S’appuyant sur une enquête de terrain menée de juillet 2017 à juillet 2019, le rapport annuel publié par AED/ACN décrit la détresse des communautés chrétiennes opprimées à travers le monde en raison de leur foi, en Asie, en Afrique ou au Moyen-Orient.
«C’est un fait bien établi que la religion la plus persécutée au monde est aujourd’hui le christianisme, même si beaucoup de gens n’en sont pas conscients», affirme le cardinal Joseph Coutts, archevêque de Karachi, au Pakistan, en introduction du rapport d’AED/ACN.
Depuis que le gouvernement d’Islamabad a adopté les lois sur le blasphème, dans les années 1980, près de deux millions et demi de chrétiens pakistanais ont subi la discrimination et la violence des groupes islamistes. Ces dernières années, l’intolérance a augmenté dans la société pakistanaise, aggravée par le développement de groupes islamiques militants et extrémistes tels que les Talibans et d’autres groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’Etat islamique (Daech).
AED/ACN note que la persécution des chrétiens dans les principaux pays du Moyen-Orient comme la Syrie et l’Irak a considérablement diminué «après la période de génocide du début de la décennie», l’impact des atrocités qui les a visés a provoqué une émigration continue.
Les crises sécuritaires, l’extrême pauvreté et la lenteur du retour des chrétiens chassés de leurs terres par les djihadistes «signifie qu’il est peut-être maintenant trop tard pour que certaines communautés chrétiennes du Moyen-Orient se rétablissent.
Dans certaines régions, le compte à rebours est lancé et la disparition du christianisme risque de devenir une réalité». L’Irak, qui comptait 1,5 million de chrétiens en 2003, n’en abrite plus aujourd’hui que 150’000, «peut-être moins de 120’000», selon le rapport d’AED/ACN. «En l’espace d’une génération, la population chrétienne a diminué de 99% à Mossoul, ville où le christianisme est présent depuis près de 2000 ans». En juillet 2019, le Père Amanuel Adel Kloo, le seul prêtre à rester à Mossoul, a affirmé que deux ans après l’expulsion de Daech de la ville, il n’y avait pas plus de 40 chrétiens encore présents sur place. Les lieux de culte de la vieille ville ont été dévastés.
Les entretiens réalisés par l’œuvre d’entraide avec des chrétiens syriens et irakiens réfugiés au Liban ou en Jordanie montrent qu’ils ne veulent pas rentrer dans leur pays. «La crainte des persécutions demeure trop forte, ainsi que celle d’une marginalisation au sein de la société». Si Daech a perdu une bataille militaire dans la région du Moyen-Orient, il pourrait avoir réussi malgré tout, à en expulser ceux qu’il surnomme les »adorateurs de la croix».
En Egypte, le rapport évoque l’engagement pris par le président Al-Sissi en février 2017 de lutter contre les djihadistesqui décrivaient les coptes comme leurs «proies favorites». Concernant l’engagement des autorités égyptiennes vis-à-vis des chrétiens, Mgr Angaelos, archevêque copte orthodoxe de Londres, rappelle qu’au mois de novembre 2018, l’Etat égyptien a délivré 340 permis pour la construction d’églises. Il précise cependant que dans les zones rurales, les attaques anti-chrétiennes demeurent des «évènements réguliers».
Mais, affirme AED/ACN, c’est surtout en Asie du Sud-Est que la persécution à l’encontre des chrétiens s’est aggravée. C’est désormais le point chaud régional en ce qui concerne la persécution des chrétiens, victimes privilégiées de régimes ultranationalistes et autoritaires. Le rapport note une convergence de vues de plus en plus forte entre les groupes religieux-nationalistes et le pouvoir. Cette conjonction représente une menace croissante – et largement méconnue – pour les chrétiens et les autres minorités en Inde, au Sri Lanka, en Birmanie (Myanmar) et dans d’autres pays d’Asie du Sud-Est.
Dans ces régions, la situation des chrétiens s’est en effet beaucoup détériorée. Les communautés chrétiennes y sont la cible d’attaques terroristes fréquentes. En avril 2019, le jour de Pâques, des attentats perpétrés contre trois églises ont fait 258 morts au Sri Lanka.
Au Pakistan, les persécutions sont fréquemment soutenues par les autorités étatiques, stipule le rapport 2018 de Human Rights Monitor publié par la Commission nationale «Justice & Paix» de la Conférence des évêques du Pakistan. En Inde, les catholiques sont menacés par les nationalistes hindous.
Même aux Philippines, pays catholique, le président Rodrigo Duterte a littéralement invité à «tuer les évêques» qui s’opposent à sa guerre sanglante «contre la drogue», qui a fait déjà des milliers de mort. Il a mis récemment le Conseil national des Eglises des Philippines (NCCP) ainsi que 17 autres organisations de la société civile, sur la «liste rouge» des organisations «terroristes».
Le continent africain est aujourd’hui le théâtre d’actes de violence terroriste. Les attentats se multiplient au Burkina Faso, au Niger, au Mali, au Nigeria et en République Centrafricaine, où des religieux sont pris en otages, des églises attaquées, des paroissiens massacrés. Au Soudan, le Congrès national, parti politique sunnite au pouvoir jusqu’en avril 2019, a lui-même mené des persécutions intenses en attaquant ou confisquant 70 églises catholiques. De même, en juin 2019, le gouvernement érythréen a fermé les 21 derniers hôpitaux catholiques qui prenaient en charge 170’000 personnes chaque année.
Les extrémistes islamistes, quand ils ne tuent pas les chrétiens, les contraignent à devenir musulmans. Le cardinal Désiré Tsarahazana, archevêque de Toamasina, grande ville portuaire de l’Est de Madagascar, révèle que sur l’île, les islamistes radicaux »achètent les gens».
Il a l’impression d’une »invasion» orchestrée par les pays du Golfe, avec des projets de construction de plus de 2’600 mosquées. Au Nigeria, Mgr Wilfred Chikpa Anagbe, évêque du diocèse de Makurdi, affirme qu’il «existe clairement un ordre du jour pour islamiser toutes les zones majoritairement chrétiennes», tandis que dans le nord du pays, le groupe terroriste islamique Boko Haram poursuit ses exactions contre les communautés chrétiennes.
L’AED conclut ce rapport alarmant en soulignant, malgré tout, »l’engagement sans précédent» de la communauté internationale auprès des chrétiens persécutés au cours des deux dernières années. Elle souligne l’exemple d’Asia Bibi, condamnée à mort au Pakistan et libérée grâce à une mobilisation massive des médias internationaux. Cependant, dans de nombreuses régions, les chrétiens demeurent menacés d’une possible extinction. Le rapport se conclut sur cette interrogation: »Si le pape François se rend en Irak en 2020, comme annoncé en juin 2019, quel vestige de la communauté chrétienne y trouvera-t-il?» (cath.ch/aed/acn/vaticannes/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/les-chretiens-sont-le-groupe-religieux-le-plus-persecute-au-monde/