«Les pertes sont une succession de deuils, explique Corinne Gossauer-Peroz. Par exemple, je ne peux plus conduire, regarder la télévision, lire le journal ou même me mêler à une conversation…», énumère l’aumônier en pastorale des milieux de la santé pour l’Eglise catholique dans le canton de Vaud.
Cela se vit progressivement par une perte de la mobilité, des sens, et de l’autonomie. Et le grand drame, c’est de devoir laisser sa maison. «J’ai rencontré récemment une dame qui a laissé l’appartement qu’elle occupait depuis 64 ans à Lausanne. C’était un grand deuil pour elle lorsqu’elle est entrée en EMS [établissent médico-social, ndlr]. C’est toute sa vie qu’elle laissait derrière».
Corinne Gossauer-Peroz rencontre des situations de pertes dans son travail, mais c’est d’abord dans sa vie privée qu’elle les a côtoyées. «Mes parents avaient autour de 70 ans quand je les ai perdus. J’ai été confrontée, d’abord à la maladie et à ses renoncements, et ensuite à leur décès. Après leur mort, le domaine des pertes a pris pour moi une résonance toute particulière».
Corinne a d’abord obtenu un diplôme européen d’étude clinique sur le deuil et les endeuillés, avec l’association ‘Vivre son deuil’, fondée par la docteure en sciences et écrivaine suisse Rosette Poletti. Elle y a soutenu un mémoire proposant des pistes pour accompagner le deuil avec créativité.
«Ma mère disait: parler de la mort, ça ne va pas me faire mourir».
«Je n’ai pas vu vieillir mes parents. J’ai cheminé avec eux et j’ai réalisé que la relation de dialogue permanent nous a aidé à communiquer jusqu’au bout. Cette richesse de l’échange l’a été jusqu’à la fin. Nous parlions de tout. Ma mère disait: parler de la mort, ça ne va pas me faire mourir».
«Je crois que j’ai toujours été ‘fascinée’ par le domaine des pertes», lâche l’aumônier active dans cinq établissements de la Broye vaudoise: Salavaux, Avenches, Payerne, Moudon et Lucens. Quand je dis ‘être fascinée’, c’est pour marquer l’aspect positif. Parce qu’au fond, les pertes font parties de tout itinéraire humain. Elles jalonnent notre vie, et elles ne sont pas que des lieux d’échec et de résignation. Elles peuvent véritablement être des lieux de vie, d’apaisement et de rayonnement. Quelqu’un qui a accepté ses pertes peut être rayonnant».
Loin d’elle l’idée de faire une apologie de la souffrance, ou d’encourager la souffrance comme lieu de sanctification. «Dieu veut notre bonheur, tranche-t-elle, mais je crois que la souffrance est un creuset d’où peut sortir des perles. Et pour cela, il faut aussi avoir les bonnes personnes au bon moment pour vous accompagner.»
L’origine de son travail de diplôme remonte à son premier contact avec le vicariat de Lausanne. «Je leur ai écrit pour me rendre disponible pour un travail d’aumônerie en milieu hospitalier ou en EMS, forte d’une expérience de terrain, en paroisse et en hôpital». A côté de la fonction d’officière (pasteure) qu’elle occupait à l’époque à l’Armée du Salut, son Eglise lui avais permis de dégager du temps pour être bénévole à l’aumônerie œcuménique de l’Hôpital de l’Île, à Berne.
Pendant quatre ans, à raison de deux lundis par mois, cette expérience de visiteuse l’a confirmé dans cette voie. Et pendant son cursus à la Formation d’animateur-trice pastoral-e à Fribourg, de 2017 à 2019, Corinne Gossauer-Peroz a exercé son nouveau mandat dans trois EMS.
«En devenant aumônier, j’ai constaté que l’accompagnement spirituel est plus qu’une bonne visite – ‘un bon moment’ comme disent certaines personnes. Il y a certainement des pistes à creuser pour que les personnes aillent au-delà de leur ‘religiosité’, afin que la vie spirituelle soit pour elles un lieu de réconfort, de réconciliation intérieure, de paix et d’espérance», explique Corinne, indiquant l’intuition sur laquelle repose son travail de diplôme, intitulé «La vie spirituelle à l’âge des pertes et du déclin».
