Une petite poignée d’évêques et de cardinaux ultraconservateurs ont dénoncé «les épouvantables profanations idolâtres» commises dans l’enceinte de la basilique St-Pierre. Ils accusent le pape François d’avoir participé au culte païen de la Pachamama pendant le Synode de l’Amazonie en octobre. «Un acte sacrilège» dont ils exigent que le pontife «se repente».
La Pachamama, la «Terre-Mère», serait-elle une déesse païenne? Certainement pour la vision ethnocentriste d’Occidentaux ignorant la cosmovision amérindienne, quand cette méconnaissance ne confine pas au mépris revendiqué des cultures indigènes héritées des Incas, comme chez les Aymaras de Bolivie, ou des Mayas, comme chez les Tzeltals du Chiapas, au Mexique.
Ces «pseudo-docteurs» de la doctrine catholique devraient alors également condamner François d’Assise pour son Cantique des Créatures: «Loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur notre mère Terre, laquelle nous soutient et nous gouverne et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe».
La Pachamama et l’Inti ne sont pas des dieux, ce sont «les meilleurs dons de Dieu»
Il y a deux ans, Mgr Felipe Arizmendi Esquivel, évêque émérite de San Cristobal de las Casas, au Chiapas (Mexique), m’avait confié que le pape François s’était converti à la problématique indigène à Aparecida, au Brésil, «car en Argentine il n’y a pas vraiment beaucoup d’Indiens». La Pachamama (Terre-Mère) et l’Inti (Père-Soleil), affirme-t-il, sont considérés par les Indiens comme des dieux pour ceux qui n’ont pas reçu l’évangélisation, mais pour ceux qui ont été évangélisés, «ce ne sont pas des dieux, mais les meilleurs dons de Dieu».
Dans les montagnes verdoyantes aux confins du Guatemala, je visitai la Mission jésuite de Bachajon, au cœur de la culture maya-tzeltal. A la «Cérémonie de l’Aube», une femme indigène tzeltal, un enfant sur le dos, répandait de l’encens sur le pourtour d’un cercle composé de fruits de la terre – maïs, bananes, oranges, citrouilles – tandis qu’un homme rythmait la prière en soufflant dans un grand coquillage. L’assemblée communiquait avec les forces du cosmos, mais, au centre, se trouvait une statue de la Vierge!
Seule une Eglise autochtone, respectant la cosmovision indigène, pourra empêcher la pénétration des sectes
«Nous travaillons à développer une Eglise autochtone, à partir de leur cosmovision», nous assurait le jésuite José Avilés Arriola, dont la mission travaille auprès des descendant des Mayas. Au plan culturel, les jésuites ont promu l’usage de la langue tzeltale et la récupération des coutumes héritées des Mayas.
Pour consolider l’Eglise autochtone, les premières ordinations de diacres indigènes eurent lieu en 1981, en incluant l’épouse du diacre dans le processus. Cette dernière intervient toujours dans les sacrements avec son époux. Les jésuites ont mis en place 25 ministères ecclésiaux qui reproduisent en Eglise les valeurs de l’organisation communautaire indigène traditionnelle.
Cela n’a pas été sans mal: en 2002, suite à une campagne de désinformation menée par certains secteurs de l’Eglise de concert avec les oligarchies au pouvoir au Chiapas et à Mexico et relayée par des milieux ultraconservateurs au Vatican, Rome ordonna d’arrêter les ordinations de diacres permanents au Chiapas.
Heureusement, le pape François a levé l’interdiction. Car sans les diacres, l’Eglise autochtone n’existerait pas. Les diacres permanents, les tuhuneles (»servants»), selon le terme maya, sont, avec leurs épouses, une réalité solide. Le prêtre, dans la liturgie tzeltal, n’est qu’une partie, mais pas le centre! Les diacres et les laïcs font partie intégrante de la Mission.
«Mais le diaconat n’a pas surgi en raison du manque de prêtres. Ce n’est pas un remède à ce déficit, réel dans cette région montagneuse, mais une requête qui vient de la population elle-même. Le célibat est étranger à la culture indigène. Le célibataire, aux yeux des Tzeltals, n’est pas un homme complet ! Les gens veulent des prêtres mariés, des ›viri probati’», nous déclarait le missionnaire jésuite.
Cette demande avait été adressée à Rome en 1996 déjà… et le pape François pourrait y donner suite cette année. Un moyen de freiner la progression des sectes dans tous les secteurs où, faute de ministres – et surtout de ministères adaptés à la cosmovision indigène – l’Eglise est absente.
Jacques Berset
21 novembre 2019
Portail catholique suisse
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