Sur Twitter, le pape François affirmait qu’une société n’était humaine que si elle protégeait chaque vie, «sans choisir qui était digne ou non de la vivre». Sur le compte @Pontifex en neuf langues, il écrivait: «Prions pour les malades abandonnés et qu’on laisse mourir. Une société est humaine si elle protège la vie, chaque vie, de son commencement à sa fin naturelle, sans choisir qui est digne ou non de vivre. Les médecins devraient servir la vie, et non l’ôter».
L’infirmier français de 42 ans, dans un état végétatif ou de conscience minimale après un accident de la route en 2008, est décédé au CHU de Reims. Le 2 juillet 2019, les médecins avaient de nouveau suspendu l’approvisionnement en nourriture et l’hydratation après une longue bataille juridique qui a pris, au fil du temps, une dimension internationale.
La France avait finalement décidé de ne pas tenir compte de l’appel du Comité de l’ONU pour les droits des personnes handicapées, qui avait demandé un délai de six mois pour examiner l’affaire. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées – ratifiée par Paris, mais non contraignante pour le gouvernement français – stipule en effet dans son article 25 la nécessité de «prendre toutes les mesures appropriées pour leur assurer l’accès à des services de santé (…), y compris des services de réadaptation» et «empêchant tout refus discriminatoire de fournir des soins ou services médicaux ou des aliments ou des liquides en raison d’un handicap».
De nombreuses personnalités de l’Eglise catholique, des laïcs, des religieux, des prêtres et des évêques, ont clairement exprimé leur désapprobation du choix final retenu par la justice après bien des rebondissements, commente dans le quotidien catholique La Croix le Père Thierry Magnin, nouveau secrétaire général de la Conférence des évêques de France (CEF).
«Je pense en particulier à la délicatesse pleine de fermeté de la prise de position de l’archevêque de Reims dans le sens du respect de toute vie. Mais il est difficile aujourd’hui à beaucoup de personnes dans notre société française d’entendre vraiment ce que dit l’Eglise catholique à ce sujet. On la taxe vite de ‘bio-conservatrice’ parce qu’elle promeut la dignité inaliénable de tout être humain».
Cette réaction est une manière de disqualifier d’entrée le message de l’Eglise et de ne pas l’entendre dans toute sa profondeur, déplore le Père Thierry Magnin. «Or notre société est en grand manque de repères. Ainsi, ce qui a été dit de la foi supposée aveugle des parents de Vincent Lambert n’est pas acceptable, même si je comprends qu’on puisse ne pas y adhérer».
Le secrétaire général de la CEF pense «aux parents de Vincent Lambert qui ont donné la vie à leur fils et l’ont défendue jusqu’au bout, aussi à son épouse. Elle a dû prendre une décision en voulant bien faire. Cependant certains arguments défendus par ceux qui se mettent dans ‘son clan’ m’inquiètent vraiment. Toute cette famille a droit au recueillement, au respect et au calme».
Le Père Thierry Magnin exprime ainsi sa tristesse parce que le drame de l’accident se double d’un drame peut être pire encore, celui du déchirement d’une famille, intensifié par une bataille juridique qui paraissait sans issue.
" A travers l’instrumentalisation du déchirement d’une famille, on a entretenu la confusion en considérant le cas de Vincent Lambert comme celui de quelqu’un en fin de vie. Or il n’était pas en fin de vie, comme du reste beaucoup d’autres personnes dites en état de ‘vie végétative’ et qui sont suivies dans des centres spécialisés qui ne sont pas des soins palliatifs. La notion d’acharnement thérapeutique souvent citée n’a pas lieu d’être ici, sauf à considérer que l’alimentation par sonde est un traitement démesuré !»
Le 20 mai 2019, lorsque les médecins avaient commencé à interrompre l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert, avant de les rétablir suite à la décision de la Cour d’appel, le pape avait tweeté: «Prions pour ceux qui vivent dans un état de grave infirmité. Protégeons toujours la vie, don de Dieu, du commencement à sa fin naturelle. Ne cédons pas à la culture du déchet». L’année dernière, le pape François avait lancé deux appels publics en faveur de Vincent Lambert, citant explicitement son nom, un cas rare pour des appels pontificaux de ce type.
