La recherche éthique, un enjeu récurrent

Au fil de ma carrière académique, et même depuis ma retraite survenue en 2013, il m’est arrivé d’être sollicité par de jeunes étudiants et étudiantes, effectuant leurs études dans des domaines très divers, sciences sociales, travail social, domaine de la santé ou sciences dites dures. La plupart du temps, leur demande concernait la dimension éthique d’un mémoire souvent très pratique.

Dans ce contexte, les questions peuvent être à la fois théoriques et très concrètes. Un des enjeux les plus importants réside dans la distinction soigneuse et nécessaire entre l’éthique et le droit. Ces deux disciplines de l’esprit sont, de mon point de vue, parfaitement complémentaires, mais ne se recoupent pas complètement. Le droit est un outil et une référence indispensables à quiconque entend situer un problème éthique dans son cadre de réalité le plus élémentaire. Mais le droit a aussi ses limites. Il comporte foule de références implicites ou explicites à l’éthique, ou aux valeurs éthiques, mais il ne permet pas toujours de rendre compte de la complexité réflexive de l’éthique comme discipline spécifique. Plutôt que de chercher le plus petit dénominateur commun entre l’éthique et le droit, il me paraît préférable que chacune des deux disciplines pousse ses atouts le plus loin possible, en radicalisant sa perspective. Ainsi, le droit conduira très souvent à critiquer une éthique trop générale ou trop idéaliste.

«L’éthique ne peut être qu’une éthique démocratique»

Inversement, l’éthique mettra en doute une certaine prétention du droit positif à détenir lui-même la vérité éthique sur les problèmes traités. L’éthique a parfaitement le droit de problématiser le droit existant et d’en appeler à un droit plus conforme à une certaine conception de l’éthique. A condition toutefois que cette éthique ne se réduise pas à une mode, à un bien-penser simpliste. Plus l’éthique est complexe, plus elle a de chance d’être à la hauteur des enjeux éthiques posés par une situation concrète épineuse.

Un autre point est décisif. L’éthique ne peut être qu’une éthique démocratique, et donc une éthique procédant selon la méthode de la discussion rationnelle. «L’éthique de la discussion» (Diskursethik) proposée par le philosophe protestant allemand Jürgen Habermas oblige ainsi les partenaires d’un débat éthique – la démocratie dans son ensemble, finalement –  à échanger des arguments raisonnables et rationnels. Même les religions sont, dans notre régime de laïcité, contraintes de formuler leurs convictions ou leurs interprétations religieuses de l’éthique en termes compréhensibles par tous et accessibles à une délibération critique. Il y va ici d’une «mise en langage du sacré», comme a dit un jour Habermas.

Un autre philosophe protestant, Paul Ricœur, à qui je dois également beaucoup, a insisté sur la nécessité de combiner intelligemment la morale du devoir (Kant) et la morale de la vertu ou du bien (Aristote, Thomas d’Aquin). C’est dire qu’une seule théorie éthique ne suffit pas à rendre compte de la complexité et de la richesse de la pensée éthique.

Au contact des étudiants, j’ai mieux appris à valoriser la recherche éthique comme une attitude critique permanente. Et je ne vois aucune raison pour laquelle nos Eglises respectives devraient négliger cette humanité fondamentale du souci éthique universel.

Denis Müller

16 octobre 2019

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