Pour sa première visite en Suisse, Arturo Sosa, depuis trois ans à la tête de quelque 15’000 jésuites dans le monde – dont 3’000 en formation – a rencontré à Genève, le 19 septembre, les jésuites travaillant avec les institutions internationales ainsi que les jésuites de la communauté de Genève et leurs collaborateurs.
La constitution d’une seule province d’Europe centrale, fruit d’une réflexion depuis près de cinq ans, veut notamment répondre aux réalités démographiques. Pour la Suisse, il ne reste qu’une cinquantaine de jésuites, dont la moyenne d’âge est d’environ 67 ans.
Les jésuites en Suisse
Les jésuites sont présents en Suisse depuis le 16e siècle. Mais ce n’est que depuis 1983 que la province suisse est reconnue officiellement. La résidence du provincial et le siège central de la province se trouvent à Zurich. L’actuel supérieur Provincial est le Père Christian Rutishauser.
La province de Suisse regroupe une cinquantaine de jésuites romands et suisses alémaniques. En Suisse romande, les jésuites sont basés à Genève et à Fribourg. En Suisse alémanique, ils vivent en communautés à Zurich, Bad Schönbrunn (ZG), Lucerne et Bâle.
Interrogé sur le déploiement de la Compagnie de Jésus au plan mondial, le Père Arturo Sosa relève qu’on ne peut raisonner en termes de continents, tant les situations sont variables. «En Europe et en Amérique du Nord, plus que de sécularisation, il faut parler de «désaffection». Ce n’est pas que les catholiques se distancient de l’Eglise, «c’est qu’ils ont perdu l’affect», ayant à jamais perdu leur relation avec la religion.
Dans d’autres régions du monde, d’autres sociétés, la sécularisation n’est pas si agressive. «Cette réalité nous invite à proposer le message de l’Evangile de façon créative. Il faut accepter le christianisme comme une proposition très personnelle, que cela soit un choix libre, à la différence d’un catholicisme plus culturel».
Le Père Sosa relève que si dans ces sociétés sécularisés, les catholiques sont moins nombreux, ils sont ‘convaincus’. Ils ont une adhésion consciente. Dans d’autres lieux, en Amérique latine, en Afrique, en Asie, la religiosité populaire est encore très prégnante.
«Nous devons ici apprendre de la foi du peuple, l’accompagner, l’épurer, car la piété populaire peut aussi avoir des côtés négatifs, par exemple la croyance à des phénomènes de sorcellerie; les sentiments religieux peuvent aussi être manipulés. Il faut donc illuminer la foi populaire à partir de l’Evangile, procéder à un discernement». Et de mentionner des régions où la religion peut devenir fondamentaliste, servir des idéologies politiques, comme par exemple en Inde, ou au Moyen-Orient.
Mais dans toutes les situations, la mission de la Compagnie reste la même: apporter partout la lumière de l’Evangile, «même s’il n’y a pas de recettes toutes faites». D’autant plus qu’il faut s’adapter aux réalités de l’Ordre: en Europe, il reste quelque 5’000 jésuites. En Espagne, sur près d’un millier de jésuites, 10% ont plus de 90 ans!
Par contre, d’autres régions, comme l’Asie méridionale (Inde, Pakistan, Sri Lanka), les jésuites, qui sont plus de 4’000, ont une pyramide des âges plus équilibrée (57 ans en moyenne). L’Amérique latine compte plus de 2’200 jésuites, la région Asie-Pacifique plus de 1500. C’est l’Afrique, comptant plus de 1’650 jésuites, dont beaucoup sont en formation et dans l’Ordre depuis moins de 5 ans, qui connaît le plus de vocations. Mais il est loin le temps (1966) où les jésuites étaient plus de 36’000.
«Les disciples de Mgr Lefebvre, séparés de Rome, sont bien moins dangereux que les conservateurs à l’intérieur de l’Eglise»
«On assiste à une relocalisation. On va toujours trouver davantage de jésuites vivant dans des sociétés où le christianisme est minoritaire. De ce fait, il faut trouver de nouvelles manières d’annoncer l’Evangile».
En attendant, cet adepte convaincu du Concile, qui qualifie le pape François, jésuite latino-américain comme lui, de «bon fils de Vatican II», estime que les ennemis actuels du pontife sont de la même veine que ceux qui ont mené la résistance après le Concile.
Le Général des jésuites qualifie de «fondamentaliste» l’attitude de ceux qui critiquent radicalement le Concile Vatican II. Ils s’opposent à cette nouvelle façon d’être l’Eglise qui est aujourd’hui incarnée par le magistère du pape François. Les disciples de Mgr Lefebvre, séparés de l’Eglise «en raison de leurs positions extrêmes», sont bien moins dangereux que les conservateurs à l’intérieur, qui se prétendent plus fidèles à l’Evangile que le pape lui-même.
