Raphaël Zbinden
«Je n’arrive pas encore à raconter entièrement l’histoire de Samson, parce qu’elle m’impressionne trop», confie Débora Kapp. La voix posée et sage, le cheveu grisonnant, la pasteure fribourgeoise a des airs de matriarche biblique. En parlant de Samson, on ressent que la conteuse se transporte dans la Palestine antique, dans les déserts brûlants, les cités vibrantes et les vergers d’oliviers gris argent. Et pour pouvoir transmettre au mieux la force de ces récits, elle tient à s’approcher de la palette de sens qu’ils peuvent déployer.
Dans ce paysage biblique, la figure de Samson tient une place particulière. Car le personnage est «fort», et même beaucoup plus symboliquement que physiquement. Débora Kapp estime que le guerrier chevelu, dont le nom peut vouloir dire «petit soleil» [shimshon] en hébreu, porte un éclairage inattendu sur l’Evangile.
Il y a en tout cas beaucoup plus à voir en cette figure qu’un «Rambo» au service d’Israël, qui fait revoir leur copie à ces Philistins «non-circoncis».«Cela ressemble à une histoire pour les enfants, note Débora Kapp. Avec des éléments beaucoup plus évocateurs, romanesques et spectaculaires que dans d’autres parties de l’Ancien Testament. Au premier abord, le récit paraît simple, voire un peu ridicule. Mais en le travaillant, on constate que c’est plus complexe et que ce ‘gros bras’ aux allures de macho a plus d’un tour dans son sac».
Samson nous renseigne sur la façon empruntée par Dieu pour se donner à voir et à comprendre, estime la pasteure. «Oser un rapprochement entre Samson et Jésus amène un relief peut-être différent à ce que nous pensons connaître de ce dernier». La Nativité est aussi une «histoire pour enfants», dont on découvre progressivement les multiples dimensions. La naissance de Samson, comme celle de Jésus, est annoncée par un ange. Pour Samson, l’envoyé de Dieu ordonne à sa mère d’avoir un régime particulier durant sa grossesse, détail inédit dans la Bible, puis d’élever l’enfant comme un nazir, c’est-à-dire mis à part pour une tâche spéciale qui consistera pour lui à «commencer à sauver» le peuple. Selon Nombres 6, les nazirs étaient des femmes ou des hommes qui s’engageaient, par vœu personnel et sur une période déterminée, à ne pas se couper les cheveux, ni à consommer le fruit de la vigne sous quelque forme que ce soit et à respecter les règles de pureté pour se consacrer durant ce temps choisi à Dieu.
Comme Jésus, Samson naît avec une mission, il hérite d’une histoire. Les deux auront également une mort de type «sacrificielle». Et ils sont tous deux qualifiés de «sauveurs».
«Je me suis longtemps demandé en quoi Samson pouvait être ‘sauveur’, explique Débora kapp. Pour avoir écrabouillé quelques milliers de Philistins? Je ne crois pas. Pour moi, il ne sauve pas par le combat armé, mais par un ‘repositionnement’. Les Philistins sont-ils des méchants? Lui dit: ce n’est pas si simple, je tombe amoureux de trois femmes de ce peuple et je fais la bringue avec trente Philistins à mon repas de mariage. Il a une attitude pour le moins paradoxale avec l’ennemi du peuple qui subit sa domination. Là se niche peut-être son œuvre salvatrice, dans l’acte de brouiller les pistes et de questionner les évidences. C’est un salut inattendu, imprévisible qui, transposé sur Jésus, nous interroge sur ce que nous entendons sous la phrase ‘Jésus nous sauve'». Pour Débora Kapp, cette alliance avec un «ennemi héréditaire» rappelle les actes de Jésus, qui se rendait surtout auprès de ceux qui n’étaient pas forcément (en apparence) les plus proches de Dieu.
Mais le fil rouge de Samson, c’est aussi ce rapport entre la douceur et la force. Cette tension entre deux opposées est symbolisée dans le fameux épisode où il tue un jeune lion et retrouve par la suite un nid d’abeilles dans sa carcasse et donc du miel, qu’il recueille à mains nues. «Du fort peut sortir le doux». «Cette relation force/douceur est aussi une manière qui désigne l’agir de Dieu, en Jésus et par ailleurs. Un agir où la douceur n’est pas de la mollesse et où la force n’est pas de la brutalité».
«Dieu se donne à voir pleinement et de manière éphémère, perceptible et insaisissable»
Comment comprendre l’attitude apparemment faible et soumise de Samson face aux femmes? «Sa tendance à succomber au charme féminin est plus une force qu’une faiblesse, estime Débora Kapp. Par le fait de se lier à des Philistines, il montre qu’il est un esprit libre, avec la capacité de s’abandonner, de se donner». Ce don de soi se retrouve en Jésus. «Peut-être que finalement, c’est lui qui dupe Dalila, en acceptant d’être mené où elle le veut».
