Sergio Ferrari, pour cath.ch
Dans une interview accordée au journaliste Sergio Ferrari (*), le penseur et activiste social brésilien Leonardo Boff voit dans cet important événement une consolidation de la position de l’Eglise face à la problématique écologique complexe et de plus en plus actuelle. Et, aussi, un espace de réflexion sur les changements significatifs au sein même de l’institution.
Entre le 6 et le 27 octobre, le Synode pour l’Amazonie se tiendra à Rome. Quelle est votre vision de l’importance de cette convocation du Vatican?
Leonardo Boff: Je vois cela comme une occasion unique pour le pape François de susciter les changements que le centre du pouvoir religieux au Vatican n’a jamais pu faire. En premier lieu, il faut souligner le caractère synodal de la réunion, c’est-à-dire que les décisions dépendent de tous les participants, y compris des peuples indigènes. Le texte est clair: il ne s’agit pas de convertir les cultures, mais de les évangéliser, pour qu’une nouvelle Eglise naisse, avec un visage autochtone, avec sa sagesse ancestrale, avec ses rites et ses coutumes.
Dans ce contexte, il sera débattu de l’opportunité d’ordonner des personnes mariées et indigènes qui vivront avec ces communautés. Il faudra aussi définir un ministère officiel pour les femmes. Certains évêques proposent de ne pas se référer aux «viri probati» (ordination d’hommes mariés d’un certain âge ayant fait leurs preuves au plan humain et pastoral, ndlr) mais aux «personae probatae» (ce qui inclut les hommes et les femmes), avec la possibilité d’un ministère pour les femmes.
Il ne manque pas de secteurs conservateurs dans la hiérarchie de l’Eglise qui, dès avant le début du Synode, élèvent déjà la voix contre certains contenus importants qui vont être débattus…
Ceux qui, en Europe et aux Etats-Unis, accusent le pape d’hérésie à la suite de certains passages dans le texte de préparation du Synode sont les mêmes qui sont otages du paradigme européen, oubliant que le christianisme d’aujourd’hui est né de l’incorporation des cultures grecque, latine et germanique. Pourquoi ne pas permettre à nos peuples de faire la même chose?
Derrière les accusations visant le pape se cache une question de pouvoir. Ceux qui l’accusent n’acceptent pas l’émergence d’un autre type d’Eglise, d’Eglises plus engagées et plus nombreuses, avec leurs théologies et leurs liturgies. Enfin, il est important de rappeler qu’avec 62% des catholiques dans le monde, les fidèles des Amériques sont majoritaires, alors que les Européens n’en représentent plus que le 25%.
Il y a ici une véritable «ecclésiogenèse», la naissance d’une véritable Eglise, catholique et avec un autre visage. (Leonardo Boff se réfère ici à son livre «Eclesiogênese. As comunidades de base reinventam a Igreja», Petrópolis, 1977 – »Ecclésiogenèse, les communautés de base réinventent l’Eglise», ndlr). Certains cardinaux – notamment deux Allemands et un Nord-Américain qui se sont prononcés publiquement – n’acceptent pas un tel renouveau. Ils veulent maintenir l’hégémonie de l’Eglise catholique romaine, aujourd’hui agonisante et peu irradiante dans le monde.
Le pape François représente ce nouveau type d’Eglise, avec une autre vision de l’exercice du pouvoir sacré, simple et évangélique, ne mettant pas l’accent sur les doctrines et les dogmes, mais sur la rencontre vivante avec Jésus. En assumant son exemple, parce que, dit-il, Jésus est venu nous apprendre à vivre l’amour inconditionnel, la solidarité, la compassion, l’ouverture totale à «Dieu-Père» (à «Tata Dios», expression latino-américaine, ndlr).
Une vision de proximité, d’un chemin commun, renforcée par le fait que ce Synode donne la priorité à l’Amazonie, une région très sensible dans l’ensemble des équilibres écologiques planétaires et, aujourd’hui, extrêmement menacée…
Oui… Le pape a choisi l’Amazonie parce qu’il connaît son importance pour l’équilibre de la Terre et pour la destinée commune Terre-Humanité. L’Amazonie a un rôle décisif pour l’avenir de la vie. C’est pourquoi il a voulu que le Synode se tienne à Rome, pour que toute l’humanité puisse accompagner les discussions et prendre conscience de la grave crise traversée par le système-Terre et le système-Vie.
Participerez-vous à ce Synode?
Je ne suis pas invité. Je suis une personne controversée pour beaucoup d’évêques, malgré tout l’appui que j’ai donné au pape François et le soutien que j’ai personnellement reçu de sa part. Toutefois, je collabore avec des textes, certains envoyés directement au pape et d’autres au groupe amérindien (articulation de plusieurs groupes de l’Eglise latino-américaine) qui sera présent à Rome.
Le Synode est-il un pas intelligent, «opportuniste», de l’Eglise catholique romaine, face à la gravité de la situation environnementale ou bien s’agit-il, avant tout, d’un moyen de rattraper le temps perdu dans la défense écologique de la terre?
L’Eglise catholique s’est finalement réveillée pour s’ouvrir au problème écologique intégral que le Conseil œcuménique des Eglises (COE) à Genève avait déjà soulevé dans les années 1970, avec la devise: Justice, Paix et Sauvegarde de la Création (JPSC). L’encyclique Laudato si’ de 2015 sur l’attention à porter à la Madre Tierra (la Terre Mère) représente ce tournant de l’Eglise catholique. Ce n’est pas un texte réservé aux chrétiens, il est adressé à toute l’humanité.