Dans une déclaration conjointe, le cardinal Kevin Farrell, préfet du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, et Mgr Vincenzo Paglia, président de l’Académie pontificale pour la vie, soulignaient «la grave violation de la dignité de la personne, que l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation implique», contestant la décision des médecins de Reims qui qualifiaient d’obstination «irrationnelle» la volonté de garder Vincent en vie.
Ils reconnaissaient que «l’état végétatif, en effet, est assurément un état pathologique grave, qui ne compromet en rien la dignité des personnes qui se trouvent dans ces conditions, ni leurs droits fondamentaux à la vie et aux soins, entendus comme la continuité de l’assistance humanitaire fondamentale».
Les deux prélats soulignent dans leur prise de position que l’alimentation et l’hydratation constituent une forme de soins essentiels toujours proportionnés au maintien en vie: «nourrir une personne malade n’est jamais une forme d’obstination thérapeutique déraisonnable, tant que le corps de la personne est capable d’absorber une alimentation et une hydratation, sauf si cela provoque une souffrance intolérable ou nuisible pour le patient».
«La suspension de ces traitements représente plutôt une forme d’abandon du patient, fondée sur un jugement impitoyable sur sa qualité de vie. C’est l’expression d’une culture du déchet qui sélectionne les personnes les plus fragiles et sans défense, sans en reconnaître le caractère unique et la valeur immense. La continuité de l’assistance est un devoir incontournable».
Mercredi 10 juillet 2019, devant la mort inéluctable de Vincent Lambert, Mgr Michel Aupetit relevait que «c’est maintenant le temps du recueillement, de la compassion et de la prière pour Monsieur Vincent Lambert». L’archevêque de Paris a suggéré de célébrer la messe à son intention «en le confiant au Seigneur, Dieu de miséricorde. Cette intention peut être étendue à tous ses proches».
Le 20 mai 2019, Mgr Michel Aupetit écrivait que la décision d’interrompre les soins de confort et de nutrition de base chez un patient handicapé s’oppose à la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti.
«Il n’est pas mentionné qu’il présente de souffrance insupportable qui nécessite une sédation profonde sauf évidemment dans le cas où l’arrêt de l’hydratation par les médecins entraînerait la douleur cruelle de mourir de soif. Il ne s’agit pas d’une ‘obstination thérapeutique’ puisque ce ne sont pas des soins curatifs d’une maladie incurable, mais simplement les soins corporels et nutritionnels de base que l’on doit aussi aux personnes âgées dépendantes, hémiplégiques, et aux bébés qui ne sont pas encore autonomes».
Il déplorait que «l’on cite à l’envi les pays moins-disant éthiques comme la Belgique ou les Pays-Bas. Force est de constater que dans ces pays il y a une anesthésie totale de la conscience. On entend des enfants parler de manière naturelle de l’euthanasie de leurs parents comme s’il s’agissait d’une éventualité normale».
«Il y a aujourd’hui un choix de civilisation très clair: soit nous considérons les êtres humains comme des robots fonctionnels qui peuvent être éliminés ou envoyés à la casse lorsqu’ils ne servent plus à rien, soit nous considérons que le propre de l’humanité se fonde, non sur l’utilité d’une vie, mais sur la qualité des relations entre les personnes qui révèlent l’amour. N’est-ce pas ainsi que cela se passe lorsqu’une maman se penche de manière élective vers celui de ses enfants qui souffre ou qui est plus fragile ? C’est le choix devant lequel nous nous trouvons», affirme Mgr Michel Aupetit.
«Le Christ nous a révélé la seule manière de grandir en humanité: ‘Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés’. Et il nous a donné la seule manière d’exprimer cet amour: ‘Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime'». Et de conclure: «Une fois de plus nous sommes confrontés à un choix décisif: la civilisation du déchet ou la civilisation de l’amour». (cath.ch/cef/vaticanews/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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