Avec le pape, la «Joie de l’Evangile» féconde l'Eglise

Bernard Litzler et Grégory Roth, de Rome

Du 28 au 30 novembre 2019, 1300 personnes se sont rassemblées au Vatican autour de l’exhortation apostolique «La Joie de l’Evangile» du pape François et en percevoir la portée pour la nouvelle évangélisation. Un texte commenté, entre autres, par le dominicain Timothy Radcliffe, le cardinal philippin Luis Antonio Tagle et le prêtre italien Luigi Ciotti qui ont salué sa portée prophétique. Le colloque s’est conclu par une rencontre avec le Saint-Père.

Des intervenants de haut vol, 1300 personnes, laïcs, prêtres, religieux et religieuses, venus de 71 pays, trois jours non stop. Le colloque «L’Eglise en sortie (Chiesa in uscita). Réception et perspectives de la Joie de l’Evangile» a remis en lumière l’exhortation apostolique du pape François, parue en 2013.

Le document dense et stimulant, programme d’action du pontificat, continue de déployer ses effets. Pour Mgr Rino Fisichella, préfet du Conseil pontifical pour la Nouvelle Évangélisation (CPPNE), organisateur du colloque, il était important, six ans après la publication du texte, d’en mesurer les effets pour la mission évangélisatrice de l’Eglise. Pour ce faire, il a fait appel à diverses contributions: prélats et religieux, laïcs engagés, groupes missionnaires.

Le cri du peuple de la nuit

Chiara Mirante | © Grégory Roth

Lumineuse et engagée, l’Italienne Chiara Amirante, fondatrice du mouvement Nuovi Orizzonte (Nouveaux Horizons), a évoqué son action évangélisatrice: «Il y a trente ans, j’ai commencé à parcourir les rues pour partager au peuple de la nuit la joie de l’Evangile. Ici, à Rome, au cœur de la chrétienté, j’ai vécu un vrai voyage aux enfers: des milliers de jeunes aux prises avec la drogue, l’alcool, la prostitution». Elle rejoint le pape qui invite, dans l’exhortation, à écouter le cri du pauvre. «En fait, ce sont des mendiants d’amour. Répondre à leurs demandes est impossible, mais je crois que l’amour est plus fort que la mort», témoigne Chiara.

Aujourd’hui, Nuovi Orrizonte recense 700’000 «Chevaliers de la lumière», surtout des jeunes sortis des ornières de la dépendance et devenus messagers, à leur tour, de la vie nouvelle expérimentée. Six «Citadelles du Ciel» sont issues de ce mouvement inventif.

Chiara Amirante a également pointé, devant l’assemblée réunie à l’Aula Paul VI du Vatican, les maux actuels. La dépendance des jeunes à Internet, «qui fausse la perception entre le réel et le virtuel» et entraîne une hausse de l’agressivité et des troubles d’attention. Les jeunes sont également victimes d’autres poisons puissants: le relativisme, le consumérisme, l’investissement massif dans l’apparence et l’individualisme qui provoque la compétition plutôt que la solidarité.

«Si tu veux faire rire Dieu…»

En écho, le Britannique Timothy Radcliffe, ancien maître de l’ordre dominicain, a condamné, à l’instar du texte pontifical, le «paradigme technocratique» qui veut tout contrôler, mesurer, gérer. Cette culture dominante contrevient aux impulsions de l’Esprit saint: «Si tu veux faire rire Dieu, raconte-lui tes projets», lance, pince sans rire, le religieux british. Pour lui, le texte de l’exhortation imprime la marque du pape argentin, plus soucieux du temps que de l’espace. Le souverain pontife veut «donner la priorité aux actions qui comporte de nouveaux processus. Car l’Esprit, à l’œuvre dans nos vies, engendre des processus».

