George Pell: la chute

La Cour suprême de Victoria, en Australie, a confirmé, le 21 août 2019, la condamnation prononcée en février lors du procès en première instance pour abus sexuels sur mineurs. Les avocats du cardinal ont 28 jours pour faire appel. L’ex ‘numéro 3’ du Vatican reste en prison. Cath.ch remonte le fil d’une affaire qui a débuté en 2016.

Le 21 août, les juges ont annoncé leur décision suite à l’audience d’appel qui s’était déroulée début juin. La décision de rejet arrive après qu’un premier procès pour des délits anciens d’abus sexuels se soit conclu sans verdict, suivi d’un second procès dans lequel le jury a approuvé à l’unanimité un verdict de culpabilité. Un deuxième chef d’inculpation a en revanche été rejeté par le tribunal pour manque de preuves admissibles.

Si le cardinal ne recourt pas à nouveau contre cette décision, ce pourrait être l’épilogue d’une affaire commencée en 2016. Histoire d’une chute qui l’aura mené des ors du palais apostolique à la prison australienne.

Des accusations d’actes pédophiles

L’affaire remonte à juillet 2016. Celui qui était à l’époque le préfet du Secrétariat pour l’économie du Saint-Siège et membre du C9, rejette déjà des accusations d’actes pédophiles qui remonteraient aux années 1970 et 1980 et 1990. On lui reproche également d’avoir couvert des prêtres pédophiles de son clergé.

Début mars, le ›Numéro 3’ est auditionné à ce sujet par la Commission royale de Sydney à quatre reprises, via vidéoconférence de Rome. Il reconnaît avoir été «un peu passif et un peu sceptique».

En octobre, le cardinal australien est auditionné par la police qui précise qu’il a participé volontairement à l’interrogatoire et qu’il continuera de coopérer jusqu’à la fin de l’enquête.

Le contexte dans lequel l’affaire naissante évolue se détériore. Le scandale de la pédophilie éclate en effet en Australie début 2017: d’après les données rendues publiques le 6 février, 4’444 faits de pédophilie ont été signalés dans le cadre de l’Eglise. Entre 1950 et 2010, globalement, 7% des prêtres étaient des auteurs présumés, indique Gail Furness, l’avocate australienne en charge de la Commission royale. L’âge moyen des victimes au moment des abus était de 10,5 ans pour les filles et 11,6 ans pour les garçons.

Les prêtres soupçonnés étaient déplacés dans d’autres communautés où l’on ne savait rien de leur passé. La commission indique également que des autorités ecclésiastiques ont détruit des documents compromettants. «Le secret prévalait et les auteurs étaient couverts», déplore Gail Furness.

«Coup politique»

Ce qui va devenir ›l’affaire Pell’ évolue: le cardinal est accusé d’avoir couvert des prêtres pédophiles, dans les années 1970 et 1980. Le cardinal qui dénonce «un coup politique», est également accusé personnellement d’avoir abusé de mineurs alors qu’il était l’archevêque de Sydney en 2002, ce qu’il dément catégoriquement.

Selon le journal The Australian du 6 février 2017, le dossier du cardinal Pell a été envoyé au Ministère public de l’Etat de Victoria, pour révision.

En mai 2017, la situation se complique pour l’ancien archevêque de Sydney avec la publication du livre The Rise and Fall of George Pell (grandeur et décadence de George Pell). L’ouvrage est une enquête de Louise Milligan, journaliste du média national ABC, révélant les prétendus agissements pédophiles de l’ancien archevêque. Le livre a été retiré de la vente peu après sa publication, par crainte qu’il puisse influencer le procès du cardinal. Mais son contenu est aisément consultable sur internet. Il a déjà été relayé par de nombreux médias.

«Le cardinal s’abstiendra de s’ingérer dans le cours de la justice et ne répondra pas aux accusations», explique un communiqué du Secrétariat pour l’économie, «sauf à réaffirmer que toutes les accusations de pédophilie portées contre lui sont complètement fausses».

