L'Eglise de Grèce reconnaît l'Eglise orthodoxe autocéphale d’Ukraine

Malgré la mise en garde de quelque 2’000 clercs et laïcs de l’Eglise orthodoxe de Grèce, Mgr Jérôme, archevêque d’Athènes, a proposé le 12 octobre 2019 à l’assemblée extraordinaire de l’Eglise de Grèce de reconnaître l’Eglise orthodoxe autocéphale d’Ukraine (EOAU-PC).

Cette «Eglise orthodoxe unifiée» non canonique, considérée comme schismatique, a été instituée en janvier 2019 en Ukraine par le Patriarcat de Constantinople. Eglise nationale promue par l’ex-président ukrainien Petro Porochenko, elle n’est reconnue par aucune autre Eglise orthodoxe au plan mondial, à l’exception du Patriarcat œcuménique de Constantinople.

Elle ne rassemble qu’une poignée de paroisses en Ukraine, la très grande majorité des orthodoxes ukrainiens restant fidèles au métropolite Onuphre, primat de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine rattachée au Patriarcat de Moscou.

La Grèce suit Constantinople

Le primat de l’Eglise de Grèce s’est cependant référé aux recommandations des deux commissions synodales: celle des questions dogmatiques et juridiques et celle des relations orthodoxes et interchrétiennes. Il s’est appuyé, lors de l’assemblée extraordinaire de l’Eglise grecque, sur le point de vue de ces commissions.

Ces dernières, qui ont examiné la question de l’Eglise de l’Ukraine [l’Eglise dissidente, ndlr] du point de vue canonique mais encore légal, ont estimé qu’il n’y avait «aucun empêchement à la reconnaissance de l’autocéphalie de l’Eglise de l’Ukraine et ceci en plein accord et harmonie de la part de l’Eglise de Grèce avec le Patriarcat œcuménique».

Le métropolite Epiphane, chef de l’Eglise non canonique d’Ukraine, a adressé ses vifs remerciements à l’Eglise de Grèce et à son primat, rapporte le site orthodoxie.com. Il a salué le soutien à «la décision historique» du Patriarcat œcuménique de Constantinople, «ouvrant la possibilité d’une interaction complète entre nos deux Eglises autocéphales locales dans tous les domaines».

Epiphane Doumenko est le primat élu de la nouvelle Eglise orthodoxe d’Ukraine unifiée [non canonique] | Capture-écran

Bartholomée accusé d’avoir cédé aux pressions américaines

Cette décision de reconnaître une Eglise considérée comme schismatique par une grande partie de l’orthodoxie au plan mondial va certainement créer de nouvelles tensions au sein de l’orthodoxie, notamment avec le Patriarcat de Moscou, mais bien au-delà.  

De nombreux clercs et laïcs de l’Eglise orthodoxe de Grèce avaient précédemment demandé à leurs évêques de ne pas reconnaître la nouvelle Eglise autocéphale ukrainienne (EOAU-PC). Ils qualifient les décisions du Phanar – le Patriarcat œcuménique – de «choix erronés et ratés», qui «scandalisent les âmes de millions de fidèles orthodoxes ukrainiens qui font face à des privations et des persécutions» dans leur lutte pour rester fidèles à leur tradition ecclésiale.

Les signataires sont d’avis que le patriarche de Constantinople Bartholomée, «qui n’est pas le pape qui exprime ex cathedra l’Eglise orthodoxe sans l’opinion de ses pairs», aurait cédé «aux pressions d’outre-Atlantique» [les Etats-Unis].

Ne pas impliquer l’Eglise dans les jeux de la géopolitique         

Ils l’accusent d’avoir tenté de séparer les peuples ukrainien et russe par la force, «impliquant l’Eglise orthodoxe dans les intérêts géopolitiques et transformant l’Eglise du Christ en un élément des configurations et problèmes géopolitiques. Une reconnaissance éventuelle de l’autocéphalie de la part de la seule Eglise de Grèce, sans décision panorthodoxe, impliquera notre Eglise également dans l’échiquier géopolitique».

Un appel adressé à l’archevêque d’Athènes et aux membres du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe de Grèce avait demandé que celle-ci s’abstienne de reconnaître la nouvelle Eglise d’Ukraine, peut-on lire sur le site orthodoxie.com. La pétition avait déjà recueilli, début octobre 2019, quelque 2’000 signatures en Grèce, dont celles d’une centaine de prêtres, moines et moniales.

L’autorité du patriarche Bartholomée fragilisée

Les signataires déplorent «l’octroi anti-canonique de l’autocéphalie ukrainienne» par le Patriarcat œcuménique de Constantinople. Ils se disent conscients «des pressions, inappropriées, que subit l’Eglise de Grèce et ses hiérarques de la part de différents facteurs ecclésiastiques et séculiers. Nous voulons croire que les anticorps sains de nos évêques feront face aux attaques externes».

