Au Liban, il existe 15 statuts civils pour une population de 4 millions de personnes. Tous les citoyens sont censés être égaux devant la loi, selon l’article 7 du chapitre II de la Constitution libanaise, qui stipule clairement que «tous les Libanais sont égaux devant la loi».
Mais, affirme Iqbal Doghan, avocate et présidente du Réseau des droits de la famille au Liban (RDFL), citée par le quotidien francophone «L’Orient-Le Jour», si l’Etat est obligé d’élaborer un statut civil unifié pour tous les Libanais, un vote en faveur d’une telle loi n’est pas près de se tenir. Et de regretter que le pays est toujours «ancré dans le confessionnalisme».
Pour le cheikh Mohammad Nokkari, juge auprès du tribunal chérié sunnite (tribunal religieux musulman) de Beyrouth et enseignant à l’Université Saint-Joseph, la question des statuts personnels «est liée au système politique». «Le système politique au Liban est pluriconfessionnel. Pour adopter un statut personnel civil unifié, il faudrait changer de système politique pour aboutir à un système laïc», estime-t-il.
En matière de «statut personnel», chaque communauté a ses propres lois
Chaque communauté ayant ses propres lois en matière de «statut personnel», il existe de facto une inégalité entre Libanais à laquelle s’ajoutent des inégalités de traitement entre hommes et femmes, note le quotidien libanais.
Si le Liban a longtemps été qualifié de «Suisse du Moyen-Orient», cette réputation était de tout temps surfaite, car le Liban n’a jamais disposé d’un statut civil unifié – confessionnalisme oblige – malgré une proposition de loi faite en ce sens en 2011.
En effet, chaque Libanais est soumis au droit relatif au statut personnel de sa communauté concernant le mariage, le divorce, la garde des enfants ou l’héritage… Etant donné de ce fait l’inégalité entre Libanais, à laquelle s’ajoutent des inégalités de traitement entre hommes et femmes, il n’est pas étonnant que le Liban occupait, en 2017, la 137e position sur 144 du classement sur l’égalité hommes-femmes du Forum économique mondial.
Ce que prévoient les différents droits communautaires en matière de statut personnel sur le divorce illustre bien la discrimination dont sont victimes les Libanaises, relève «L’Orient-Le Jour».
Ainsi dans les communautés chrétiennes, où «la femme ne peut obtenir la séparation, le divorce ou l’annulation du mariage qu’après de longues démarches au coût souvent prohibitif, le tribunal spirituel compétent étant la seule autorité judiciaire pouvant entendre la demande de séparation ou de dissolution du lien conjugal».
Au sein de la communauté sunnite, la femme ne peut demander le divorce que si elle a stipulé un tel droit dans son contrat de mariage, ce qui est rarement le cas.
Dans la communauté chiite, la femme n’a pas le droit d’imposer à son mari, dans le contrat de mariage, une clause lui donnant l’opportunité de divorcer, mais le mari peut autoriser, dans le contrat, sa femme à décider de divorcer. La communauté chiite exige toutefois que le divorce soit constaté, à un même moment, par deux témoins masculins. Pour la communauté des druzes, le contrat de mariage ne peut être rompu que par la décision d’un juge druze.
Pour les communautés chrétiennes, la partie à l’origine de l’annulation, de la dissolution du mariage ou du divorce, doit payer une compensation dont le montant est décidé par le tribunal. Le droit des tribunaux religieux des communautés sunnite et chiite ne prévoit, pour sa part, pas de compensation pour la femme en cas de divorce. Elle a droit uniquement à une pension alimentaire durant «l’iddat«, période pendant laquelle elle n’a pas le droit de se remarier d’après la loi, et au reliquat de sa dot.
Pour la communauté des druzes, si le juge estime que le divorce n’est pas justifié par un motif légitime, il peut accorder à la femme des dommages outre le reliquat de sa dot, en tenant compte du préjudice moral et matériel.
Au Liban, les lois communautaires sur le statut personnel «accordent la priorité absolue à l’autorité du père sur les enfants», au détriment de la mère. Dans les faits, «les tribunaux religieux catholiques ont tendance à accorder le droit de garde des enfants à la mère, et ce jusqu’à l’âge de 18 ans, car ils estiment que la mère est plus apte à s’occuper de ses enfants», explique Ghada Moghabghab, avocate à la cour, citée par «L’Orient-Le Jour».
Cependant, si la mère se marie à nouveau, elle perd son droit de garde dans la plupart des cas, aussi bien chez les communautés musulmanes que chrétiennes. Pour la plupart des communautés chrétiennes, la mère perd effectivement le droit de garde des enfants en cas de nouveau mariage.
Dans les communautés catholiques toutefois, c’est au vu des circonstances défavorables à la mère que le juge peut décider de lui retirer la garde de ses enfants. «Ce retrait n’est pas automatique et reste sujet à révision en fonction des circonstances», explique Me Moghabghab. Le père, lui, ne perd pas la garde de ses enfants aux yeux des tribunaux catholiques s’il se marie à nouveau. «La discrimination femmes/hommes au profit de ces derniers est ainsi clairement consacrée dans les textes chez les communautés catholiques», souligne l’avocate.
Dans la communauté grecque orthodoxe, pour qu’un parent perde son droit de garde en cas de remariage, il faut apporter la preuve que le mineur court un risque en raison du mariage en question. Il incombe au tribunal d’estimer ce risque. Aucune distinction n’est toutefois faite entre la mère et le père.
Leila Awada, avocate et membre fondatrice de l’ONG Kafa qui milite pour les droits des femmes, dénonce ce qu’elle estime être une «démission» de l’Etat libanais en matière de statut personnel. «Le Liban n’a pas de statut personnel unifié. L’Etat s’est déclaré démissionnaire en matière de statut personnel et cela est inacceptable. Il doit assumer ses responsabilités et ne pas déléguer ces affaires-là aux différentes communautés», souligne-t-elle. Son ONG mène campagne pour réclamer l’adoption d’un code du statut personnel unifié». (cath.ch/orj/be)
Jacques Berset
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