Entré au noviciat des jésuites à l’âge de 17 ans en septembre 1966, Arturo est enthousiasmé par le véritable «kairos» que vit alors l’Eglise, un moment de transition crucial, au sortir du Concile Vatican II. «Au noviciat, mon unique lecture était les écrits du Concile!».
Visite en Suisse
Le Père Arturo Sosa s’est adressé le 20 septembre 2019 à Zurich à tous les jésuites suisses. Il participe également le même jour à une table ronde à l’Université de Zurich sur le thème «Etre chrétien aujourd’hui – Quel chemin pour l’Eglise?», avec la participation de Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle; Gottfried Locher, président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS); Daniel Kosch, secrétaire général de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ); Barbara Hallensleben, professeur de théologie dogmatique et de théologie de l’œcuménisme de l’Université de Fribourg. Le lendemain, il rejoint le Centre spirituel jésuite de Lassalle-Haus à Bad Schönbrunn (Zoug) et anime une messe, le dimanche 22 septembre, à l’église des jésuites de Lucerne.
Ce moment clé dans l’histoire de l’Eglise a initié la transformation de l’Eglise en Amérique latine, avec notamment, en 1968, la 2e Conférence générale du Conseil épiscopal latino-américain (CELAM) à Medellin, en Colombie, qui entérina l’option préférentielle de l’Eglise pour les pauvres et la lutte contre l’injustice sociale.
«Cela a déclenché un mouvement enthousiaste dans toute l’Amérique latine, les communautés ecclésiales de base ont pris leur essor. Cela a été une source de vie pour l’Eglise latino-américaine et pour moi aussi!», se souvient le Père Sosa.
Cette véritable «irruption des pauvres» au sein de l’Eglise est-elle une révolution face à une Eglise héritière du colonialisme ? Fausse perspective, rétorque le jésuite latino-américain. «Vous oubliez Bartolomé de las Casas [défenseur des Indiens, ndlr] et d’autres grands missionnaires, l’engagement des franciscains et des capucins, au Mexique, en Californie, au Venezuela… et les ‘réductions’ jésuites en Amérique du Sud, qui ont mis l’accent sur la préservation de la culture autochtone des Indiens, en la renforçant d’un point de vue socio-économique. La proposition de l’Evangile leur était certainement faite, mais ce n’était pas une imposition. Ces congrégations ont joué un grand rôle aux côtés des populations, dans le cas des Caraïbes, auprès des esclaves noirs…»
En Amérique latine, l’Eglise s’est inculturée dans ces diverses réalités. La piété populaire se souvient de la souffrance de Jésus crucifié. Il y a sur ce continent une forte piété mariale, souligne celui qui garde dans son bureau l’image de Notre-Dame de Guadalupe, patronne de l’Amérique latine.
«La Vierge de Guadalupe est apparue à Juan Diego [en 1531 sur la colline du Tepeyac, au Mexique, selon la tradition, ndlr], et l’évêque au début n’y croyait pas… C’est un symbole de la façon dont la foi chrétienne était reçue: elle se révélait à un humble Indien, pas dans les palais!»
Pour le premier supérieur général jésuite non-Européen, la patronne de l’Amérique latine, dont la fête est fixée au 12 décembre, est très importante. «Mes parents se sont mariés le 12 décembre, jour de la fête de Notre-Dame de Guadalupe. J’ai été baptisé un an plus tard, le 12 décembre. J’ai fait les derniers vœux en tant que jésuite le 12 décembre…» Une Vierge métisse, indigène, représente le visage d’une Eglise qui investit de nouveaux horizons. (cath.ch/jb)
Arturo Sosa: une foi engagée et solidaire
Le Vénézuélien Arturo Sosa – né à Caracas le 12 novembre 1948 – parle l’espagnol, l’italien, l’anglais et comprend le français. Il a été élu Supérieur général de la Compagnie de Jésus le 14 octobre 2016. Il confie à cath.ch que ce qui a inspiré sa vie, dès sa jeunesse au Collège jésuite Saint-Ignace de Caracas, dont il a fréquenté des classes élémentaires au lycée, ce sont notamment une famille profondément catholique et le Concile Vatican II.
Arturo Sosa dit avoir mûri sa vocation à 15 ans, au sein de la Communauté de vie chrétienne (CVX-CLC), une confrérie mariale au charisme et à la spiritualité ignatiennes. «Il y avait la prière et toutes les semaines, nous allions dans les barrios populaires. Après l’école, on nous emmenait visiter des hôpitaux, ou à la campagne parler avec les paysans…» Déjà une foi engagée et solidaire!
Après sa formation philosophique et théologique et son doctorat en sciences politiques à l’Université centrale du Venezuela, il rencontre le Père Pedro Arrupe, qui était alors Général des jésuites. C’est cette rencontre «fascinante» de 1975, alors qu’il étudiait à Rome, qui va décider de la suite de son ascension au sommet de la Compagnie. JB
Jacques Berset
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/geneve-les-jesuites-accueillent-arturo-sosa-leur-superieur-general/