Le dominicain Timothy Radcliffe avec une religieuse africaine au colloque sur la Nouvelle Evangélisation | © Bernard Litzler

Or le monde d’aujourd’hui bannit les nuances avec les «j’aime-j’aime pas» des réseaux sociaux. Et «l’Eglise souffre de se parer de trop de mots et manque d’actes». Qui aura le courage du geste? Et lesquels pourront toucher nos contemporains?, se demande le Père Radcliffe. Car la crainte des jeunes, en notre temps, est de «n’avoir pas commencé à vivre pleinement leur vie». Aux chrétiens trop souvent enfermés dans une «psychologie de la tombe», le pape répond en invitant à l’évangélisation: «Je suis une mission sur cette Terre», indique le religieux en citant le Saint-Père.

Le vendeur de gâteaux

Le cardinal philippin Luis Antonio Tagle a captivé l’assemblée | © Bernard Litzler

Avec son style espiègle et profond, le cardinal philippin Luis Antonio Tagle a commenté la partie du texte sur les disciples missionnaires. Rappelant que nous sommes tous pèlerins sur terre, il convie les baptisés à devenir évangélisateurs. Comment? «En partageant la Bonne Nouvelle, simplement». Mais l’évangélisateur doit aussi être évangélisé. «Même s’il est cardinal…»

L’archevêque de Manille explique comment un vendeur de rue l’a évangélisé. Un jour, avec la voiture d’un ami, le prélat est arrêté au feu rouge. Arrive le vendeur de gâteaux, dont le chauffeur de l’ami a déjà refusé la marchandise. Comme le vendeur a reconnu le cardinal Tagle, il insiste avec des signes amicaux, devant la vitre fermée. Lassé, l’ecclésiastique descend la vitre et… se voit offrir un gâteau par le pauvre homme. «Je ne veux pas vous vendre un gâteau, je veux vous l’offrir».

Le cardinal est touché de sa gentillesse spontanée. «J’ai été évangélisé par un plus pauvre», dit-il, visiblement touché. Et son ami d’acheter des gâteaux, dont le montant est immédiatement partagé entre les vendeurs slalomant entre les voitures. «La vie ordinaire est le champ de l’évangélisation», complète le cardinal Tagle.

Don Ciotti: du soi au nous

Avant l’intervention du pape François, le 30 novembre 2019 en fin de matinée, les participants ont gagné la Salle des Bénédictions du Vatican pour une vibrante intervention de Don Luigi Ciotti, sorte de «Guy Gilbert à l’italienne». Curé des rues, opposant à la Mafia, il vient du milieu de la marginalité qui accompagne son action Abele depuis 1972, à Turin.

Avec sa voix forte et rauque, le prêtre de rue Luigi Ciotti a lancé un cri du cœur| © Grégory Roth

Ordonné prêtre, Ciotti crée l’association Libéra au service des plus démunis. La rue reste son repère pastoral. Le thème du colloque, «L’Eglise en sortie», lui parle particulièrement, lui qui apprécie l’option du pape François envers les périphéries urbaines, sociales et même existentielles. Car ceux qui ont tout souffrent souvent «d’anorexie existentielle».

«L’Eglise doit se faire pauvre pour se libérer des artifices du pouvoir»

Et l’option pour les pauvres, prisée par l’Eglise, est «une catégorie théologique» avant d’être une catégorie sociologique. «L’Eglise doit se faire pauvre pour se libérer des artifices du pouvoir», martèle Don Luigi Ciotti. Pour vivre l’Evangile dans sa radicalité. Et faire de la foi une manière d’être.

De la rue, un cri de liberté

Mais cet engagement est celui du «nous», et requiert donc la pluralité des acteurs, agissant ensemble. De sa voix forte, Don Ciotti appelle au passage «d’une société du soi à une société du nous». Et pourtant, dit-il, nous sommes fragiles et «notre société qui se croit forte est faible, en réalité. Elle est dominée par les peurs». Le prêtre italien défend la valeur d’hospitalité qui engendre la confiance et l’éducation pour grandir dans la conscience du «nous». Car «de la rue s’élève un cri de liberté» pour lutter contre le silence et l’indifférence, terreaux de la marginalité et des trafics.

En conclusion du colloque, la joie des évangélisateurs a été soulignée par le pape François, qui a invité à prendre «des chemins non battus, car Dieu agit en toutes circonstances, dans l’Esprit saint, qui donne la joie». (cath.ch/bl)

Rédaction

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