Cette encyclique ne se réduit pas non plus à une écologie verte: elle défend une écologie intégrale, couvrant l’environnement, le social, le politique, le culturel, le quotidien et le spirituel. Avec ce texte, le pape François prend une position ferme dans la discussion mondiale sur l’écologie. Jusqu’à présent, les Eglises étaient plus un problème qu’une solution pour la situation de la planète. Aujourd’hui, elles offrent, par leur richesse spirituelle, une contribution de grande qualité. (cath.ch/sf/be)
(*) Sergio Ferrari est ancien responsable de la communication de l’ONG E-Changer, à Lausanne, collaborateur du quotidien Le Courrier à Genève et correspondant pour plusieurs publications en Amérique latine.
Les peuples indigènes seront présents
185 membres du Synode sont attendus à Rome. Parmi les participants, on note les présidents délégués nommés par le pape François: les cardinaux Baltazar Enrique Porras Cardozo (Venezuela), Pedro Ricardo Barreto Jimeno (Pérou) et João Braz de Aviz (Brésil), ainsi que le rapporteur général Claudio Hummes (Brésil). Les 13 chefs des dicastères de la Curie romaine seront présents dans cette assemblée présidée par le pape François.
Dans l’assemblée seront présents 114 évêques en provenance des circonscriptions ecclésiastiques de la région Panamazonienne qui recouvre les Antilles et six pays: Bolivie, Brésil, Colombie, Equateur, Pérou, Venezuela. Parmi les prélats figure Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne (Guyane Française), seul évêque français participant à ce Synode.
Comme le veut la règle, des experts et de nombreux auditeurs et auditrices ont également été nommés pour participer aux travaux du Synode. Les experts viennent en grande partie d’Amérique latine, et leurs compétences recouvrent des domaines variés et liées aux enjeux de ce Synode, par exemple la spiritualité indigène et la pastorale inculturée, l’histoire de l’Eglise en Amazonie, l’anthropologie sociale et l’ethnobiologie.
Un prêtre indigène appartenant au peuple zapotèque fait partie de ce groupe de participants. Le groupe des 55 auditeurs et auditrices présente les mêmes caractéristiques, avec plusieurs membres originaires de tribus et ethnies indigènes locales (comme Tapi Yawalapiti, chef des 16 tribus de Alto-Xingu, dans l’Etat brésilien de Mato Grosso). Le Français d’origine indienne Aloysius Rajkumar John, secrétaire général de Caritas Internationalis, figure également parmi les auditeurs.
Enfin, six délégués fraternels seront présents (représentants d’Eglises presbytérienne, évangéliques et anglicanes d’Amérique du Sud), ainsi qu’une douzaine d’invités spéciaux. Parmi ces derniers figurent le Coréen Ban Ki-Moon, ancien secrétaire général des Nations-Unies, le Belge Jean-Pierre Dutilleux, co-fondateur et président honoraire de l’association Forêt Vierge, la Canadienne Josianne Gauthier, secrétaire générale de la Coopération Internationale pour le Développement et la Solidarité (CIDSE), Carlos Alfonso Nobre, récipiendaire du Prix Nobel de la Paix 2007 au titre du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), ou encore Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable à l’université de Columbia (Etats-Unis). JB
Leonardo Boff : Dans le sillage de François, le «poverello» d’Assise
Leonardo Boff naît en 1938 dans une famille de onze enfants à Concordia, dans l’Etat de Santa Catarina, au Sud du Brésil. Ses grands-parents, «réfugiés économiques» comme des dizaines de milliers de leurs compatriotes d’Italie du Nord, émigrent du Tyrol du Sud vers le Nouveau Monde. La mère de Leonardo a été toute sa vie analphabète. A vingt ans, Leonardo Boff entre dans l’ordre des Franciscains. Après ses études au Brésil puis en Allemagne – il obtient son doctorat en théologie systématique à Munich. Après son ordination sacerdotale, il rentre au Brésil en 1970. Il enseigne alors à l’Institut théologique franciscain de Petrópolis, près de Rio de Janeiro, et devient l’un des principaux théologiens de la libération du tiers monde.
Auteur de dizaines d’ouvrages, il fut conseiller de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB). Il est ensuite interdit de prédication et d’enseignement dans les Facultés catholiques par la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi dans les années 1980 suite, notamment, à la publication de son ouvrage «Eglise: charisme et pouvoir» (1981). Rome lui reprochait plus particulièrement d’être trop proche du marxisme. Il quitte alors les Franciscains et le sacerdoce, se marie avec Marcia Monteiro da Silva Miranda, et s’engage à Petrópolis dans le Service d’organisation populaire d’aide aux mères et aux enfants des rues.
A partir des années 1990, Leonardo Boff s’intéressera de plus en plus aux questions écologiques, dans un esprit franciscain, et dans la perspective d’une critique radicale du système capitaliste. Il publiera alors son livre «Dignitas Terrae. Ecologie: cri de la Terre, cri des pauvres», en 1995, et de nombreux autres essais philosophiques, éthiques et théologiques. Lors d’un passage à Fribourg, le théologien brésilien confiait qu’il se situait totalement dans la tradition spirituelle de saint François, le «poverello» d’Assise. JB
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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