Des accusations non spécifiées

La justice australienne inculpe finalement le cardinal George Pell d’abus sexuels multiples sur mineurs. Les autorités judiciaires australiennes ne spécifient cependant pas les chefs d’accusation.

Les charges retenues contre le cardinal Pell concernent des abus sexuels envers des mineurs qui auraient été commis durant les années 1970 à 1990 alors qu’il était encore en Australie. Le ›Numéro 3’ du Vatican annonce le 29 juin son retour au pays. Il dit se réjouir des procédures de la cour lui «offrant désormais une possibilité de laver son nom». Il indique dans la foulée qu’il compte ensuite rentrer à Rome pour continuer ses travaux au Secrétariat pour l’économie. Le pape lui accorde un congé pour qu’il puisse se défendre.

L’Australie divisée

L’affaire Pell est née et divise l’Australie. La presse se déchaîne. Sans prendre ouvertement le parti du cardinal Pell, de nombreux éditorialistes australiens s’inquiètent du contexte social et médiatique dans lequel le procès doit se dérouler. Des figures ecclésiastiques et politiques défendent le cardinal.

Le 26 juillet 2017, le prélat comparaît à l’audience préliminaire. Il tient sa ligne de défense et plaide non coupable. Le 7 octobre 2017, le cardinal assiste à la deuxième audience devant la Cour de Melbourne, durant 20 minutes, avant la déposition de 50 témoins prévue pour l’audience du 5 mars 2018, qui déterminera s’il y a des preuves suffisantes pour soumettre le cardinal à un procès. Quatre semaines d’auditions sont prévues. L’exacte nature et le détail des accusations que la police de Victoria lui impute n’ont pas été rendus publics, mais le cardinal les rejette en bloc.

Le 1er mars 2018, le tribunal de Melbourne retire l’un des chefs d’inculpation contre le cardinal George Pell, annonce le quotidien The Australian. Cette charge a été abandonnée après qu’un des plaignants est mort des suites d’une longue maladie.

L’audition préliminaire d’une trentaine de témoins s’achève fin avril. La juge Belinda Wallington, de la cour de justice de Melbourne, doit à présent décider si les charges présentées sont suffisamment crédibles pour envoyer le cardinal Pell devant un jury. Les détails des accusations contre Mgr Pell ne sont pas connus, les auditions s’étant déroulées à huis clos. Des informations ont tout de même filtré, note le journal, qui parle «d’échanges incendiaires» durant la dernière semaine des témoignages.

Le travail de la police critiqué par la défense

L’avocat de la défense Robert Richter a vivement critiqué le travail de la police. Il a notamment reproché aux enquêteurs d’avoir omis de récolter les témoignages de religieuses, de membres d’une chorale et de responsables d’Eglise, favorables au cardinal. L’avocat fait en outre état de déclarations contradictoires de témoins à charge, que la police n’aurait pas pris la peine de confronter. Il accuse la police de s’être globalement concentrée sur le cas du prélat, dans une démarche qualifiée d’opération «attrapez Pell» (get-pell operation).

Le 1er mai 2018, un tribunal de Melbourne a décidé de renvoyer le cardinal devant les tribunaux pour y être jugé pour agressions sexuelles. La juge Belinda Wallington se dit «convaincue» qu’il existe des éléments suffisamment solides pour justifier un procès. Elle écarte cependant certains chefs d’accusation, dont les plus graves. Les témoins étant qualifiés de douteux et manquant de crédibilité. De son côté, le cardinal, 76 ans, continue à démentir toutes les accusations portées contre lui.

A l’issue de quatre semaines d’auditions, l’ancien archevêque de Sydney doit ainsi répondre pour des affaires anciennes d’abus sexuels. Le détail des accusations n’a pas été dévoilé, la police se contentant de parler de cas «historiques» commis par le prélat lui-même entre les années 1970 et 1990.

Le Saint-Siège affirme «prendre acte de la décision de l’autorité judiciaire en Australie».

