Au moment de prendre la photo, Casimir Gabioud s’efface. Le bonnet noir, les pantalons et le nez rouge. Haussement de sourcils, yeux écarquillés, le visage se métamorphose. Au moment de prendre la pose, la voix change. Gabidou, dodeline, se désarticule presque et se plante devant l’objectif.
Plus tôt dans la matinée, l’animateur pastoral a évoqué sa vie et celle de son clown. Ces histoires pourtant ne se confondent pas. Casimir Gabioud évoque un personnage à la personnalité bien distincte qui vient de loin.
L’animateur pastoral, qui vit à Orsières, est né un 1er juillet 1978 à Monthey. Il fait ses écoles à Martigny. Il obtient d’abord un CFC de maçon à 18 ans. «En fait, je voulais travailler dans le social». Il entame des études à l’Ecole sociale de Lausanne. Une vocation qu’il tient de sa maman, membre du mouvement spirituel «Foi et lumière», actif dans le milieu du handicap.
Casimir s’occupe d’un enfant polyhandicapé que la famille accueille le week-end. Il en a gardé une grande facilité de contact avec les personnes en souffrance. «J’ai toujours été attiré par les autres ». En 1998, il s’engage à la Fondation valaisanne en faveur des personnes handicapées mentales (FOVAM). Il y passera dix ans.
Il travaille deux ans aux ateliers du Tonkin , à Collombey, puis huit ans à l’atelier-boutique «Sweet Home» à Martigny. Il s’occupe de 14 personnes handicapées dont huit sont trisomiques. «On riait! En fait ces personnes ont beaucoup d’humour. Le rire m’a souvent servi à désamorcer des situations tendues».
Plutôt boute-en-train, il a toujours aimé faire rire les gens, «mais jamais au dépend des autres». Sur les photos de famille, la garçonnet fait des grimaces. A l’école, il fait volontiers le pitre. Il ne compte plus les «fais pas le clown!». Même à l’Ecole sociale, ses professeurs lui signalent ce tempérament blagueur. Les proches lui renvoient aussi cette image. Mais cela n’explique pas tout. Longtemps en gestation, le clown émergera d’un kaléidoscope d’influences.
Le personnage trouve ses origines d’abord dans le milieu familial. Un de ses oncles, du côté alémanique de la famille, est en effet magicien de profession. A chaque réunion familiale, le tonton donne un spectacle. Casimir, qui a entre cinq et huit ans, est fasciné. Il monte de petits spectacles dans le salon familial.
«J’ai aussi appris le clown en allant voir des artistes comme Dimitri. La première fois que j’ai assisté à son spectacle, j’ai été tellement impressionné que je suis resté muet!». Il concède des influences de Grock et, plus généralement, de clowns décalés. Une rencontre avec Pif sur un marché à Fribourg, ancre la vocation au cœur du trentenaire. «Tu as tout ce qu’il faut, lance-toi!», lui assène le professionnel en réponse à la question de ce qu’il faut pour faire le clown. Entre-temps, Casimir a appris le monocycle et la jonglerie.
Sa femme Florence, épousée en 2001, le soutient pleinement dans sa vocation. Elle lui offre même une paire de salopettes de clown pour leur premier anniversaire de mariage. «J’ai été très touché par cet encouragement».
Le clown naît officiellement en 2004, à l’occasion d’un spectacle de magie pour enfants à Orsières. «Cela avait été l’horreur. J’étais stressé, les enfants étaient surexcités, ils touchaient à tout. Je ne les gérais pas. Au final, tout le monde était ravi mais je suis sorti de là exténué, avec l’urgente nécessité d’écrire un spectacle». «Déambule» sera sa première création. Il y inclut de la musique, propice à calmer les enfants.
Le clown ne fait pas que rire et faire rire: il a l’avantage d’amener de la tristesse, de la tendresse et de la poésie. «Ce petit ›plus’ que les one man show, avec ces rires toutes les 5 secondes, ne peuvent pas apporter, comparé à ces moments de suspension qu’offre le clown».
Le nouveau personnage sera baptisé l’année suivante. Il faut en effet trouver un nom rapidement. Le bouche à oreille fait son effet et les demandes affluent. «Nous travaillions sur le nom de famille. D’un coup Florence lance «Gabidou». C’était une évidence!». En déplaçant le ›d’ de Gabioud, le couple obtient un nom sympathique, qui sonne bien et amène en plus une notion de douceur.
En 2008, Casimir fait une allergie violente aux huiles essentielles et aux plantes qu’il utilise pour fabriquer, avec les handicapés, les produits qu’il vend à la boutique et sur les marchés. Le médecin lui interdit de remettre les pieds au centre de la FOVAM de Martigny. Un coup de massue pour celui qui vivait pleinement sa vocation professionnelle: «C’était le métier de ma vie». Il se retrouve du jour au lendemain à l’assurance. «Cela m’a interpellé».
«Je viendrais bien bosser à la cure!», lance-t-il sous forme de boutade un soir, au Conseil de communauté de la paroisse d’Orsières. Il s’occupe depuis 2001 de groupes de jeunes. Le lendemain le curé sonne à sa porte. «Tu étais sérieux? Si c’est le cas, on t’engage comme animateur pastoral». Un poste conditionné par trois ans d’études à l’IFM, l’Institut romand de formation au ministère, à Fribourg.