Le patriarche Bartholomée (au centre) a reconnu en janvier 2019 l’Eglise orthodoxe dissidente d’Ukraine | © Jacques Berset

Ils relèvent que les privilèges d’honneur du «Trône œcuménique de Constantinople» ne sont pas remis en cause: ils existent mais «sont exercés exclusivement dans le cadre du système spirituel conciliaire et hiérarchique de la communion des Eglises orthodoxes locales et non hors ou au-dessus de celui-ci». Pour les signataires, «la fausse interprétation et la tentative de transformation des privilèges d’honneur en primauté d’autorité corrompt l’ecclésiologie orthodoxe et la conduit au papisme avec des conséquences désastreuses».

Constantinople pourrait perdre sa primauté d’honneur

«L’intervention et l’intrusion, même pour affronter un problème sérieux hors des limites territoriales [du Patriarcat œcuménique] et dans une juridiction étrangère sans accord unanime, voire même contrairement à l’unanimité, des autres Eglises locales, ne peuvent être fondées dans l’interprétation orthodoxe des privilèges d’honneur, mais constituent une altération et une fausse interprétation de ceux-ci. Toute tentative d’imposer une telle interprétation aura, malheureusement, des conséquences ecclésiologiques des plus graves avec pour résultat immédiat la perte de la primauté d’honneur».

Les signataires rappellent que la seule Eglise orthodoxe canonique, l’Eglise autonome d’Ukraine [dépendant du Patriarcat de Moscou, ndlr] se trouvant sous le métropolite Onuphre, avec 90 évêques, 12’000 paroisses, 250 monastères, 5’000 moines et moniales et des millions de fidèles, n’a pas demandé l’autocéphalie. «L’Eglise canonique, comme elle en avait le droit, n’a pas demandé et n’a pas accepté l’autocéphalie. Est-il possible de la lui imposer par la force, ou de la sanctionner pour ne pas l’avoir acceptée ?»

L’Eglise condamne les juridictions parallèles

«Alors que tous, et même le Patriarcat œcuménique, acceptent la présence du métropolite Onuphre et des 90 évêques (il n’existe pas d’acte canonique de déposition ou de défrocation à leur endroit), une structure ecclésiastique parallèle est créée, à côté de celle qui existe canoniquement». Les signataires soulignent que l’Eglise orthodoxe condamne les juridictions parallèles dans la diaspora, alors pourquoi les reconnaître en Ukraine ?

Ils rappellent que l’Eglise d’Ukraine appartient canoniquement au Patriarcat de Russie, et non au Patriarcat œcuménique. «Jusqu’à maintenant, les autocéphalies de Constantinople étaient octroyées dans les régions de sa juridiction».

Validité des sacres épiscopaux remise en cause

«Presque toutes les Eglises locales émettent des réserves des plus sérieuses au sujet de la canonicité et de la validité des sacres épiscopaux de la nouvelle Eglise». En effet, quinze, parmi sa cinquantaine d’évêques, ont reçu leur ‘sacre épiscopal’ d’individus autoconsacrés. Les signataires rappellent que certains ont été sacrés par Philarète Denisenko, «défroqué et anathématisé [en 1997, après avoir été réduit à l’état laïc en 1992, ndlr], et dont la défrocation et l’anathème avaient été reconnus par toute l’orthodoxie et par le patriarche œcuménique». D’autres l’ont été «par un ex-diacre auto-consacré, qui n’a jamais été ordonné prêtre et évêque, un imposteur condamné pénalement, Victor Tchékaline. Est-il possible, après la reconnaissance des ‘ordinations’ de Tchékaline, de continuer à proclamer la succession apostolique des hiérarques orthodoxes ?»

«Comment est-il possible que nous reconnaissions, en tant qu’Eglise de Grèce, des auto-consacrés ? Nous nous glorifions dans le Seigneur jusqu’à maintenant de la succession apostolique des évêques orthodoxes ! (…)  Il n’y a nulle part de tel précédent !», insistent les signataires de la mise en garde. «Aucune Eglise orthodoxe n’a reconnu une autocéphalie accordée de cette façon, ce qui est un événement jamais vu précédemment dans l’histoire ecclésiastique !» JB

Reniement après une reconnaissance de 332 ans

La région de l’Ukraine (dans les sources ecclésiastiques, elle est principalement mentionnée comme la «Petite Russie»), de 988 jusqu’en 1686, appartenait au Trône œcuménique. Par l’acte patriarcal du patriarche Denys IV, elle fut soumise canoniquement au Patriarcat de Moscou. Le Patriarcat œcuménique lui-même, pendant 332 ans, a interprété l’Acte patriarcal comme soumission pleine de l’Ukraine à l’Eglise de Russie. Cette certitude a été acceptée de différentes façons par le Patriarcat œcuménique lui-même pendant des siècles… jusqu’en 2018 ! Le Trône œcuménique, tout comme toutes les Eglises orthodoxes locales, acceptait alors sans réserve aucune que l’Ukraine était soumise canoniquement au Patriarcat de Russie !

«Qui peut mépriser, à la légère, la tradition ecclésiale et l’expérience panorthodoxe ? Qui a le droit de se placer au-dessus de la conscience panorthodoxe ?», insistent les critiques de la décision du Patriarcat œcuménique. Ils rappellent que le patriarche de Constantinople ne peut agir comme un «pape», n’étant pas au-dessus de l’opinion commune de toutes les Eglises locales. (cath.ch/orthodoxie.com/be)

Jacques Berset

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