L’Eglise en Occident consacre malheureusement trop de ressources pour conserver ses structures au détriment de sa véritable identité qui est missionnaire, estime le Père Mario St-Pierre. De passage à Lausanne, le prêtre canadien, spécialiste de la nouvelle évangélisation, souhaite voir l’Eglise renouveler son potentiel relationnel.
Vous utilisez
l’expression d’Eglise en croissance. Ce n’est pas vraiment l’image de la
réalité, au moins en Occident.
La croissance n’est pas seulement une réalité sociologique, mais aussi un
lieu théologique et spirituel. Le thème de l’Eglise en croissance m’a passionné
depuis les années 2000. J’étais encore au Québec et je découvrais cette
dimension dans le milieu évangélique. Une large réflexion pastorale était menée
sur la question, depuis près d’une trentaine d’années notamment aux Etats-Unis
et au Canada. Ce que le milieu catholique francophone ne connaissait quasiment
pas. J’ai étudié le sujet et j’ai publié mon ouvrage Eglise en croissance pour réfléchir de façon plus fondamentale, en
particulier biblique et ecclésiologique.
Reprenons donc la réflexion à partir de la Bible.
Le Nouveau Testament est très riche sur la mission, en particulier les Actes des apôtres. On y trouve pas moins de 27 de ce que j’appelle les ‘refrains’ de l’Eglise en croissance, à savoir des bilans pastoraux de l’évangélisation. Le premier est celui de la Pentecôte où Luc parle de 3’000 nouveaux baptisés. Après chaque étape d’évangélisation, un constat est établi. L’Eglise augmente en nombre de disciples et en nombre de communautés.
«L’Eglise ne peut plus se satisfaire de ce qu’elle a ‘toujours’ fait»
Les Actes des apôtres montrent aussi que derrière la croissance, il y a des facteurs théologiques. Le verset Actes 12,24 dit «La Parole de Dieu cependant croissait et se multipliait». On peut le lire comme une référence à la parabole du semeur (Luc.8). L’autre référence se rapporte à la Genèse où la Parole de Dieu ordonne aux humains:’Croissez et multipliez-vous’.
Vous racontez aussi
n’avoir reçu aucune formation théologique ni pastorale sur le sujet, lors de
votre formation au grand séminaire, au Canada.
Après mon ordination, j’ai été cinq ans vicaire en paroisse avant que mon
évêque me demande de retourner aux études. J’ai fait une thèse sur le grand
théologien suisse Hans Urs von Balthasar. J’ai découvert alors en Europe les
cellules paroissiales d’évangélisation. De retour au Canada j’ai pressenti l’importance
de cette méthodologie d’évangélisation. Et j’ai commencé à réfléchir et à
travailler sur la nouvelle évangélisation à partir de 1996. En partant du Concile
Vatican II, en passant par Paul VI pour arriver bien sûr à Jean Paul II, le
pape de la Nouvelle évangélisation.
Plus j’avançais, plus des confrères m’ont demandé de les éclairer sur la
question. J’ai répondu petit à petit à des demandes de formation. Alors que
Paul VI disait déjà dans son encyclique Evangelii
Nuntiandi, en 1975 que l’évangélisation est l’identité la plus profonde de
l’Eglise!
Comment se fait-il qu’une dimension aussi importante ait été autant négligée du point de vue de la théologie et de la pastorale?
On s’est installé et conforté dans une pastorale de la chrétienté où la transmission de la foi allait de soi. C’est pourquoi, le pape François nous invite à passer d’une pastorale de conservation, d’entretien à une dimension missionnaire. L’Eglise ne peut plus se satisfaire de ce qu’elle a ‘toujours’ fait. Elle est appelée à se renouveler dans ce qu’elle a de plus profond en elle-même.
«Quand on veut trop conserver pour soi-même, de manière identitaire, la grâce s’épuise, s’éteint et meurt»
En Occident, l’Eglise
consacre souvent la majorité, si ce n’est l’essentiel, de ses ressources au
maintien de ses structures.
Les gens s’éloignent de la structure ecclésiale et cela n’a rien de
surprenant, car ce n’est pas l’essentiel. Il faut passer d’une pastorale de
l’entretien des structures organisationnelles à un renouveau des relations au
sein des Eglises. Quand on veut trop conserver pour soi-même, de manière
identitaire, la grâce s’épuise, s’éteint et meurt. Cela touche l’individu, mais
aussi la communauté chrétienne. C’est une tentation bien réelle et visible de
nos jours. Cela implique un changement de mentalité.
C’est, à vos yeux, en
ce sens que le pape François parle d’appel à la «conversion pastorale».
A priori l’expression semble un peu étrange, car la conversion concerne
l’intime de la personne. En y ajoutant le qualificatif de pastorale, le pape
veut souligner que plus je me laisse façonner, transformer par Dieu, plus je
ressentirai l’appel à partager cette nouvelle avec d’autres.
Cette conversion pastorale est donc aussi communautaire.
Le moteur de cette conversion est la capacité de l’Eglise à renouveler son potentiel relationnel. Le baptisé n’est pas un simple consommateur de sacrements ou de services, mais bien un membre du corps ecclésial selon la fameuse explication de l’apôtre Paul. Chaque élément du corps est vivant en relation avec les autres. Et chaque élément sert à l’ensemble. Dans le Nouveau Testament, la formule «les uns les autres» revient 63 fois. La plus célèbre est bien sûr est le commandement de Jésus: ‘Aimez-vous les uns les autres’. Avec ses disciples Jésus n’institue pas une organisation. Il institue des relations. Il s’agit d’être avec lui.
