«Etre catholique, c’est être fidèle à ses convictions dans un environnement qui s’est transformé en une société pluraliste. Cela implique le respect de l’être humain et de ses croyances», explique le primat de Belgique dans une interview accordée à l’édition du 5 juillet 2019 de l’hebdomadaire européen de langue anglaise «New Europe», édité à Bruxelles.
Pour le cardinal belge, l’Eglise ne doit pas céder à la tentation d’une «reconquête», mais elle a une mission à remplir et des valeurs à défendre au sein des sociétés européennes.
A la question de savoir quel est le rôle de l’Eglise catholique dans l’Europe d’aujourd’hui, le cardinal Jozef De Kesel répond qu’être catholique implique de participer à cette société sécularisée, où différentes convictions se côtoient. Il s’agit de vivre ensemble en respectant les autres: «cela implique le respect de l’être humain et de ses convictions».
L’Eglise ne doit donc pas chercher à s’imposer. Elle a cependant pour mission de défendre ses convictions et certaines valeurs, dans une attitude de «solidarité avec tous ceux qui aspirent à une société plus juste et plus fraternelle».
«Si nous luttons pour le respect de la liberté religieuse, ajoute-t-il, «c’est parce que nous acceptons la société sécularisée». C’est peut-être là que réside le principal défi pour l’Eglise en Europe, mais il s’agit également d’une opportunité. Accepter pleinement la société sécularisée aide l’Eglise à redécouvrir ses racines et sa mission «et à rencontrer les autres». Cela implique une forme de conversion pour de nombreux évêques.
Pour certains, l’Eglise catholique serait toujours à la recherche de pouvoir, comme par le passé. Pour le cardinal De Kesel, ce n’est pas vrai: «Ce que nous revendiquons, c’est le droit d’être ce que nous sommes. Cela s’applique à chacun, à toutes les religions et aux non croyants également».
Avant le Concile Vatican II, l’Eglise catholique avait du mal à accepter la modernité. Mais le Concile a amené un changement fondamental concernant l’ouverture, souligne-t-il. Il ne s’agit pas de condamner le passé, mais les circonstances historiques ont changé: «Il n’est pas bon de vivre dans la nostalgie et pour un passé qui n’est plus possible».
Au journaliste qui le qualifie de progressiste et libéral, le cardinal répond qu’il n’aime pas les étiquettes. «Certains disent que je suis progressiste, d’autres disent le contraire. Je ne me sens pas à l’aise quand on dit que je suis ›progressiste’. Je préfère le terme ›ouvert’».
Et de se pencher sur la notion de progrès: «Qu’est-ce que le progrès? Si on parle d’euthanasie, par exemple, est-ce un progrès ou non? Un progrès est un progrès seulement s’il est valable pour tout homme et pour toute l’humanité». Car, souligne-t-il, on peut progresser économiquement et, en même temps, être spirituellement et humainement très pauvre.
Poursuivant sa réflexion, le cardinal désigne deux valeurs fondamentales, liées au respect de l’être humain: la liberté et la solidarité. Si la Révolution française a placé la liberté au premier plan, il ne peut y avoir de vraie liberté sans solidarité. Quant au communisme, c’est la fraternité sans liberté, ce qui équivaut à un totalitarisme.
Ces valeurs sont donc indissociables: «Si la liberté se pose de manière absolue, cela ne sert pas le progrès. Les deux vont toujours ensemble – liberté et fraternité. C’est un concept chrétien qui, aujourd’hui, ne lui appartient plus exclusivement, il est entré dans notre culture».
Se situant, en ce qui concerne la pauvreté, comme sur d’autres sujets, clairement dans la ligne du pape François, le cardinal De Kesel estime que c’est le défi le plus important au niveau mondial. La pauvreté est pour lui un problème global qui touche aussi le problème de l’immigration. Ces problèmes ne peuvent être résolus qu’à travers la solidarité.
S’agissant de ces problématiques, les chrétiens doivent agir en tant que citoyens à part entière: «l’Eglise ne peut se retirer de la société. Avec tous les citoyens, nous travaillons à une société plus juste. Comme le dit le pape François, notre planète est notre ›maison commune’, pour laquelle nous sommes mutuellement responsables».
«Nous ne pouvons privatiser tout ce qui est religieux», ajoute le cardinal. «Nous avons des convictions religieuses, nous sommes en même temps des citoyens. On ne peut séparer les deux. C’est vrai pour les catholiques comme pour d’autres religions et convictions». Il s’agit d’un défi, car «il y a des tendances extrémistes dans la société. Aussi dans l’Eglise, ce qui nous renferme sur nous-même. Mais la mission de l’Eglise est de travailler ensemble pour une société plus humaine et plus juste».
Dans la dernière partie de l’interview accordée à «New Europe», le cardinal s’élève contre la privatisation extrême de la religion dans nos sociétés. «Je ne suis pas d’accord avec cela. Je soutiens de tout cœur une société pluraliste, mais ce pluralisme, je le vois comme un pluralisme actif. Bien sûr, les lois sont déterminées par le Parlement, mais la société civile est un espace de liberté dans lequel les religions ont un rôle à jouer».
Si le primat de Belgique est partisan d’un gouvernement séculier, il n’en reste pas moins que l’Etat ne peut pas tout imposer. «Regardez, par exemple, en Italie, la déclaration de M. Salvini (ministre italien de l’Intérieur, ndlr), qui dit que le capitaine du Sea Watch, qui a permis à des migrants d’être secourus à Lampedusa, a commis un acte criminel. A-t-il le droit de dire cela? D’autres pensent que ce qu’il a fait n’est pas un acte criminel». Par ailleurs, l’Etat doit respecter la liberté de conscience et la liberté de religion.
Enfin, le cardinal invite les jeunes générations en Europe à trois choses. D’abord, ne pas oublier le passé, ne pas oublier ce qui s’est passé en Europe au moment de la Deuxième Guerre mondiale. «A Anvers, la police a collaboré et arrêté les juifs de la ville. A Bruxelles, ils ont refusé d’obéir à cet ordre. Il faut que les jeunes se souviennent de cela!»
«Je dirais également aux jeunes de ne pas perdre leur âme. Il y a un besoin de spiritualité. Que dit la société aux jeunes quand ils demandent quoi faire de leurs vies. La société dit: ›tout ce que vous voulez’. mais qu’est-ce qui donne sens à ma vie? Qu’est-ce qui peut combler ma vie? Qu’est-ce qui me rend heureux? Ces questions trouvent leur réponse dans la spiritualité». Pour terminer, le cardinal De Kesel appelle les jeunes à la solidarité, qui répond à la question: «que puis-je signifier pour l’autre?» (cath.ch/cathobel/be)
Jacques Berset
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