Coupable en attendant une condamnation

Le tribunal de Melbourne (sud) déclare le 26 février 2019 le cardinal coupable d’un chef d’agression sexuelle et de quatre chefs d’attentat à la pudeur contre deux enfants de chœur alors âgés de 12 et 13 ans. Les faits se sont déroulés dans la sacristie de la cathédrale Saint-Patrick de Melbourne dans les années 1990. Le cardinal continue de clamer son innocence et fait donc appel de la décision de la cour.

En fait le procès du cardinal Pell s’était clos fin 2018, mais le verdict avait été tenu secret par la justice en vertu d’une particularité des procédures judiciaires australiennes. Un second procès, pour une autre affaire d’abus sexuels, aurait dû en effet se tenir fin février mais les poursuites ont été abandonnées faute de preuves.

Le cardinal Pell, devient ainsi le plus haut responsable catholique condamné. Il est incarcéré le 27 février dans un quartier de haute sécurité. Entre temps arrivé au terme de son mandat au C9 et au Secrétariat pour l’économie, il a été remercié par le pape François.

Six ans de prison

Le 13 mars 2019, le tribunal de Melbourne condamne l’ex ‘numéro 3’ du Saint-Siège à six ans de prison. Le juge Peter Kidd qualifie les crimes reprochés d’»odieux», l’ancien archevêque de Sydney ayant profité de sa position d’autorité sur les jeunes victimes.

Les avocats de l’ancien préfet du Secrétariat pour l’économie basent leur demande d’appel sur plusieurs motifs. Principal argument avancé: le verdict de culpabilité serait «déraisonnable» car un jury ne pourrait réellement parvenir à une culpabilité sur la foi d’un seul plaignant contre des «preuves disculpatoires incontestables» apportées par plus de vingt témoins.

Le procès en appel se déroule les 5 et 6 juin 2019. L’accusation conserve comme principal argument la crédibilité du témoin, qui a maintenu sa version des faits, malgré plusieurs contre-interrogatoires serrés.

La défense tente, de son côté, de relever des incohérences dans le récit de l’accusation. Les juges ont interrogé le procureur Christopher Boyce sur des points encore flous du dossier. Ce dernier assure, le premier jour du procès en appel, que la condamnation du cardinal est «incontestable».

Les avocats de la défense ont mis en avant le fait que les accusations ne provenaient que d’une seule personne. Ils ont également fait valoir qu’il était «hautement improbable» qu’une personne de la taille du cardinal Pell n’ait pas été vu en train d’approcher deux enfants de chœur. Le fait que les agressions se soient déroulées dans la sacristie, alors que l’église était encore pleine de monde, donc de témoins potentiels, a également été relevé.

En fin de compte les arguments de la défense n’ont donc pas été retenus même si un des trois magistrats a considéré qu’il y avait une «possibilité significative» que le cardinal soit innocent.

Le Vatican «prend acte» de cette décision et réaffirme son «respect» des autorités judiciaires australiennes, affirme Matteo Bruni. Toutefois, «dans l’attente de connaitre les éventuels développements ultérieurs», il a rappelé que le cardinal Pell «a toujours répété son innocence». Il a ainsi souligné la possibilité de recours devant la Haute cour d’Australie.

Un autre procès à Rome

Au Vatican, on ne semble pas vouloir précipiter les choses. La curie s’est contentée d’annoncer l’ouverture d’une procédure canonique contre Mgr Pell, mais il est impossible d’en préjuger l’issue.

Les avocats canoniques de Pell plaideront certainement eux en faveur d’un procès complet à Rome. Un processus beaucoup plus long et plus complexe qui pourrait prendre au moins autant de temps que le procès civil australien.

Les premières étapes du processus canonique impliquent une enquête préliminaire chargée de recueillir des informations disponibles sur les accusations. Cela inclura presque certainement les preuves utilisées par la cour de Victoria pour condamner George Pell. Mais les enquêteurs du Vatican et les canonistes de Pell voudront aussi connaître tout nouveau matériel disponible pendant son appel.

Le cardinal George Pell reste en prison. Il pourra demander une libération conditionnelle au bout de 3 ans et 8 mois, c’est-à-dire en octobre 2022. (cath.ch/ag/bh)

Bernard Hallet

Portail catholique suisse

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