, nous avons choisi les photos. Nous avons voulu faire un beau livre type ‘catalogue d’exposition’ abordable pour tout public. 

La salle sixtine de la Bibliothèque Vaticane | DR

Les archives secrètes viennent de changer de nom pour s’appeler archives apostoliques. Il s’agissait de gommer l’aspect caché et mystérieux.
Cela perd un peu de sa poésie. Le mot secret vient du latin secretum qui désigne le coffre dans lequel les documents étaient entreposés. Il a donné en français le mot secrétaire désignant à la fois le meuble et la personne qui s’y assied pour rédiger des documents. Le deuxième sens signifie qu’il s’agit des archives privées du pape qu’il peut consulter quand il veut et qui en autorise l’ouverture à d’autres personnes.

«Des gens comme Dan Brown ont gagné beaucoup d’argent parlant d’une maison dans laquelle ils n’ont jamais mis les pieds»

Les archives secrètes ont souvent nourri l’imagination des écrivains ou des journalistes. Elles cacheraient des secrets susceptibles d’ébranler l’Eglise.
Ce sont de mauvais romans. Des gens comme Dan Brown ont gagné beaucoup d’argent parlant d’une maison dans laquelle ils n’ont jamais mis les pieds. Tout ce qu’ils racontent ne repose sur aucune base historique. (cath.ch/mp)

Mgr Jean-Louis Bruguès: La Bibliothèque monde, La Vaticane et les Archives secrètes, 200 p. Paris, 2019, Editions du Cerf

Les archives du Vatican, au sud de la cour de la bibliothèque | DR

80’000 manuscrits,1,6 million ouvrages, 300 000 monnaies et médailles, 8’300 incunables
La Bibliothèque apostolique vaticane (BVA) conserve outre ses 80’000 manuscrits,1,6 million ouvrages, 300’000 monnaies et médailles, 8’300 incunables, ainsi que des gravures, estampes et objets d’art. Elle occupe un des côtés de la cour du Belvédère, en plein cœur de la Cité du Vatican. Une centaine de personnes y travaillent, bibliothécaires bien sûr, mais aussi responsables de conservation, restaurateurs et informaticiens.  

En juillet 2007, la bibliothèque a fermé pour trois ans, pour d’importants travaux de restructuration du bâtiment et de restauration des fresques pour un coût total de 25 millions d’euros. Outre ses 14’000 m2 de salles, la bibliothèque dispose également d’un bunker de 800m2, creusé six mètres sous terre, pour les pièces les plus précieuses de la collection.

Collectionner, préserver et restaurer le patrimoine du livre et le rendre accessible au public, sont les deux tâches fondamentales pour une bibliothèque. Ces deux buts peuvent entrer en contradiction car la consultation des livres anciens entraîne aussi leur usure et, avec le temps, le danger de leur détérioration s’est accru. Pour pallier le problème, la bibliothèque veille aux conditions de conservation, grâce à un stockage conditionné et un service d’entretien et de restauration des ouvrages. Elle compte surtout aujourd’hui sur les avantages de la révolution numérique.

15’000 manuscrits accessibles sur internet
Dans les années 1990, la BVA a procédé à l’informatisation de l’ensemble de ses catalogues. Lors de la restauration, de 2007-2010, chaque livre a été équipé d’un dispositif électronique pour le retrouver facilement. A partir de 2010, divers projets de numérisation des manuscrits ont été lancés grâce à des mécènes internationaux.
Plus de 1,5 million de pages de manuscrits ont été numérisées, a indiqué en 2018, le préfet Mgr Cesare Pasini. Ces pages sont accessibles en ligne sur un site dédié, DigiVatLib, où 15’000 des 80’000 manuscrits de la Bibliothèque peuvent ainsi être consultés gratuitement.
Depuis 1981, le Vatican a renoncé à son exclusivité sur l’exploitation de ses ouvrages . Des contrats signés avec diverses maisons d’édition ont permis la production et la vente au prix fort de fac simile aux amateurs d’art et d’histoire. De même si la consultation des documents sur internet est gratuite leur reproduction est soumise à des droits de publication. MP

Avant de devenir le pape Pie XI, Achille Ratti a été bibliothécaire du Vatican | domaine public

Pie XI: le pape bibliothécaire
Achille Ratti, bibliothécaire de l’Ambrosienne depuis 1907, est nommé vice-préfet de la Vaticane en 1912, puis préfet de 1914 à 1918. Il monte sur le trône de Pierre en 1922 et prend le nom de Pie XI. Il sera le pape de l’entre-deux guerres. Très marqué par la montée du communisme et du nazisme, il condamnera vigoureusement ces deux idéologies. C’est lui aussi qui conclura avec l’Italie de Mussolini les Accords du Latran en 1929, permettant la création de l’Etat de la Cité du Vatican actuel. Il meurt le 10 février 1939, quelques mois avant l’explosion de la deuxième guerre mondiale.

Maurice Page

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