Par son sacrifice, Samson, comme le Christ, amène son peuple vers une nouvelle espérance. En cela, la mention de la stérilité de sa mère (qui n’est pas nommée dans le texte) a son importance. Cela fait peut-être écho à la stérilité du peuple, incapable de rester dans une relation vivante avec son Dieu. Mais une nouvelle aube point. L’ange lui annonce que dans cet impossible, elle aura un enfant.
Lors de la seconde venue de l’ange répondant à la demande empressée du père, c’est la mère qui est à nouveau visitée. Et là, elle «shabbate» dans un champ. Là, elle est inactive, en suspens, disponible. Un champ est un espace intermédiaire: ni totalement sauvage, ni cultivé, plutôt en jachère, au repos, broussailleux, aux abords des habitations. «Cette mère me fait penser à Elisabeth par sa stérilité et à Marie par sa disponibilité», note Débora Kapp. Le père, Manoah, rappelle plutôt Zacharie dans son incrédulité. Il demande un signe. Mais dans le royaume biblique, les signes ne sont souvent donnés que de façon fugace et surprenante. Dieu se donne à voir pleinement et de manière éphémère, perceptible et insaisissable.
La naissance de Samson est tout le temps habitée par «ce qui est vu-qui n’est pas vu». L’ange apparaît un moment aux yeux des parents de Samson, mais disparaît très vite dans une flamme. «Le récit nous indique déjà ce mouvement de croire sans voir. Tout comme ce petit enfant sans défense dans la crèche est notre sauveur».
La mère de Samson, visitée dans un champ, peut inspirer le chrétien pour le temps de l’Avent, assure la pasteure fribourgeoise. «Quels sont aujourd’hui ces champs, autour de nous et au-dedans de nous, où nous sommes comme vacants, ces espaces à la limite du sauvage et du maîtrisé où peut survenir un inattendu qui ouvre à un avenir inédit à vivre?» (cath.ch/rz)
Débora Kapp est pasteur «généraliste» et francophone à la paroisse réformée de Fribourg, qui a la particularité d’être bilingue. En plus de ce ministère à plein temps, elle s’exerce aux contes et à la narration biblique, avec un intérêt marqué pour le répertoire dédié aux ados et aux adultes. Ainsi, lui arrive-t-il de conter divers récits mythologiques au musée romain de Vallon et à celui de Bible et Orient à Fribourg.
Samson et Dalila
L’histoire de Samson et Dalila est racontée dans le Livre des Juges aux chapitres 13 à 16, de l’Ancien Testament. Le récit se situe à une époque où certaines tribus israélites sont sous la domination des Philistins. Ce peuple était établi dans la région littorale sud de la Palestine, autour de la ville de Gaza.
Samson est le fils de Manoah, de la tribu de Dan. La femme de Manoah, jusqu’alors stérile, apprend de l’ange de Dieu qu’elle enfantera un fils qui commencera à délivrer Israël des Philistins. Cet enfant devra être consacré à Dieu, avant même sa naissance. En tant que «Nazir», Samson est donc soumis à des lois qui impliquent notamment que le rasoir ne passe jamais sur sa tête et qu’il ne consomme jamais d’alcool.
Samson est présenté comme un héros d’une force herculéenne, qu’il doit, selon la toute fin du récit biblique, à sa longue chevelure. Ainsi Samson tue un lionceau à mains nues. De même, il tue trente hommes d’Ashkelon pour les dépouiller de leurs habits. Trahi et livré par des membres de son peuple appartenant à la tribu de Judas, il est fait prisonnier par les Philistins. Il parvient à défaire ses liens et, armé d’une mâchoire d’âne, il défait les 1’000 Philistins.
Mais l’épisode le plus célèbre est sa séduction par Dalila. Celle-ci est sollicitée par les Philistins, pour qu’elle les aide à découvrir le secret de la force de Samson. Elle séduit alors le guerrier et apprend que sa force lui vient de sa chevelure de nazir, car il est consacré à Dieu. Dalila le trahit et après avoir rasé les sept tresses de Samson elle appelle des Philistins pour qu’ils lui crèvent les yeux.
Enfermé par ses ennemis à Gaza, Samson est sorti du cachot pour les divertir. Alors qu’il doit être sacrifié à leur dieu Dagon, ses cheveux ont commencé à repousser et sa force s’est en partie reconstituée. Il est placé entre deux colonnes et implore Dieu de le rendre assez fort. Il écarte les colonnes du palais à mains nues afin de le faire s’écrouler, tuant ainsi avec lui plusieurs milliers de Philistins. RZ
Source: chrétiensaujourdhui.com
Raphaël Zbinden
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