«Il faut dépasser ce domaine de la simple visite pastorale, creuser les possibilités afin d’approfondir sa foi, poursuit l’ancienne officière de l’Armée du Salut. Quand l’aumônier part, avec quoi la personne peut-elle continuer à cheminer? Pour l’aumônier, le danger est de se contenter d’un moment réconfortant. Quand une personne vous dit: ‘Ça m’a fait du bien…’, qu’est-ce que ça veut dire pour elle? Il faut aussi assurer un suivi entre la liturgie de la Parole et l’accompagnement individuel».
Le travail de diplôme de Corinne lui a permis d’être sensibilisée à l’importance de son corps, sa présence, ses actes, sa posture. «Mon travail m’a redit que le premier outil, c’est moi: mon sourire, ce que je dégage, la qualité de ma présence, de mon écoute. Et ce qui transparait au travers d’une posture. Dans chaque visite, tous ces gestes sont beaucoup plus conscients».
Que répondez-vous aux personnes quand elles vous disent qu’elles sont fatiguées de vivre? «Ma réponse est simple: de l’empathie, et encore de l’empathie! Mais bien sûr de l’écoute et du respect, face aux expériences de vies et tragédies traversées… et de l’humour», ajoute-t-elle en riant.
Dans son travail, elle a développé l’aspect hymnologique. Elle utilise davantage des chants. «Chez les protestants particulièrement, il y a des chants très connus, qui ont marqué toutes les étapes de leur vie. Et là, en fin de vie, je me tiens auprès d’une personne et je lui fais écouter des chants comme: J’ai soif de ta présence; Plus près de toi mon Dieu; Saisis ma main craintive; etc.»
Et ce qu’elle utilise souvent, ce sont les bénédictions. «J’ai commencé à utiliser les bénédictions à l’hôpital, en cardiologie, parmi des patients essentiellement masculins. A la fin d’un entretien, je proposais de lire une bénédiction et la réponse était positive. Le contact visuel demeure. Je peux regarder la personne en disant: ‘Que le Seigneur vous bénisse et vous garde…’. Plus d’une fois, les personnes avaient les larmes aux yeux». Il y a, pour Corinne, quelque chose de particulier qui se produit lors d’une bénédiction et c’est un moment d’émotion. Elle permet de «déposer nos vies entre les mains de Dieu et de redire à la personne qu’elle n’est pas seule, que Dieu chemine avec elle».
La bénédiction a une résonance, un écho positif. «Personne ne refuse une bénédiction, poursuit Corinne, y compris de la part de personnes éloignées de l’Eglise ou de la foi. Et il y a aussi la puissance de la prière du Notre-Père, qui est gravée dans la chair des personnes», et que l’aumônier utilise tant lors de liturgie de la Parole que lors de visites personnelles.
Projetée dans l’avenir, Corinne Gossauer-Peroz retient deux mots-clés: désir et soif. «Autant je souhaite garder vivant mon désir et ma soif de Dieu, autant je souhaiterais que les personnes puissent, jusqu’au bout, nourrir leur soif et découvrir le désir qu’elles ont de Dieu dans leur étape de vie. Qu’elles puissent exprimer cette soif de Dieu et trouver des moyens pour s’abreuver à la source qu’est le Christ. D’ailleurs, la rencontre de la Samaritaine est un pilier dans ma vie spirituelle».
«Au fond, nous avons peut-être plus peur de vieillir que de mourir».
Pour conclure, Corinne cite volontiers la Bible et Sœur Emmanuelle: «Dans son franc-parler, elle a bien résumé: ‘Je m’étais préparée à la mort, mais pas à la vieillesse’. Car l’Eglise devra offrir des pistes pour accompagner la vieillesse. Au fond, nous avons peut-être plus peur de vieillir que de mourir. Et l’Eglise devra offrir des espaces de paroles et de ressources pour accompagner les étapes de la vieillesse, pour que celles-ci soient des lieux de maturation, dans lesquels ‘Dieu ne nous abandonne pas dans notre vieillesse’, comme dit le Psaume 71 et le verset d’Isaïe 46,4». (cath.ch/gr)
Grégory Roth
Portail catholique suisse
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