De toutes les religions, le christianisme est sans conteste la plus intimement liée au vin. Le vin et la vigne sont cités pas moins de 443 fois dans la Bible. Dans le premier livre de l’Ancien Testament déjà, Noé passe pour le premier homme à planter une vigne – et la première victime d’une cuite digne de ce nom. Le vin occupe également une place de choix dans le Nouveau Testament. Dans l’Evangile de Jean, Jésus inaugure son ministère en transformant six jarres d’eau en vin – plus de 400 litres, soit dit en passant. Au soir de sa mission, lors du dernier repas avec ses disciples, il prend du pain, une coupe et leur dit: «Ceci est mon corps. Ceci est mon sang».
C’est ce geste que l’Eglise perpétue lors de chaque messe. Un acte liturgique qui est loin d’être anodin: les catholiques l’interprètent comme «la source et le sommet de toute la vie chrétienne», prenant grand soin de définir toute une série de règles qui encadrent de manière précise le déroulé et le contenu de la célébration.
Pour ce qui est du vin en l’occurence, le code de droit canon (1983) précise: «Le vin doit être du vin naturel de raisins et ‘non corrompu'». En d’autres termes, du vin pur qui n’a pas été muté. Le Porto, par exemple, ne convient pas pour la célébration de l’eucharistie, explique l’abbé François Roten, ancien directeur du Centre romand de pastorale liturgique. Une lettre aux évêques de la Congrégation romaine pour le culte divin datée de 2017 autorise cependant l’utilisation de «jus de raisin non fermenté». Une alternative utile lorsqu’un prêtre souffre de dépendance à l’alcool, notamment. Mais le jus de raisin peut aussi s’avérer pratique dans des pays comme la Roumanie, où l’alcool est interdit au volant. «Théoriquement, un prêtre ne peut pas prendre la voiture après avoir célébré la messe, confirme Stefan Constantinescu, théologien roumain établi à Fribourg». Reste que dans la pratique, le jus de raisin ne se substitue pas au vin. «Et le clergé compte sur la bienveillance de la police qui, de manière générale, cultive une bienveillance à l’égard des prêtres».
En Suisse et contrairement à leurs voisins allemands, les diocèses ne proposent pas une liste de vignerons attitrés pour la production du vin de messe. «Dans un canton comme le Valais où la culture du vin est tellement ancrée, ce serait impossible, à moins d’inaugurer une ‘guerre des caves'», avertit François Roten, curé de Bramois, Salins et les Agettes.
Rouge ou blanc: tout convient. Ceci dit, on préférera du blanc, moins salissant pour les linges liturgiques qui servent à purifier le calice après la communion. Et du blanc surmaturé, qui se conserve mieux. «On trouve du blanc plus sec dans les sacristies équipées d’une réfrigérateur. C’est le cas à la cathédrale de Sion, où l’on a choisi du fendant». Ailleurs en Valais, dans des églises plus modestes, on retrouve des crus plus sucrés, souvent de la malvoisie.
A la cathédrale de Fribourg, le clergé a jeté son dévolu sur du vin étranger: un San Pedro, confesse le chanoine Paul Frochaux, curé du lieu. Un vin espagnol estampillé vino de misa. «La paroisse de la cathédrale est une grande paroisse citadine. Si j’officiais ailleurs, dans une commune viticole, je choisirais le vin d’un vigneron du coin, c’est certain».
La dimension pratique prévaut là aussi: «Ce vin se conserve à merveille. Et il faut l’avouer, un vin un peu sucré, le matin, ça passe mieux qu’un chasselas», concède Paul Frochaux. Produit par une coopérative espagnole catholique, le San Pedro s’inscrit d’ailleurs dans une gamme plus large, composée notamment d’un Vino Blanco de Misa ou d’un Juan Pablo II, un blanc «frais et fruité». Tous «répondent aux critères du Droit canon».
Derrière l’autel, les prêtres sont souvent les seuls à communier au sang du Christ. Pourtant, lors de la dernière Cène, le Christ a convié ses disciples à un repas où l’on mange et l’on boit. Là aussi, François Roten fait valoir un aspect pratique. «C’est bien plus simple de compter par avance le nombre d’hosties nécessaires que la quantité de vin». D’autant que la disparité des moeurs est monnaie courante, déjà au sein du clergé. «Lorsque plusieurs prêtres concélèbrent une messe, il y a le confrère qui se contente d’une petite gorgée et l’autre qui en boira trois grandes», explique l’abbé valaisan. François Roten se rappelle d’ailleurs de célébrations eucharistiques où de grandes assemblées étaient conviées à communier au sang du Christ. «Il est arrivé, parfois, qu’il reste plusieurs décilitres à consommer par le prêtre au terme de la célébration».
S’abstenir de communier au sang du Christ, serait-ce donc une communion au rabais? Que les paroissiens se rassurent, la doctrine catholique affirme depuis le Concile de Trente (1545-1563) que recevoir le corps ou le sang du Christ, c’est recevoir le Christ tout entier. (cath.ch/pp)
Banni, toléré ou consacré: le vin dans les religions du Livre
Le vin, «fruit de la vigne et du travail des hommes», selon la formule liturgique catholique, est lié de près à la tradition monastique. Les moines, en effet, sont à l’origine de l’expansion d’anciens vignobles grecs ou romains. Ce n’est donc pas par hasard que les plus gros pays producteurs de vin sont ceux qui ont des racines catholiques ou protestantes: l’Italie, la France et l’Espagne, suivis des Etats-Unis et de l’Australie.
Le judaïsme n’a pas manifesté un intérêt aussi grand pour le vin. S’il condamne la consommation abusive, il ne jette pas l’interdit sur le vin, incontournable lors de grandes fêtes. Ce n’est pas le cas dans l’islam. Boisson promise du paradis, selon le Coran, le vin est d’abord toléré au début de l’ère coranique avant d’être frappé d’interdit: «O vous qui croyez, stipule le Coran, le vin (…) et les flèches divinatoires ne sont que des abominations, oeuvres de Satan. Evitez cela, vous serez peut-être gagnants».
Pierre Pistoletti
Portail catholique suisse
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