«Je suis prêt à me menotter à lui et que l’on nous mette tous deux en prison», affirme Bernard à cath.ch. Le retraité, actif dans la rue, est connu comme «le pèlerin» à Neuchâtel. Issu du monde protestant mais se considérant comme catholique, il est fermement décidé à tout faire pour empêcher que Jacob (prénom d’emprunt), le requérant d’asile togolais qu’il accompagne depuis des années, ne soit renvoyé dans son pays. Le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rejeté le dernier recours en date de sa demande d’asile en février 2019.
Cela même si Jacob assure que s’il rentre au Togo, il sera exécuté. «Je suis déprimé, découragé, je ne sais pas de quoi demain sera fait», confie-t-il à cath.ch. Le jeune Togolais se cache depuis des mois dans un tout petit appartement, dans une grande ville de Suisse. Il ne sort presque jamais, de peur de se faire contrôler par la police.
Il y a quelques années, il était imprimeur indépendant au Togo. Il fabriquait notamment des tracts politiques pour l’opposition. Mais le petit pays d’Afrique vit depuis plus de 40 ans sous le régime autoritaire de la «dynastie» des Gnassingbé Eyadema, qui ne compte pas abandonner le pouvoir. Jacob a ainsi été arrêté une première fois, avant d’être rapidement libéré. Il a échappé de justesse, un peu plus tard, à une seconde tentative d’arrestation. Etant conscient que sa vie était alors en jeu, le jeune homme a payé les services d’un passeur pour arriver en Suisse en 2016.
«Berne veut peut-être ménager ses relations avec le Togo»
Il y a fait une demande de protection par le gouvernement suisse qui a été rejetée après de nombreux recours. N’ayant pas obtempéré à son renvoi, l’imprimeur togolais a été arrêté en octobre 2018 par la police pour être mis dans un «vol spécial» vers son pays natal. Mais, comme il a refusé, la procédure habituelle de le conduire à la prison de Frambois (GE) n’a pas été appliquée. Il a été reconduit à Neuchâtel, où un policier lui a inexplicablement ouvert la porte à 22H30 et l’a enjoint à partir. Cherchant de l’aide, il a alors contacté Bernard, qui lui a trouvé une «planque» hors du canton.
Bien qu’aucune plainte n’ait été lancée contre le bénévole neuchâtelois, des allusions claires lui ont été faites sur ce qu’il risquait en aidant un requérant débouté. La police est venue à deux reprises en vain à son domicile en espérant y trouver Jacob.
Mais le presque septuagénaire n’a pas l’intention de se laisser impressionner. Il est certain que sa démarche est juste et affirme agir selon «la loi de l’humanité», supérieure à celle des hommes. Il est également persuadé que la vie de Jacob serait en danger s’il rentrait dans son pays. Selon lui, le dossier de Jacob a été «bâclé». Il assure que des éléments de preuves flagrants existent sur le danger qui menace l’imprimeur au Togo. «Bernard le pèlerin» pense aussi que le jeune homme a pu être victime des intérêts diplomatiques de la Confédération. «La situation du Togo n’est pas médiatisée en Suisse et les gens ont plutôt l’image d’un pays sans risque. Berne veut peut-être ménager ses relations avec Lomé ou craint qu’une acceptation de la requête fasse un ‘appel d’air’ dans ce pays vers la Suisse».
Quoiqu’il en soit, Jacob est à présent dans une situation particulièrement précaire. D’autant plus qu’il s’angoisse pour sa famille restée au Togo. Son frère a mystérieusement disparu quelques mois après sa fuite du pays. Le requérant pense qu’il a été exécuté par les sbires du pouvoir. Sa belle-sœur et sa nièce ont également été blessées par balles. Sa femme et ses enfants se cachent à l’intérieur du pays. Le prêtre togolais Antoine Kankoé, qui officie jusqu’en août 2019 dans la paroisse d’Estavayer-le-Lac, a tout de même pu, il y a quelques temps, transmettre des nouvelles de Jacob à sa famille.
«Bernard le pèlerin» est révolté face à l’iniquité des autorités suisses. Il trouve normal que l’on puisse renvoyer des réfugiés se comportant mal, mais souligne que Jacob est un modèle de droiture et d’honnêteté. Il assure en outre que l’objectif du Togolais n’est pas de rester, mais de retourner dans son pays dès que la situation le permettra». Entre-temps, le bénévole continue le combat juridique pour faire accepter la demande d’asile de son protégé. Il est prêt à aller jusqu’au bout pour sauver celui qu’il appelle «mon fils».
Bernard n’est pas le premier chrétien neuchâtelois à braver la justice au nom des principes bibliques. Le pasteur Norbert Valley, ancien président du Réseau évangélique suisse (RES), a été condamné en août 2018 par la justice du canton pour avoir facilité l’hébergement d’un demandeur d’asile débouté. Il a bénéficié d’un mouvement de soutien dans la population, avec la mise en place d’une collecte et l’organisation d’une manifestation devant le bâtiment où se déroulait son procès. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
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