Le Père de Monjour, membre des Missions Etrangères de Paris (MEP), dirige depuis le début des années 2000 la paroisse de Tokorozawa-Miyadera, dans la banlieue de Tokyo. Il est un observateur privilégié des évolutions de la foi chrétienne au Japon, dans les dernières décennies.
Quelle est la situation des catholiques au Japon à l’heure actuelle?
L’Eglise au Japon est une petite Eglise en nombre, certains disent même quelle vieillit et se rétrécit… Mais il est difficile de l’estimer, car il s’agit d’une Eglise très «composite». Elle est constituée non seulement de Japonais mais aussi de nombreux étrangers venus travailler dans le pays depuis les années 1990. Ils sont arrivés jeunes, parfois avec leur famille, ou se sont mariés au Japon et ont eu des enfants qui ont grandi et ont été éduqués dans le pays.
Il y a donc un certain dynamisme…
Une nouvelle génération de catholiques commence à faire parler d’elle: celle des «doubles», des personnes nées de parents «mixtes», japonais- philippins, japonais – péruviens, brésiliens, honduriens, vietnamiens et autres, qui sont catholiques et transmettent leur foi à leurs enfants nés dans cette double culture. Ces enfants ont souvent souffert à l’école d’une certaine discrimination ou distance dues à leur «étrangeté». Mais ils ont trouvé dans les paroisses des lieux ouverts à leurs différences. Des différences alors perçues non plus comme un facteur de gêne, mais comme une richesse. De cette génération qui se marie aujourd’hui naissent des enfants qui formeront très certainement dans le futur une grande partie du visage du catholicisme au Japon.
Comparé à d’autres pays d’Extrême-Orient, la Chine ou la Corée du Sud, où le christianisme se développe fortement, il a plutôt tendance à stagner au Japon. Pourquoi?
L’histoire du Japon est profondément liée au chamanisme (forme japonaise de l’animisme). Le bouddhisme, arrivé au septième siècle, s’est adapté à cette forme particulière de la société japonaise où nature, culture, sports traditionnels, fêtes, rites de la vie, forment un «tout religieux», un peu syncrétiste, qui est l’être du Japonais. «S’il y a de la vie c’est parce qu’il y a du divin», m’a expliqué un jour un Japonais.
«Les Japonais gardent un bon et respectueux souvenir de la visite de Jean Paul II»
Face à cela, le christianisme demande de faire des choix, de se mettre à la suite de Jésus-Christ. C’est quelque chose de difficile dans cette société ou vie sociale et religieuse au sens large se mélangent. «Si je deviens chrétien, serais-je encore un ‘bon’ Japonais», s’est inquiété un jour un catéchumène lors d’un temps d’étude de la Bible. Cela dit, la foi chrétienne a la capacité de toucher les personnes dans leur être même. Il y a ainsi beaucoup de Japonais qui sont très proches du christianisme, mais qui ne font pas «le pas du baptême» pour des raisons sociales et familiales.
Y a-t-il encore à l’heure actuelle beaucoup de méfiance envers les chrétiens?
En général, non. Le christianisme a plutôt une image positive. Un jour un lycéen est venu me poser des questions. Je lui ai d’abord demandé ce que représentait pour lui le christianisme. Il m’a répondu: «C’est l’amour du prochain». Il ne savait sans doute pas trop ce que cela signifiait, mais se rendait compte que c’était quelque chose de bien!
Qu’est-ce que les chrétiens du Japon peuvent apporter au reste de la population?
Comme partout ailleurs, un témoignage de vie. Les chrétiens se sont faits remarquer au Japon en 1995 lors du grand séisme de Kobé, par leur capacité à mobiliser et à envoyer des volontaires de tous les âges et de toutes les nationalités au secours des personnes en détresse. Cela a également été le cas lors du grand séisme du 11 mars 2011.
A votre avis, la visite du pape pourra-t-elle amener un changement de regard, un sursaut d’intérêt pour le christianisme chez les Japonais?
Les Japonais gardent un bon et respectueux souvenir de la visite de Jean Paul II en 1981. Ils sont donc plutôt ouverts et curieux, mais aussi honorés de la visite du pape François. Certes, ils savent qu’il a une parole assez claire et ferme sur les questions de la vie, de la paix, du nucléaire et de la nature, mais ce n’est pas pour leur déplaire. De là à entraîner un «sursaut» d’intérêt, je ne saurais le dire aujourd’hui. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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