Norbert Zonker, KNA/ traduction: Raphaël Zbinden
Les bouleversements politiques en République démocratique d’Allemagne (RDA) sont souvent décrits comme une «révolution protestante». Une qualification récemment reprise par l’ancien Premier ministre brandebourgeois Matthias Platzeck (SPD), qui se réfère au rôle important joué par les chrétiens dans l’opposition, ainsi qu’à l’effet déterminant des prises de position des Eglises.
Trente ans après les faits, les Allemands ont encore tous en tête les images d’églises bondées, comme la Gethsemanekirche et la Zionskirche à Berlin-Est, ou encore la Nikolaikirche à Leipzig , d’où sont parties les grandes manifestations.
Dans la seconde moitié des années 1980, de nombreuses paroisses protestantes sont devenues des espaces de protection pour les groupes d’opposition de toutes sortes. Un état de fait qui n’était pas forcément du goût des responsables ecclésiastiques. Car ces derniers avaient pour principal objectif d’exercer une influence apaisante sur les débats.
A cette époque, on estimait le nombre des protestants en RDA à environ cinq millions, et celui des catholiques à un million, sur un total de 16,6 millions d’habitants. Des chiffres qui se révéleront exagérés ultérieurement. Quoi qu’il en soit, les Eglises étaient les seules organisations de RDA à pouvoir affirmer leur indépendance vis-à-vis de l’Etat. Pour beaucoup de leurs membres, elles constituaient ainsi des espaces où l’on pouvait non seulement penser librement, mais aussi pratiquer des formes de participation démocratique.
Suite aux campagnes anti-Eglises (Kirchenkampf) menées par le SED, le parti communiste est-allemand, dans les années 1950, les Eglises protestantes, autrefois soutenues par l’Etat, avaient, dans les années 1970, développé une image d’elles-mêmes décrite par la formule, souvent mal comprise d'»Eglise dans le socialisme» (Kirche im Sozialismus). Il s’agissait d’une forme spécifique d’intégration des chrétiens dans la société de l’époque. «Nous ne voulons pas être une Eglise ‘à côté’, pas non plus une Eglise ‘contre’, mais une Eglise ‘dans’ le socialisme», avait expliqué Mgr Albert Schönherr, alors président de la Fédération des Eglises protestantes de RDA. Une formule qui résistera même à l’auto-immolation par le feu du pasteur de Zeitz Oskar Brüsewitz, en 1976.
Pour les catholiques, qui constituaient une minorité dans la minorité, et en même temps une partie de l’Eglise catholique universelle très consciente d’elle-même, une telle connivence avec l’Etat était impensable.
La position du cardinal berlinois Alfred Bengsch, décédé en 1979, qui préconisait une grande distance politique entre le régime est-allemand et l’Eglise, a été déterminante. Une certaine ouverture a eu lieu dans les années 1980 avec des évêques plus jeunes, tels que Mgr Joachim Meisner, évêque de Berlin, ou Mgr Joachim Wanke, évêque d’Erfurt. Un mouvement qui s’est notamment manifesté lors de la grande rencontre catholique de Dresde en 1987. L’une des conséquences en a été la participation des catholiques au Rassemblement œcuménique de 1988/89, «l’événement de lancement de la révolution d’automne», comme l’a qualifié par la suite Joachim Garstecki, alors secrétaire général de l’organisation ecclésiale «Pax Christi».
Tandis que les communautés protestantes développaient leur propre culture de protestation politique, notamment avec les «prières pour la paix», les catholiques, avec leur pensée plus imprégnée de liturgie, se tenaient davantage sur la réserve.
En outre, avec la nomination à l’été 1989 de Mgr Meisner à Cologne, en Allemagne de l’Ouest, un siège important de l’Eglise catholique est-allemande resta inoccupée. Ce qui a rendu les grandes prises de décision plus difficiles. L’action des catholiques a paru ainsi plus timorée que celle des protestants. De nombreux catholiques travaillaient pourtant dans les nouveaux groupes et partis d’opposition.
Les Eglises ont surtout joué leur rôle public le plus important pendant la période qui suivi la chute du Mur et précédé la réunification un an plus tard, en octobre 1990. En effet dès le 7 décembre 1989, le nouveau gouvernement est-allemand accepte de discuter avec les groupes d’opposition et les Églises lors d’une ‘table ronde centrale’. D’autres ‘tables rondes’ sont formées à l’échelon communal. Dans presque tous les endroits où des représentants de l’ancien régime et des forces nouvelles se réunissent pour organiser une transition pacifique, les Eglises ont offert leur service de modération.
Des affinités différentes se sont alors manifestées: alors que beaucoup de protestants sympathisaient avec le parti social-démocrate (SPD) – fondé dans un presbytère protestant -, de nombreux catholiques étaient attirés par l’ancien «Blockpartei», le parti conservateur chrétien démocrate CDU.
C’est ainsi qu’en 1990, dans les nouveaux parlements des Länder, de nombreux catholiques occupaient, de manière inattendue, des postes de direction. Ce fut notamment le cas de tous les ministres-présidents des Länder, sauf pour celui du Brandebourg, où le juriste d’Eglise protestant Manfred Stolpe avait remporté la majorité pour le SPD.
Une fois l’Allemagne réunifiée, les Eglises se sont, par la suite, sensiblement retirées des affaires politiques. (cath.ch/kna/nz/rz)
Raphaël Zbinden
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