«Alors j’ai dit à Gabidou: ›Tu restes à la maison. C’est sérieux, on ne rigole pas. Tu n’as pas ta place à l’église’. Je ne voulais pas utiliser le clown pour le catéchisme. J’avais peur de l’instrumentaliser». Casimir laisse donc Gabidou à la maison et se retrouve sur les bancs de l’IFM, de 2008 à 2011. Où revient vite son naturel rieur et une tendance marquée à amuser la galerie.
Gabidou est toujours autant sollicité. «J’aurais pu vivre de mes spectacles. Je donnais 130 représentations par an». Le clown vit sa vie loin des parvis. Un coup de téléphone change la donne. «On m’appelait pour un anniversaire. Une fille fêtait ses dix ans à l’hôpital». Sa maman, hospitalisée en soins palliatifs, souhaitait que sa fille garde un bon souvenir de ses 10 ans, plutôt que celui dune maman mourante. «Et il fallait faire vite, le temps pressait».
Jamais le futur animateur pastoral ne se serait rendu à l’hôpital dans de telles conditions. Que dire à une personne qui va mourir? Une telle perspective le mettait très mal à l’aise. «J’étais venu me former à la pastorale de la jeunesse, pas pour de l’accompagnement en fin de vie».
«Gabidou n’a pas eu peur. Il a osé m’emmener. Je lui ai dit: ’Tu es un gros malade, tu ne vas pas faire le bobet devant quelqu’un qui va mourir!’» Le spectacle a bien lieu. Une infirmière rappelle le lendemain pour le remercier. Grâce à l’animation, la maman jusque-là crispée et fermée a ri, pleuré et s’est libérée de l’angoisse de mourir. Elle est décédée deux semaines plus tard, apaisée.
«J’ai pris une claque! Gabidou avait aidé quelqu’un à s’en aller paisiblement». La certitude de Casimir vacille. Le clown peut donc l’épauler sur le plan pastoral mais sans parler nécessairement de Dieu.
Casimir parle de son clown à la troisième personne. Il rassure: aucun dédoublement de personnalité. Simplement que son clown mène sa vie avec sa propre personnalité.
Attablé à la cuisine de la cure d’Orsières, l’animateur pastoral ne tient pas en place sur le banc de la cuisine. On dirait qu’il ne sait pas où mettre ses bras. Lunettes rondes, regard rieur, le visage fin, mais tellement expressif, transcrit ses propos. Il s’interrompt parfois, fronce les sourcils en silence. Gabidou tenterait-il s’exprimer sur l’anecdote?
Comment Gabidou pouvait-il annoncer Jésus? En cherchant dans la Bible pour son mémoire de fin d’étude à l’IFM sur le thème de la joie, Casimir a trouvé la réponse en imaginant que son clown fut un des 72 disciples que le Christ avait envoyés en mission.
L’animateur pastoral cite saint Luc: «Au même moment, il tressaillit de joie par l’Esprit-Saint […]. Je me suis dit que Gabidou avait peut-être aidé Jésus à tressaillir de joie». Sont-ils pour autant compatibles? «Oui car Gabidou vit sa vie naturellement, il peut très bien vivre en disciple de Jésus et raconter ce qu’il a vécu. Le clown sonne vrai. Il évite la parodie et le grotesque, le rire n’est pas une fin, il véhicule un message». Ainsi naît «Le 72e disciple».
Ce premier spectacle biblique est bien reçu. Il joue dans les églises, les temples, les paroisses. Gabidou passe au festival Prier Témoigner, à Fribourg. Au fil du temps, Casimir étoffe l’écriture pour mieux expliquer Jésus aux enfants. La version finale se monte à trois quarts d’heure.
Le succès aidant, les gens réclament une suite. Casimir Gabioud reste longtemps bloqué. Le 72e disciple s’arrête à Pâques. «Je ne me voyais pas faire rire les gens avec la mort de Jésus». De plus, l’animateur pastoral qui ›envie Gabidou’ estime qu’il a mis son clown sur un piédestal, trop haut, prenant le risque de se couper de Dieu. Il fallait que le clown se trompe. Il continue de chercher un thème. Un jour à la sortie de la messe, le curé lui suggère que Gabidou pourrait être le deuxième disciple d’Emmaüs.
«La situation est plutôt clownesque. Gabidou a devant lui Jésus et ne le reconnaît pas!». En 2015, l’animateur pastoral écrit «Le disciple retrouvé». Il donne ces spectacles bibliques 30 à 40 fois par an, autant que les autres créations pour les enfants. Gabidou est allé en France, en Pologne, en Espagne. «En quinze ans, j’ai dû donner 1500 représentations».
Le rire est une manière comme une autre d’évangéliser, le clown l’a bien compris. «Jésus s’est fait homme, je ne peux pas imaginer qu’il n’avait pas d’humour». (cath.ch/bh)
Gabidou fête ses 15 ans en faveur de l’ARFEC les 23 et 24 novembre à la salle polyvalente de la Proz à Orsières.
Renseignements : http://www.gabidou.ch/15-ans-de-gabidou
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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