Doris Wagner: «Je doute que les évêques soient assez courageux pour faire des réformes»

La théologienne allemande Doris Reisinger, née Wagner, prendra part le 29 juin 2019, à Berne, au rassemblement national contre les abus et pour des réformes dans l’Eglise. L’ancienne religieuse n’attend cependant pas grand chose des autorités ecclésiales. Face à la rigidité du droit canon, elle prône l’idée de la ‘désobéissance civile’.

Le plus haut tribunal du Vatican a renoncé à poursuivre le prêtre que vous accusiez de harcèlement sexuel sans cependant vous avoir entendu auparavant. Allez-vous entreprendre quelque chose face à ce verdict ?
Doris Reisinger: J’aimerais d’abord clarifier que ce n’est pas moi qui ai porté cette affaire devant le tribunal mais l’accusé lui-même. Je l’ai dénoncé deux fois, en 2009, immédiatement après qu’il m’a harcelé, puis en 2012. Après quoi je n’ai plus eu de nouvelles pendant des années. Je présume que l’accusé a dû démissionner de son poste (à la Congrégation pour la doctrine de la foi ndlr) en janvier de cette année parce que la pression était devenue trop forte. Lui-même souhaitait ce procès.

«Il ne s’agit pas seulement de violence sexuelle, mais surtout de violence spirituelle»

Mon but n’est pas d’intervenir contre les auteurs d’abus envers moi. Je veux avant tout dénoncer les abus de pouvoir dans l’Eglise. Il ne s’agit pas seulement de violence sexuelle, mais surtout de violence spirituelle. Ce qui m’intéresse et de savoir que faire pour que l’Eglise redevienne un lieu où les personnes sont traitées dignement.

Selon le théologien moral fribourgeois Daniel Bogner, votre cas montre de manière exemplaire que l’Eglise ne s’oriente pas sur des principes de droit. Il suggère que les évêques désireux de se réformer rédigent une ‘constitution ecclésiale’ qui rende justice à la dignité humaine et à la séparation des pouvoirs. Qu’en pensez-vous?
Une chose est claire: nous avons besoin d’une séparation des pouvoirs, de la reconnaissance des droits humains et du droit de participation des croyants. Depuis la crise des abus, nous avons tous vu que la forme absolutiste du pouvoir ne fonctionne plus. Je doute cependant que nous puissions compter sur les évêques et qu’ils soient assez courageux pour s’attaquer à la réforme de la constitution de l’Église.

Comment alors atteindre cet objectif ?
C’est la grande question. Je pourrais imaginer que l’Eglise soit mise sous pression par la politique ou que des laïcs qui ont des responsabilités en Eglise accomplissent un certain pas. Pour l’instant, cependant, il ne s’agit pas de savoir comment et où. Je suis convaincue que cela viendra de lui-même lorsque des personnes, partout dans le monde, qui ont conscience de la nécessité d’un changement utiliseront leur marge de manœuvre personnelle.

Mais les laïcs n’ont aucun moyen de changer la loi de l’Église.
Cela se passera de la même manière qu’en Allemagne, en Autriche ou en Russie lorsque les monarchies sont tombées. Les gens ordinaires n’avaient pas beaucoup de pouvoir non plus. Néanmoins, ils y sont parvenus parce que les monarchies étaient devenues faibles.

«Nous ne tolérons pas que la direction de l’Eglise reste inactive ou prenne seulement des mesures cosmétiques»

La fin de certaines de ces monarchies s’est soldée par de violents bouleversements.
Les monarchies ont pris fin de différentes manières. Je ne pense pas que cela se passera de manière sanglante dans l’Eglise (sourire). Des transitions en douceur sont également possibles. Le résultat peut aussi être différent. Par exemple, il existe des monarchies constitutionnelles et parlementaires. Il serait peut-être concevable qu’à la fin, nous ayons encore un pape et des évêques qui célèbrent les offices pontificaux, mais qui n’auraient plus de pouvoir décisionnel.

Vous participerez au rassemblement du 29 juin à Berne, pour demander à Rome des mesures contre les abus et des réformes. Qu’espérez-vous de cette manifestation?
Nous n’avons pas à espérer quoi que ce soit. Le simple fait que cette manifestation ait lieu est déjà l’accomplissement d’un espoir. Au lieu de rester silencieux et de démissionner, les croyants disent clairement: «Nous ne tolérons pas que la direction de l’Eglise reste inactive ou prenne seulement des mesures cosmétiques.»

Je ne m’attends pas à ce que les évêques, la curie romaine et le pape fassent soudainement demi-tour et fassent ce qui est juste. Le simple fait de sentir que nous sommes nombreux peut déployer une force qui conduira vraiment à un changement à long terme dans le fonctionnement de l’Église.

Si l’on veut changer le droit canon, la direction de l’Eglise doit céder.
Je vois les choses différemment. Il suffit qu’il y ait assez de gens qui n’adhèrent plus aux directives des évêques, car ils auront constaté qu’elles sont absurdes. Si suffisamment d’autres personnes dans l’Eglise font ce qu’elles pensent être juste, sans se préoccuper de ce que les évêques veulent ou ne veulent pas, alors il n’est plus nécessaire de modifier le droit canonique. Il ne sera tout simplement plus appliqué. A long terme, il en sortira peut-être quelque chose de nouveau.

Comment cette ‘désobéissance civile’ peut-elle se déployer?
Dans le domaine de la liturgie, il existe déjà beaucoup de communautés qui ne s’en tiennent pas aux prescriptions. Par exemple sur le choix des personnes qui font la prédication. Ce principe de désobéissance pourrait aussi s’appliquer ailleurs, notamment sur les critères d’accès aux ministères.  (cath.ch/kath.ch/bal/mp)


Rassemblement national le 29 juin à Berne

Convoqué à l’initiative de théologiens du canton de Zurich, le rassemblement national du 29 juin 2019 à Berne entend faire valoir un certain nombre de revendications afin de renforcer la lutte contre les abus sexuels et d’exiger des réformes dans l’Eglise.

L’invitée de la journée est la théologienne allemande Doris Wagner. Ancienne religieuse membre de la congrégation «Das Werk», elle y a été victime d’abus qu’elle a raconté dans un livre. Aujourd’hui mariée et mère de famille, elle également est connue pour avoir participé à divers documentaires et débats télévisés sur ce thème.

Les revendications des manifestants portent notamment sur : l’accès au dossier pour les victimes; la dénonciation obligatoire de tout abus sexuels auprès des autorités civiles; la modification du droit canon pour punir tout abus sexuels y compris sur des adultes; des procédures rapides; la création de commissions indépendantes pour traiter des abus dans tous les pays; des critères mieux définis pour l’engagement d’agents pastoraux; un accompagnement pour les personnes en ministère ainsi que la reconnaissance d’une éthique sexuelle humaine basée sur la Bible.

Mais ces mesures ne seront pas possible sans un changement plus profond. C’est pourquoi les initiateurs réclament des changements structurels sur la compréhension des ministères, l’accès au sacerdoce, l’égalité entre les croyants. Ils revendiquent aussi un changement de mentalité des responsables. Il ne s’agit pas de protéger l’institution, mais les personnes. (cath.ch/com/mp)

Maurice Page

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