Le Kerycube
Le KéryCube est un jeu pour évangéliser, développé par le Père Mario Saint-Pierre. Ce cube ingénieux permet de découvrir et d’annoncer, d’une façon simple et amusante, ce qui constitue le cœur de la foi chrétienne : le kérygme. Une formation pédagogique a aussi été conçue, en lien avec ce jeu, pour approfondir le kérygme et aider à le proclamer. L’ingéniosité du KéryCube réside dans le fait que, sous sa surface, il est en fait composé de huit cubes qui sont reliés entre eux de façon à pouvoir présenter une séquence de sept images en le dépliant ou en le repliant.
La dimension
missionnaire appartient donc à tous les baptisés. Mais quel est alors le rôle
des évêques et des prêtres?
Le rôle du pasteur est d’être le gardien de cette réalité relationnelle.
Entre la personne et la communauté et entre la communauté et le monde extérieur
qui est en attente. Malgré l’individualisme très fort, on constate forte
aspiration à un développement relationnel authentique. Il y a là une pierre
d’attente.
Reprenons exemple sur Jésus. Sa mission est d’être avec ses disciples, de les accompagner, 7 jours sur 7, pendant deux ou trois ans. Dans l’évangile de Marc, la chose est très claire. Jésus dit aux apôtres: «Je ferai de vous des pécheurs d’hommes». Il met ainsi en route un processus de transformation. Il n’est pas du tout surpris de voir les incompréhensions, les peurs, les résistances, les immaturités, les luttes de pouvoir. Il assume tout cela pour les amener à des relations authentiques. Après sa mort, sa résurrection et la Pentecôte, ses disciples ont fait comme lui. Ils ont déployé ce potentiel relationnel.
Cette annonce de la Bonne Nouvelle se heurte aussi à des barrières.
Face aux obstacles, il faut d’abord mieux comprendre ce qu’est la grâce de Dieu. Il ne s’agit pas d’une formule théorique mais bien de la réalité de la présence de Dieu, dans nos vies et dans celle de l’Eglise. Comment Dieu est-il à l’œuvre pour nous sauver, nous guérir? Même à l’intérieur de l’Eglise, on oublie trop souvent de se laisser transformer par la grâce. Nous sommes des êtres fragiles. Nous avons besoin d’être dans cette constante attention pour avoir le courage d’annoncer. Dans les Actes des apôtres, Paul résume aux chrétiens d’Ephèse son ministère comme le fait de «rendre témoignage à l’Evangile de la grâce de Dieu». C’est la définition du disciple missionnaire cher au pape François.
«C’est uniquement après avoir reçu la grâce de Dieu que nous pourrons produire du fruit»
Dans le cœur de tout
baptisé, il y a aussi un peu du pharisien de la parabole qui remercie Dieu de
ne l’avoir «pas fait comme les autres», expliquez-vous.
Paul lui-même avant de devenir l’apôtre du Christ a été un pharisien
exemplaire, orgueilleux d’avoir accompli avec perfection la loi de Moïse et
d’avoir voulu éradiquer la secte des chrétiens. Et voilà que sur le chemin de
Damas, il rencontre le Christ ressuscité et il découvre sa fragilité. Il
devient aveugle et marche à tâtons. Derrière la carapace du pharisien, il fait
l’expérience de la pauvreté. Il devient, en quelque sorte, le publicain de la
parabole qui reconnaît son péché. Dans sa dernière lettre à Thimothée qui
constitue son testament, il se reproche encore son oubli de la grâce. C’est
uniquement après avoir reçu la grâce de Dieu que nous pourrons produire du
fruit.
Pour certains, le témoignage, de la vie, de la charité et du service priment sur l’annonce verbale.
Le synode des évêques sur l’évangélisation de 1974 s’était déjà posé la question. Evangelii Nutiandi de Paul VI invite à trouver un équilibre entre ces deux pôles de l’évangélisation. Von Balthasar parlait de tension dynamique qui cherche à aller de l’avant, qui ne paralyse pas, mais qui invite à se dépasser. Dans toute expérience de conversion, il y a la situation de crise et la quête de sens. Ce sont les deux facteurs importants. Il s’agit donc de répondre concrètement aux besoins fondamentaux face à la pauvreté ou l’injustice mais aussi de prononcer une parole crédible pour aider la personne à trouver la paix intérieure. Une réponse verbale peut avoir un effet très concret. «La charité nous presse», dit encore saint Paul. Il s’agit d’entrer dans une évangélisation ‘intégrale’ dans toutes les dimensions de la vie humaine. (cath.ch/mp)
Mario Saint-Pierre
Prêtre du diocèse de Québec depuis 1987 et docteur en théologie depuis 1996, le Père Mario Saint-Pierre est engagé dans l’évangélisation et la formation au sein de diverses communautés chrétiennes, à travers des sessions, des cours et de multiples interventions au Québec, en France, en Suisse et en Italie. Il était invité par la paroisse de Notre-Dame de Lausanne dans le cadre du mois extraordinaire de la mission universelle.
Maurice Page
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/mario-saint-pierre-levangelisation-est-lidentite-de-leglise/